« Le jeudi 20 mai, c’était une journée comme aujourd’hui, il faisait beau. Le jeudi 20 mai, je me suis vu mourir sur la route. »
Benoît parle d’une voix douce et posée. Le témoignage de ce policier devant la cour d’assises de Paris, mardi 15 mars, était attendu. Ce quadragénaire aux cheveux bruns est le seul membre des forces de l’ordre à avoir identifié « formellement » l’un des neuf accusés jugés depuis deux semaines pour le braquage avorté de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), qui s’est soldé par la mort de la policière municipale Aurélie Fouquet.
L’accusé en question s’appelle Rabia Hideur. Il a été reconnu de profil par Benoît comme étant le passager avant du fourgon blanc qui a refusé ce jour-là d’obtempérer à un contrôle de police avant d’entamer une course folle sur l’autoroute A4. Benoît et son coéquipier Gaëtan, les premiers à avoir pris en chasse l’utilitaire, ont essuyé des jets d’extincteurs et des tirs d’armes de guerre sur 13 km, lancés à 100km/h.
« C’est pas des guignols, c’est du gros caïd »
« La course-poursuite a dû durer dix minutes mais ça m’a paru deux heures », se souvient Benoît devant les jurés, petit collier de barbe et veste de complet noir. Gaëtan, qui conduisait la Peugeot 308 sérigraphiée, compare la scène à une séquence du film Matrix. « Tout est ralenti, tous les mouvements sont extrêmement lents. » Les deux policiers racontent avoir senti le souffle des balles passer de chaque côté de leur tête, alors qu’ils étaient sortis du véhicule pour s’abriter derrière le muret de l’autoroute.
Tous les collègues qui ont poursuivi la camionnette blanche ce jour-là témoignent de leur sentiment d’impuissance face à un commando aux moyens militaires. Le tireur visant les policiers depuis la porte arrière droite du fourgon est décrit comme un « combattant déterminé vêtu de noir, ganté, cagoulé, équipé d’un gilet d’assaut et d’un gilet pare-balles en dessous ». « Si les gars sont équipés comme ça, c’est qu’ils sont capables de nous massacrer avant qu’on ait eu le temps d’en blesser un », analyse après coup Arnaud, le conducteur de la deuxième voiture de police dépêchée sur les lieux.
Les premiers tirs, « espacés », semblent provenir « d’un fusil d’assaut ou d’une arme de chasse ». Puis ils passent « en mode rafale ». « Je me suis dit “mince, c’est pas des guignols, c’est du gros caïd” », se remémore encore Arnaud, petit homme trapu et bien campé à la barre. Ce policier, un ex-militaire, s’entend encore crier dans le poste de radio.
« Ils tirent pour tuer ! Ils tirent pour tuer ! »
« Ça va faire six ans et j’entends toujours ces tirs »
« On ne maîtrisait rien, on n’est pas préparé pour une équipée comme ça », poursuit Arnaud. « Notre formation est faite pour des malfaiteurs armés de petits calibres, pas d’armes de guerre. » « Moi j’étais policier, pas militaire, abonde Benoît. Ces claquements de “kalach”, ça marque. Ça va faire six ans et je les entends toujours. »
Le policier, dont le récit fait fondre en larmes sa compagne assise dans le public, évoque ainsi une « scène de guerre ». Pour s’en relever, il lui a fallu consulter un spécialiste de l’hôpital militaire Begin à Saint-Mandé, habitué à traiter des soldats de retour du front.
Dans un article de Lyon Capitale daté de septembre 2010, le journaliste Jérôme Pierrat, spécialiste du grand bandistime et co-auteur d’un livre avec l’un des accusés, Rédoine Faïd, compare lui aussi le mode opératoire des caïds de cité à une stratégie militaire.
« Ils ne montent plus sur des braquages, ils vont à la guerre ! (...) Les mecs n’en ont rien à foutre ! Ils partent du principe qu’ils seront plus forts que les gens qui vont intervenir. Un braqueur me disait comme ça : “Pourquoi tu veux qu’on lève les bras parce qu’il y a un mec en bleu qui crie police ! alors qu’il a un pauvre 9 mm dans la main ! Nous, on a des kalach. On leur tire dessus, c’est tout...” Alors qu’avant, il y a avait une sorte de respect entre policiers et grands bandits. »