Rappelons en préambule la citation d’un ancien séminariste géorgien : « La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre ». Il s’en servira plus tard, ayant quelque peu grimpé dans la société russe, pour purger le pommier. Chez nous, la culture n’est pas un vain mot.
Un siècle plus tard, la tribu des Sagazan cartonne dans une France multiculturelle, c’est-à-dire pas culturelle du tout. SOS racisme et Julien Dray nous ont fait croire que les cultures s’enrichissaient les unes les autres, et on voit que nos enfants parlent ouolof en classe. Quelque chose aurait-il merdé, en route ?
Les Victoires de la musique, qui n’ont jamais été celles des mélomanes, consacrent cette année Zaho de Sagazan, qui rafle 4 médailles d’or. On écoute son discours larmoyant :
« Je suis née très sensible, comme vous pouvez le remarquer, et un jour j’ai découvert la musique et je me suis rendu compte qu’en pleurant sur mon piano ça me faisait Dien Bien Phu, ça faisait de mal à personne et surtout ça faisait des jolies chansons. Et je me suis rendu compte que ce que je pensais être mon plus grand défaut dans ma vie était finalement ma plus grande qualité ! »
Tant de talent, de modestie, de génie, de sensibilité, de grâce... Zaho a su cocher toutes les bonnes cases, comme dans le terrible QCM de médecine en fin de première année. En revanche, on voit pas bien le lien avec Diên Biên Phu, mais ça doit être ça, le génie.
C’est peut-être que la voix off de cette vidéo donnerait une jolie chanson ?
« La peur montait avant les opérations
Le regard fixe, le ventre noué
Nous la regardions comme une bête tapie dans l’ombre
C’était un sentiment souterrain, gris et fade, qui collait à la peau
Devant le danger la bête se réveillait, elle claquait dans les tempes
Avancer était pour nous une manière de lui échapper »
Chez les Sagazan, on est géniale de père en fille. Si Zaho est la fille du « peintre, sculpteur et performeur » Olivier de Sagazan, l’homme qui aboie contre le FN, sa cousine Lorraine a aussi droit à son Wiki avec son CV de comédienne-philosophe.
De 2015 à 2019, elle est dans un cycle d’écriture dédié à l’adaptation de fictions du répertoire dramatique abordant la définition de soi.
Justement, on a retrouvé une de ses œuvres. Et c’est grâce au Monde.
Une salve d’applaudissements et puis une vague de silence. À l’issue de la création signée par Lorraine de Sagazan au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, les spectateurs sont restés immobiles. Sidérés par ce qu’ils venaient de vivre, beaucoup ont pris de longues minutes avant de se lever et de quitter les lieux. Cet accueil saisissant était à la mesure d’une représentation qui, parce qu’elle se tient dans un mutisme presque total, fait rupture dans l’histoire de la Comédie-Française.
On dirait un édito parodique, mais on peut vous jurer sur la tête de Staline que c’est pas du flan.
« On a été obligés d’aller chercher dans ce qui empêchait la parole, et finalement est arrivée l’idée de l’innommable, donc par définition ce qui ne peut pas se dire. »
« On a travaillé sur l’intériorité des personnages. Comment l’absence de mots, les silences, ne sont pas un vide mais un plein. » (Lorraine à France Info)
La cousine Sagaz c’est pas la folle qui chasse les mouches dans la bande-annonce : elle a coécrit cette pièce sans texte (un exploit), l’actrice s’appelle Marina Hands, une autre « fille de ».
On entend d’ici les critiques des gauchistes qui vont tomber sur notre papier et nous accuser d’être dépassés culturellement. C’est vrai que la critique de sceneweb.fr n’y va pas avec le dos de la cuillère trouée :
Est-elle encore une femme ou juste un corps absent à lui-même, une pure enveloppe charnelle qui, telle une pietà, porterait le poids colossal de son malheur sur ses épaules et sur son visage ?
Sur le plateau du Vieux-Colombier, au centre d’un dispositif bifrontal qui permet de mieux les observer, les traits de cette femme-là sont tirés, son expression défaite, ses yeux noyés dans le vague. Accompagnée par un triste sire à la présence fantomatique et au regard empli de détresse, elle apparaît défigurée par la souffrance, précipitée dans un puits sans fond où elle n’aurait pas d’autre choix que de continuer à sombrer. À intervalles réguliers, ses jambes paraissent faiblir, incapables de soutenir un cœur et une tête devenus trop lourds. Tout juste a-t-elle assez de force pour faire rebondir une balle de tennis sur le sol et l’envoyer à ce chien qui la sollicite. Un chien petit, curieux, nerveux, dont émane un puissant sentiment de vitalité qui tranche avec l’accablement, un brin rageur, de sa maîtresse.
Le petit chien qui aboie, c’est papa ?
Conclusion ? On a une Sagazan qui fait du boucan, et l’autre qui fait du silence. À elles deux, elles couvrent tout le spectre de la culture française d’aujourd’hui.
Maintenant, parce qu’on est quand même pragmatiques, faut voir si ces deux Sagaz s’exportent (au-delà des frontières de Paris). Parce que la culture c’est bien, mais la balance commerciale et le renflouage des caisses (hum), c’est mieux.