Le 17 août 1996, les corps sans vie de Julie et Mélissa, 8 ans, sont retrouvés dans la propriété d’un certain Marc Dutroux, ferrailleur inconnu du grand public (plus pour longtemps) mais très défavorablement connu des services de police, pour ses affaires de « mœurs ». Deux jours plus tôt, l’assassin restituait deux autres filles, cette fois vivantes, à la police. Mais deux semaines plus tard, deux nouveaux corps seront déterrés.
Le 17 août 2016, Carine Russo, mère de Mélissa, parle à la RTBF.
Carine Russo, la mère de Mélissa, est interrogée sur la RTBF par une journaliste belge, la sosie jeune de Mireille Dumas. Sans verser dans l’analogie morphopsychologique, ses questions sont malheureusement orientées vers la recherche de l’émotionnel, ce qui fait perdre de vue les contradictions brûlantes de l’affaire entière, relevées par les enquêteurs indépendants, et mises de côté par l’instruction officielle. Du tremblement de terre européen de 1996 (un choc équivalent à un 11 Septembre judiciaire), avec ses ramifications politiques – qui iront jusqu’à la Stasi est-allemande –, il ne reste rien.
Étrangement, Carine Russo croit encore dans les vertus du Système – c’est-à-dire qu’il peut s’améliorer – alors que ce dernier l’a écartée, elle et les parents des victimes, de toute information. À dessein ou pas, l’histoire le dira. Avec une journaliste qui respecte de fait la neutralisation d’un dossier toujours aussi explosif (des enlèvements d’enfants signalés à la police, des enquêteurs qui connaissaient la dangerosité de Dutroux, et des membres de l’élite belge mouillés dans des partouzes avec des mineures prostituées) et une mère qui remet pas en question le couple police-justice, qui a pourtant largement failli, pour ne pas dire plus, il reste une confrontation de deux ignorances, peut-être pas si involontaires que ça. Même quand tout le démontre, le public a du mal à admettre l’existence d’une oligarchie sans foi ni loi.
Carine Russo : « Le politique, je crois qu’il n’a pas très bien compris… »
La journaliste : « Y a quand même eu la réforme des polices, la commission d’enquête parlementaire, la création d’un centre de recherche pour enfants disparus… »
L’enchaînement des « dysfonctionnements » (on entend la même chose aujourd’hui dans le cas des attentats franco-belges) ont mené à la mort de quatre jeunes filles, sans compter les meurtres collatéraux. La pourriture – ou la faiblesse – d’un système judiciaire sanctionnée par une série de cadavres. De cette affaire emblématique, il ne reste rien, seulement une « condamnation » par le Roi des erreurs de l’enquête et des magistrats qui se sont succédé lors de son instruction. Tout finira en « marche blanche », ce qu’un pouvoir corrompu peut tout à fait supporter. L’explosion de colère populaire, qui aurait été justifiée, a été désamorcée par les promesses des politiques. Sans aller trop loin dans la spéculation, il est clair que Dutroux était un truand doté d’une « autorisation », c’est-à-dire un informateur bénéficiant d’une carte blanche dans sa spécialité, le vol de voitures. Une spécialité qui en cachait une autre : le vol d’enfants et leur « location » à des personnalités.
Pourquoi des personnalités ? Parce qu’elles seules peuvent payer. Pas la peine d’aller chercher du complotisme populiste anti-élite. Le viol d’enfant est un sport de riche, et tous les riches ne sont pas des violeurs, heureusement. Mais un pédocriminel pauvre, à moins de faire disparaître ses victimes, ne reste pas longtemps impuni : il ne dispose pas des protections suffisantes. Celles dont Dutroux a bénéficié, au travers de ses visiteurs puissants. En ne balançant pas ses clients – Émile Louis est mort sans avoir parlé – Dutroux a sauvé sa peau, et son réseau. Car réseau il y avait, et il y a toujours, probablement : le vice ne s’arrête pas avec une décision de justice, aussi conforme au droit soit-elle. Sauf que les hauts pédophiles du royaume de Belgique ne choisissent plus d’enfants du cru (les premiers enlèvements de Dutroux portaient d’ailleurs sur des enfants roumains).
« Les déclarations du témoin X1 ont conduit à la réouverture de dossiers de meurtres non résolus par les parquets de Bruxelles, Gand et Anvers : les disparitions et meurtres de Carine Dellaert, disparue à l’âge de 16 ans en 1982, et dont le corps est retrouvé en 1985 dans une fosse septique, le rapport d’autopsie révélant la présence de crayon laminaire, utilisé pour provoquer des accouchements ou des avortements, de Katrien De Cuyper (1991), de Hanim Mazibas (1988) et de Christine Van Hees, jeune Bruxelloise dont le corps brûlé avait été découvert le 13 février 1984 dans l’ancienne champignonnière d’Auderghem ; la description écrite par Régina Louf des lieux a été confirmée par le fils de l’ancien propriétaire. » (Extrait du Wikipédia du témoin X1)
L’affaire Dutroux à travers le témoignage de Régina Louf, dans Passé sous silence, un documentaire diffusé le 10 octobre 2002 sur France 3 :
La fermeture en 1998 de toute instruction à partir des témoignages de Régina Louf, pourtant corroborés par les premiers enquêteurs (Patrick de Baets, Aimé Bille et Rudy Hoskens), et dont la vie est un calvaire de viols, de prostitution, et de tortures, a définitivement coupé Marc Dutroux du réseau qui constituait sa clientèle. Le procès, qui a lieu en juin 2004, sera celui d’un seul homme, et de ses trois complices, l’ignoble Michelle Martin, le louche Michel Nihoul (libéré en 2005 et définitivement blanchi en 2010 !), et le pauvre Michel Lelièvre.
La montagne de l’affaire Dutroux accouchera d’une souris qui arrange tout le monde en haut lieu. À coups de dé-saisissements opportuns, de pressions sur les témoins-victimes fragiles et de reprises en main de la communication politico-judiciaire, l’élite belge sauvera sa tête. Il lui aura fallu 20 ans pour envoyer dans une impasse la colère populaire, en lui vendant un conte pour enfants en guise de vérité, et étouffer un scandale qui aurait arrosé politiques, hommes d’affaires, policiers et magistrats. Aujourd’hui, le schéma se reproduit avec les attentats terroristes.