Le Général Dominique Delawarde est l’ancien chef du bureau Situation-Renseignement-Guerre Électronique de l’État major Interarmées de Planification Opérationnelle.
L’étude des relations bilatérales de ces trois pays, pris deux à deux, est très intéressante car ces relations conditionnent et expliquent bon nombre d’événements géopolitiques majeurs qui agitent la planète aujourd’hui.
On connaît les excellentes relations USA-Israël sans en connaître tous les ressorts, les relations très froides teintées d’hostilité entre les USA et la Russie sans en connaître non plus toutes les raisons, mais ce dont on a moins conscience, c’est que ces relations USA-Russie découlent pour une large part des relations Israël-Russie dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont, malgré les apparences, tout sauf cordiales.
Examinons donc ces relations très particulières Israël-Russie et voyons comment elles conditionnent largement les relations USA-Russie, et pourquoi, malgré la volonté affichée de Trump, ces relations USA-Russie auront beaucoup de difficultés à s’améliorer.
I - Relations Russie-Israël
Derrière les poignées de main et les sourires de circonstance lors des rencontres bilatérales entre Poutine et Netanyahu, la relation entre la Russie et Israël, ne peut pas être bonne pour au moins dix raisons.
1 – La Russie a reconnu, dès novembre 1988, l’état de Palestine dans ses frontières de 1967 à l’ONU en entraînant derrière elle tous ses alliés des BRICS et de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai) et de très nombreux états indécis (137 pays au total à ce jour).
2 – La Russie milite inlassablement, avec ses alliés BRICS et OCS, pour la reconnaissance par le reste de la communauté internationale (56 pays) du droit des Palestiniens à un État. Ce point est régulièrement évoqué dans les déclarations finales des congrès annuels des BRICS.
3 – La Russie a toujours voté à l’ONU pour les Palestiniens, contre l’État hébreu sur tous les projets de résolutions opposant les deux parties, et notamment sur la résolution 2334 du 23 décembre 2016 dans le vote unanime du Conseil de sécurité de l’ONU (14 à 0, abstention US)condamnant la poursuite des implantations israéliennes en Palestine occupée.
4 – La Russie est un allié fidèle et solide de la Syrie de Bachar al-Assad, ennemi déclaré d’Israël. Son intervention militaire, en soutien des forces armées du seul gouvernement légal de Syrie, a entraîné l’échec d’un démembrement programmé de ce pays dont Israël espérait tirer profit (en annexant, entre autre, le Golan, château d’eau de la région).
5 – La Russie est un allié solide de l’Iran, principal ennemi déclaré d’Israël, auquel il livre de l’armement défensif (missiles S-300, commande iranienne de 9,3 milliards de $ d’armement en novembre 2016 pour des chars T 90 et des avions).
Vladimir Poutine soutient aussi la candidature de Téhéran qui souhaite être membre à part entière de l’OCS (l’Iran en est « membre observateur » depuis plusieurs années). Une appartenance de l’Iran à l’OCS et les livraisons d’armes et de technologies russes pourraient rendre plus délicate, voire plus coûteuse, une intervention militaire préemptive du binôme israélo-US. Quant à la remise en place, contre l’Iran, de sanctions approuvées par l’ONU, elle est peu probable car la Russie, elle même objet de sanctions USA-UE, appliquerait son droit de veto et serait probablement suivie par la Chine).
6- La Russie entretient de bonnes, voire d’excellentes relations avec la Turquie et l’Irak, l’Égypte et la Libye, qui ne sont pas vraiment de grands amis d’Israël.
7 – La Russie a toujours condamné, avec ses alliés des BRICS et de l’OCS, la politique de colonisation, d’apartheid, de répression brutale et disproportionnée de l’État hébreu en Palestine, notamment à Gaza.
8 – La Russie a été, historiquement, terre de très forte présence juive et surtout terre de pogroms, notamment au XIXème et au début du XXème siècle. Une émigration récente et considérable des juifs de Russie (près d’un million depuis 1990) vers Israël ou vers les pays de la coalition occidentale a pu, à tort ou à raison, être perçue comme une forme de désertion par les autorités russes. Elle a considérablement réduit l’effectif et donc le poids politique de la communauté juive en Russie. En 1960 il y avait encore 2,3 millions de juifs en URSS (sur 212 millions d’habitants). Ils ne sont plus que 200 000 aujourd’hui dans la Russie de Poutine (sur 145 millions d’habitants).
9 – Pour assurer son pouvoir, Poutine a dû affronter une nomenklatura et une oligarchie ayant une très forte composante issue de la communauté juive (25% sur les 200 principaux oligarques, beaucoup plus sur la nomenklatura héritée de Boris Eltsine). Pour éliminer ses principaux opposants membres de cette oligarchie, Poutine a dû frapper fort et faire des exemples (Berezovski, Goussinski, Mikhaïl Khodorkovski, Vladimir Yevtushenkov…). S’agissant de la nomenklatura, il a remplacé progressivement les proches d’Eltsine par des hommes à lui à tous les postes clefs.
L’influence du Congrès juif de Russie s’en est trouvé, peu à peu, considérablement réduite.
10- Poutine sait depuis longtemps qui a monté, contre les intérêts russes, le coup d’État de Maïdan en Ukraine alors qu’il préparait et tentait de réussir ses Jeux olympiques de Sotchi. Il sait que Victoria Nulland, maître d’œuvre US de ce coup d’État, est une néoconservatrice pure et dure d’ascendance ashkénaze. Il connaît les liens très étroits qui lient les néoconservateurs US à l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Commitee) et l’AIPAC à Israël. Il connaît ceux qui, au Congrès US, s’opposent aujourd’hui à toute amélioration des relations USA-Russie, pourtant souhaitée par Trump. Il sait l’influence qu’exerce Benjamin Netanyahu sur ces « néocons » du Congrès US.
Au total, le simple examen des faits ci-dessus évoqués montre que la Russie de Poutine et l’État hébreu de Benjamin Netanyahu ne peuvent être que des adversaires irréductibles.
Ces deux hommes qui ne respectent que la force et les chefs d’État forts qui leur ressemblent, ne peuvent que se respecter, voire s’estimer, tout en s’opposant farouchement et froidement l’un à l’autre.
Tous les moyens vont être utilisés par les deux partis pour isoler, affaiblir, neutraliser l’adversaire. S’agissant d’Israël ces moyens utilisés vont inclure l’action conjointe de tous les lobbies qui le soutiennent dans de grands pays (USA, France, GB, Canada, Australie, mais aussi Russie, Brésil, Argentine). Ces lobbies qui lui sont attachés sont particulièrement actifs dans la politique, les médias, les affaires et chez les people.
Le russian bashing dans les médias occidentaux et l’attaque systématique dans ces mêmes médias de tous ceux qui, de près ou de loin, soutiennent la Russie ou veulent simplement dialoguer avec, ou avec tout autre adversaire d’Israël, peuvent facilement se comprendre ainsi.
II - Relations USA-Israël
La relation « fusionnelle » entre les États-Unis et Israël est mieux connue, plus ouverte, mais rares sont ceux qui en identifient tous les ressorts et connaissent la véritable ampleur de l’influence de l’État hébreu sur la politique étrangère US.
Il faut se souvenir que le vote de la résolution 181 des Nations Unies sur le plan de partage de la Palestine et la reconnaissance d’un État juif n’a été obtenu le 29 novembre 1947 qu’après plusieurs tentatives infructueuses dont la première datait de septembre 1947. Les votes favorables n’étant pas suffisants en septembre et toujours pas le 25 novembre, le Yichouv représentant le mouvement sioniste en Palestine, a fait appel à la riche communauté juive américaine et en particulier à la « Zionist Organization of America (ZOA) » pour faire pression sur le gouvernement US afin qu’il incite certains États, en situation de dépendance, à changer leur vote.
Cet appel a porté ses fruits puisque 8 États (dont la France, fortement dépendante du plan Marshall) ont changé leur vote en 4 jours, entre le 25 et le 29 novembre 1947 permettant enfin la reconnaissance de l’État d’Israël. Notons, pour l’anecdote, que Staline, croyant que Ben Gourion allait faire du nouvel État un État communiste, a fait voter en faveur du plan de partage.
À la suite de cette première réussite dans l’instrumentalisation de la communauté juive américaine, l’État hébreu a compris tout l’intérêt d’organiser et de cultiver sa relation avec les États-Unis, pays surpuissant, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec droit de veto.
Dès 1951, l’AIPAC (American Israeli Public Affairs Comittee), principal outil d’influence d’Israël sur le gouvernement des États-Unis, est créé. Il se donne six objectifs principaux :
Faire du lobbying auprès du Congrès américain et de la Maison Blanche pour préserver les intérêts israéliens,
S’assurer du veto des États-Unis contre toute résolution de l’ONU condamnant les actions israéliennes,
Assurer une aide financière et militaire généreuse envers Israël,
Préparer la future génération de leaders US pro-israéliens,
Surveiller les votes et les propos des élus américains concernant les affaires liées de près ou de loin à Israël,
Coordonner et orienter les donations des juifs américains pour les candidats aux élections, notamment présidentielles.
Il est important de noter que ce puissant lobby est riche, bipartisan et plutôt transparent.
Après plus de 65 ans d’existence, il est particulièrement efficace tant chez les Démocrates que chez les Républicains. Il ne cache pas grand-chose de ses objectifs et de ses méthodes.
C’est peut être, en partie, ce qui fait sa force.