On ne tire pas la masse vers le haut, on s’y conforme : comme à l’école, comme dans les livres, comme à la télévision.
Ainsi donc, La France insoumise a obtenu gain de cause. On ne sera plus obligé de porter une veste ni une cravate à l’Assemblée. Ce « rejet des codes vestimentaires qui nous sont imposés », pour reprendre les mots mêmes des Insoumis, rejet dans lequel Jean-Louis Debré voit un « avachissement », est un aboutissement logique.
L’histoire de la norme vestimentaire a connu une évolution vertigineuse dans la deuxième moitié du XXe siècle. « On change de siècle tous les dix ans », disait Michel de Saint-Pierre à propos de l’époque dans laquelle il vivait. Remarque qui vaut pour les tenues et la tenue : à la femme qui n’aurait pas osé « sortir en cheveux » au tournant des années cinquante a succédé, pour les femmes de notre siècle, l’alternative si justement résumée par Alain Soral : burqa ou string. La chauve-souris ou la morue. La jupe est mal vue par les féministes (sans doute parce qu’elle ne pardonne pas), la recherche n’est acceptée que si elle s’accompagne d’une forme de vulgarité, la beauté est suspecte. « Profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les cœurs abjects », disait avec fulgurance Jünger, prophète des temps démocratiques.
Quant aux hommes, jadis rassemblés sous les mêmes chapeaux de feutre et les mêmes costumes sombres, ils sont désormais unis par une même absence de recherche et un même abandon de soi, portant tous les jours des tenues dans lesquelles leurs pères n’auraient pas osé aller courir. L’homme élégant s’entendra sans doute demander s’il va à un mariage, pour peu qu’il ait moins de soixante ans. Ce n’est plus le prolétaire qui s’endimanche pour être correct, c’est le bourgeois qui se clochardise pour être cool. Signe des temps ; tout le monde en T-shirt et bermuda. Il y a encore des restaurants qu’on ne peut pas fréquenter sans cravate, des banques qui ne tolèrent que les costumes gris ; mais à l’assemblée du peuple, on s’habille comme le peuple. Pas très vertical, pas très jupitérien tout ça.
Au-delà de l’anecdote, le geste des Insoumis, qui consiste à faire entrer dans la solennité républicaine des comportements « par défaut » que l’on trouve au coin de la rue, au lieu de dicter une norme exigeante, correspond bien au comportement du Parlement : le rôle du législateur n’est plus de modeler le réel mais de prendre acte de l’entropie ambiante pour l’inscrire dans le marbre. Il en va de la PMA comme de l’absence de cravate. Ça existe, donc c’est la nouvelle loi. On ne tire pas la masse vers le haut, on s’y conforme : comme à l’école, comme dans les livres, comme à la télévision. L’Assemblée, héritière des structures romaines qui s’articulaient autour de la dignitas, le sens de son rang, s’est oubliée. Quand ils se rendirent à Rome, les ambassadeurs de Pyrrhus dirent à leur maître que le Sénat leur avait paru « une assemblée de rois ». Cela en dit long sur la tenue, sur le sens de la cité, sur l’allure, sur la « gueule » des sénateurs. Une assemblée de rois : et nous ? Voilà peut-être pourquoi le service public va cesser de diffuser les questions au gouvernement : le spectacle de cadres du tertiaire en bras de chemise qui se curent le nez en éructant des banalités n’a pas besoin d’une diffusion télé. On a les mêmes sur notre lieu de travail. Exit la transcendance : ce n’est plus une Assemblée debout, c’est une Assemblée en marche.
« Le style, c’est l’homme », disait Buffon ; projection extérieure de notre respect pour les autres, l’élégance n’est pas une frivolité mais une hygiène. On s’habille par fidélité, par convention si l’on veut, mais surtout par respect et un peu par goût. Mots clivants, peu égalitaires ; notions nauséabondes de hiérarchie, de « chacun à sa place », de codes, que signalaient justement les mille subtilités du port du chapeau. On attend les huissiers en costard lambda, façon pompes funèbres. Ça ne devrait pas traîner.