En 1242, la campagne de l’ouest prit fin. Le roi d’Angleterre Henri III et les seigneurs poitevins furent matés à Taillebourg et à Saintes. À son retour, Louis, tout comme son armée, lutta contre une violente épidémie de dysenterie, cette maladie éprouvante faisait des ravages dans l’armée royale...
Bien qu’affaibli, il réussit à rentrer sur Paris et guérit rapidement mais la dysenterie n’en avait pas fini avec lui. Deux ans plus tard, à Pontoise, une nouvelle attaque de dysenterie le rapprochait sérieusement du Ciel, contrairement à la première fois, celle-ci était d’une violence telle que les médecins jugeaient son cas désespéré. Louis, se sentant condamné, il commençait à faire ses adieux à son entourage :
Voici que moi qui étais très riche et très noble en ce monde et puissant plus que tous par mes richesses, ma force, mes amis, je ne puis extorquer à la mort une trêve, ni à la maladie fût-ce d’une heure. Que valent donc toutes ces choses ?
Une des dames de la cour qui le veillait, le crut mort, elle rabattit le drap sur son visage, ouvrit les portes de la chambre pour laisser entrer les proches mais sa chère mère refusait ce funeste destin et s’en remit à Dieu. Dans une douleur insondable, elle déposa les reliques de la Passion sur le corps de son fils aimé, au même moment, le peuple français se rendait dans les églises pour prier au bon rétablissement de Louis. Quand soudain, dans un soupir venu d’outre tombe, il dit d’une petite voix faible :
Celui qui vient d’en haut m’a visité, par la grâce de Dieu, il m’a rappelé d’entre les morts.
Louis revenait à la vie timidement, il fit alors le vœu de se rendre en Terre sainte en personne.
En cette année 1244, le sud du royaume de France ne possédait pas de port. Les accès à la Méditerranée dépendaient du Saint-Empire romain germanique ou du comte de Toulouse. Louis IX se mit alors en tête d’en créer un, ce sera Aigues-Mortes. Avant que le roi ne jette son dévolu sur cette terre, seuls des moines y habitaient, le sol était sablonneux au milieu des marécages dans ce delta du Rhône. Après quelques tractations menées entre l’abbé de Psalmodi et le roi, on aménagea un port d’où allait partir, à deux reprises Louis IX.
Lors de sa première croisade (1248-1254), vingt cinq mille hommes et huit mille chevaux embarquèrent à Aigues-Mortes, direction Damiette en Égypte. Pour financer l’expédition, tout le monde fut mis à contribution. Lors du concile de Lyon en 1245, le pape avait levé dans toute la chrétienté une contribution d’un vingtième sur les revenus ecclésiastiques, certains croisés avaient affrété des nefs à titre privé et devaient subvenir à l’entretien de leurs chevaliers et de leurs hommes d’armes, le roi dans sa grande mansuétude aidait les moins fortunés et demandait également aux villes de consentir à financer un emprunt.
Pour peupler cette ville, le roi édicta une charte de franchises octroyant de nombreuses libertés et privilèges aux habitants d’Aigues-Mortes comme par exemple la franchise d’impôts.
Avant son départ, il confia son royaume à sa mère Blanche de Castille. Le moment était une épreuve difficile pour cette mère qui commençait à prendre de l’âge. Le reverra-t-elle ? Après s’être évanoui dans les bras de son fils, elle lui confia ses mots prémonitoires :
Beau tendre fils, je ne vous reverrai jamais, le cœur me le dit.
Son cœur avait vu juste.
À son retour en France en 1254, il plongea dans une tristesse infinie. Il fut transformé par l’échec en Terre sainte. Il avait le désir ardent de reprendre la mer, revivre les souffrances de la Passion du Christ. À l’image du Père qui s’était sacrifié en son Fils, Louis pensait que ses péchés étaient la cause de sa défaite. Le pardon ne pouvait lui être accordé qu’en se sacrifiant…Pensait-il. La faim spirituelle de Louis IX était grande, la jouissance terrestre ne le concernait pas. En 1270, il se rendit à Saint-Denis, reçut le bourdon de pèlerin et prit l’oriflamme et après avoir fait ses adieux à son épouse Marguerite, prit la route vers Aigues-Mortes pour la seconde fois. Chaque étape était une occasion de saluer ce peuple qui l’avait tant aimé et qu’il avait tant aimé. Une fois arrivé, avant de monter avec peine sur sa nef la « Montjoie », il fit appeler ses fils, Jean-Tristan, Philippe et Pierre.
Au nom du Christ, je renonce à tout, richesse et honneur, pour m’exposer à tout, corps et âme. Je vous emmène avec moi, vous, mes chers enfants, ainsi que votre sœur aînée, et j’aurais emmené mon quatrième fils s’il avait été plus avancé en âge.
Et ils prirent la mer.
Le 25 août 1270, à Carthage près de Tunis, le soleil était brûlant, le silence régnait dans la tente royale. Entouré d’une foule attristée, le saint roi agonisait. Allongé sur un lit de cendre, la maladie le rongeait. Son corps était faible mais sa foi plus puissante que jamais.
ô Jérusalem ! ô Jérusalem ! Beau sire Dieu, ayez pitié de ce peuple qui demeure ici et donnez lui votre paix. Qu’il ne tombe en la main de ses ennemis et qu’il ne soit pas contraint de renier votre Saint nom...Père, je remets mon âme entre tes mains.
Ces mêmes mots furent prononcés à la même heure sur le Golgotha par le Christ.
Sa fin était toute proche. Afin de rester en la seule compagnie de Dieu, il déclara :
Désormais que personne ne m’adresse plus la parole.
Seul un prêtre, son confesseur, avait l’autorisation d’être à ses côtés. Les bras croisés sur la poitrine, tenant la croix, il s’endormit dans le Seigneur.
Du vivant de Louis IX, seules une route entre les marais, la tour Carbonnière pour servir de tour de guet et la tour de Constance furent construites. Après sa mort, son fils et successeur Philippe le Hardi, ordonna la poursuite de la construction de remparts pour ceinturer complètement la petite ville. Les travaux n’allaient prendre fin que trente ans plus tard.
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Un breton en Camargue
Chaque année, le dernier week-end d’août, la ville de Aigues-Mortes en Camargue fête la Saint Louis.
En simple quidam venu de sa Bretagne natale, je fis route vers le sud avec mes sept chevaux (fiscaux), direction Aigues-Mortes ! En bon breton pur jus, je dus tout d’abord me familiariser avec un soleil que je n’avais l’habitude de côtoyer. Une fois arrivé dans la cité royale, je posais mon baluchon. Me voilà au XIIIème siècle ! Pendant deux jours, j’allais parfaire mes compétences de chevalier (qui était au stade zéro). J’allais assister à l’adoubement d’un chevalier, l’un d’entre eux allait m’expliquer comment faire une cotte de maille, un autre allait m’expliquer comment se battre avec des armes des plus improbables (improbable est un euphémisme, hostiles serait plus approprié). Moi qui étais émerveillé à la simple évocation de croisade, je fus comblé. Pendant ce week-end médiéval, la ville tout entière vibrait à l’unisson pour son passé, tout le monde semblait fier de son histoire (au moins pendant deux jours c’est pas mal non ?). Même la fleur de lys flottait en centre ville ! Le temps d’un week-end, je me suis surpris à imaginer ce que serait notre pays sous le règne d’un Saint Louis… Tout avait été fait pour d’ailleurs : marché médiéval, tavernes, défilés historiques, campements de chevaliers etc.
Pour clôturer ce week-end chevaleresque, « L’embarquement du roi sur sa nef royale, sous un majestueux spectacle pyro-symphonique » et quel spectacle ! Rien qu’à l’évoquer j’en ai des frissons. Une voix sortie de nulle part digne de films hollywoodiens conte le départ de Louis IX. Tout y est : décors d’époque, costumes des plus crédibles et musique épique. Il s’en est fallu de peu que j’enfile un costume et que j’embarque, direction la Terre sainte mais les discussions insupportables d’adolescents à côté de moi, qui visiblement étaient venus suite à l’injonction parentale, m’ont ramené en l’an de grâce 2016...
La fête de la Saint Louis se déroulera le 25 et 26 août 2018 à Aigues-Mortes.