Depuis 2008, la crise économique, et plus encore aujourd’hui la crise de la dette, nous sont présentées comme s’il s’agissait de phénomènes météorologiques imprévisibles. Il est pourtant évident que ces successions de crises, si elles n’ont été provoquées, sont au moins utilisées afin de reconfigurer l’économie mondiale.
Dès 2008, à peine avait-on désigné les responsables de la crise économique mondiale qu’on les a escamotés en expliquant qu’ils n’y étaient pour rien ou presque, qu’en somme ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, que la responsabilité est à ce point diluée dans le pouvoir économique qu’il serait archaïque, barbare, digne des persécutions de l’Inquisition, de vouloir frapper des coupables. Bref, il n’y a plus de responsables de rien : c’est la faute à la « technostructure », par exemple, ou aux « conditions », qui, il faut bien l’admettre, sont mauvaises.
On serine tellement que ce sont les « conditions » qui sont mauvaises qu’on en oublie qu’en réalité ce sont les hommes qui le sont, et particulièrement ceux qui ont fait les choix qui nous ont amenés à la catastrophe actuelle.
Une restructuration économique permanente
Les jeunes qui se retrouvent sur le marché du travail ne peuvent plus croire aujourd’hui qu’une quelconque sécurité leur sera automatiquement octroyée en contrepartie de leur soumission silencieuse. Leurs aînés ne peuvent plus croire que quarante années de parfaite résignation leur garantiront une retraite lorsqu’ils seront devenus des semi-infirmes. Les étudiants ne peuvent plus croire, comme il y a peu, que les diplômes qu’ils s’efforcent d’acquérir leur assureront une espèce de quiétude somnifère ultérieur. Et même les commerçants ne croient plus à une « reprise » qui mettrait fin à la « crise » actuelle : ils découvrent qu’il ne s’agit pas cette fois d’une maladie aiguë et violente, comme en 1929, mais plutôt d’un affaissement progressif et inexorable, comme une agonie. En sommes, presque personne ne croit plus à un avenir acceptable que pourrait garantir une bonne conduite.
Mesures antidémocratiques
Il y a un parallèle intéressant à faire entre les « attentats » du 11 septembre 2011 et la crise de la dette des Etats. Dans le premier cas, une des premières réactions aura été de limiter les libertés individuelles en introduisant en urgence dans les législations des pays occidentaux toutes sortes de mesures oppressives. Dans le cadre la crise de la dette, ce sont des plans de rigueur budgétaire qu’il convient de mettre en place, afin de se soumettre aux exigences des agences de notations. Dans les deux cas, aucune de ces mesures n’auraient pu être prises dans un cadre démocratique normal.
C’est sous le prétexte de situations d’urgence, et même de catastrophes en cours, qu’il a été possible de prendre des décisions arbitraires. Mais la manoeuvre est bien plus cynique dans le cas de la crise de la dette des Etats, puisqu’après avoir fait payer aux populations, dès 2008, le sauvetage des banques, il convient maintenant de les culpabiliser en leur reprochant d’avoir vécu « au-dessus de leur moyen », et d’exiger d’elles de renoncer à leur retraite, à leur couverture de santé, etc. en même temps qu’elles doivent concéder à une réduction des salaires et une augmentation des impôts directs et indirects. Mais est-ce que les ouvriers grecs, espagnols ou italiens, qui ont travaillé pendant quarante ans dans une usine, ont vécu au-dessus de leur moyen ? Est-ce qu’ils ont eu leur mot à dire quand leurs gouvernements ont décidés de dépenser des milliards en s’impliquant militairement dans les guerres d’Irak, d’Afghanistan, aujourd’hui en Libye et sans doute demain en Syrie ? Est-ce que ce sont les ouvriers grecs, espagnols ou italiens qui se réunissent au World Economic Forum ou aux réunions du groupe Bilderberg pour décider de l’avenir du monde ?
Conflit d’intérêts
Les responsables politiques dénoncent aujourd’hui les « conflits d’intérêts flagrant » des agences de notations. On leur reprocherait d’avoir des banques dans leur clientèle. Quelle découverte ! Mais est-ce que les hommes politiques ne sont pas non plus, eux aussi, constamment en conflit d’intérêt flagrant avec l’oligarchie financière ? Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas, par un décret du 31 décembre 2010 (une date qui devait le rendre invisible) élevé au rang de Grand-croix de l’ordre national de la Légion d’honneur un certain Marc Ladreit de Lacharrière, actionnaire principal de l’agence de notation Fitch ? (1) Mais enfin, quiconque sait un peu dans quel monde il vit ne saurait être surpris des connivences, cooptations et renvois d’ascenseur qui assurent le renouvellement des classes dominantes.
Une guerre faite contre chaque être humain
On connait le rôle qu’ont chaque fois joué les guerres au cours de l’histoire moderne, pour accélérer la reconfiguration de l’économie. La crise de la dette des Etats est elle aussi une guerre. Une guerre qui est livrée à chaque être humain qui n’appartient pas, par la fortune ou le statut, à la caste dirigeante.
D’ailleurs, l’économiste américain Lester Brown à, en 2007, publiquement appelé à « une mobilisation de temps de guerre », et a proposé pour modèle l’appareil productif pendant la Deuxième Guerre mondiale, soulignant cependant cette différence que « la restructuration économique ne devait plus être temporaire mais permanente ». Rappelant encore que « l’année 1942 a été le témoin de la plus grande expansion de la production industrielle de l’histoire du pays ». Lester Brown s’exalte au souvenir de cette mobilisation totale, avec son rationnement et son organisation autoritaire : « Cette mobilisation des ressources, effectuée en l’espace de quelques mois, démontre qu’un pays et, en fait, le monde entier, peut restructurer son économie rapidement s’il est convaincu de la nécessité de le faire ». La nécessité semble aujourd’hui à nos portes.
Afin d’étayer notre propos, nous publierons dans les jours à venir la suite de cet article, sur plusieurs parties : II. Détruire la classe moyenne ; III. Restructurer par le chaos ; IV. Vers une société 80/20 ; V. Réduire la population mondiale
(1) Lire Le patron de Fitch Ratings promu par Sarkozy à l’ordre national de la Légion d’honneur.