La tragi-comédie des plans de sauvetage européens continue avec un nouvel épisode particulièrement riche en rebondissements. Après le tollé délenché par l’annonce d’une taxe sur les dépôts des épargnants, le Parlement chypriote, suivant sa population, a refusé le plan signé samedi, même amendé.
Amateurisme ou machiavélisme ?
On ne croirait pas que Nicosie a demandé l’aide de l’UE il y a neuf mois devant le déluge de critiques du plan, quasiment unaniment condamné par les politiques et les journalistes, à l’exception notable de Jacques Attali. Mais comment les eurocrates et les dirigeants chypriotes ont pu ne pas avoir anticipé le tollé que déclencherait la taxation des dépôts bancaires ? À moins qu’ils aient proposé un premier plan très choquant à dessein pour pouvoir le réviser sans remettre en cause le principe, un peu comme le gouvernement le fait sans doute avec le livre blanc de la défense.
Le plan présenté samedi prévoyait en effet de taxer à hauteur de 6,75% les dépôts bancaires jusqu’à 100 000 euros et 9,9% au-delà. Les signataires de l’accord (on serait curieux de savoir si les signataires chypriotes avaient laissé beaucoup d’argent dormir sur leurs comptes…) pensaient sans doute que le fait que cette taxe touche les déserteurs fiscaux et l’argent sale notamment venus de Russie parviendrait sans doute à faire passer cette mesure extraordinaire.
C’était sans compter sur la révolte de la population. Dès lundi, l’Eurogroupe a demandé plus de progressivité dans la taxation. On se demande ce qu’avaient fait les eurocrates pendant les neuf mois de négociations… Un nouveau projet a donc été concocté, qui épargne totalement les dépôts inférieurs à 20 000 euros, pour protéger les petits épargnants de la taxe. Mais, le gouverneur de la Banque Centrale de Chypre a répliqué en jugeant qu’il ne fallait pas réduire le montant total de la taxe. Finalement, le Parlement a rejeté le plan, aucun député ne le soutenant, 36 votant contre, 19 s’abstenant.
Une taxe injuste et dangereuse
Au global, cette taxe posait d’immenses problèmes. En effet, elle aurait touché disproportionnellement les citoyens économes qui souhaitent avoir de la liquidité. Sur des personnes possédant 10 000 euros, celle qui conserve tout en liquide aurait payé 675 euros, et celle qui en place 9 000 euros et ne garde que 1 000 euros en liquide aurait payé dix fois moins. Est-ce véritablement juste ? Et je ne parle même pas de ceux qui avaient temporairement une forte somme d’argent sur leur compte…
En outre, les personnes qui font de la désertion fiscale laissent rarement leur argent dormir et il est probable qu’elles placent la quasi-totalité des sommes qu’elles détiennent, ce qui leur permettrait d’échapper à la taxe. Bref, il y avait un côté abitraire très choquant. En outre, le montant était énorme puisque le seul précédent, exhumé par le Monde, est une taxe de 0,6% (plus de 10 fois moins), en 1992. De plus, il est totalement révoltant de prêter 10 milliards à un parasite fiscal sans exiger qu’il remonte davantage son impôt sur les sociétés, qui ne passerait que de 10 à 12,5%...
Ce plan pose encore d’autres problèmes. En créant un tel précédent, il est bien évident que les eurocrates et les dirigeants pourraient être tentés de réitérer l’opération, notamment à Athènes, à laquelle Jacques Sapir a consacré un papier intitulé « Les veines ouvertes de la Grèce ». Mais cela pourrait encore accélérer la fuite des capitaux (qui ont déjà fondu de 40% depuis le début de la crise) et renforcer la crise bancaire qui sévit depuis 2008 et s’est aggravée depuis 2010 en Europe. Enfin, on peut se demander si les banques ne devraient pas être traitées comme en Islande plutôt qu’en Irlande.
Bref, ce plan était un véritable scandale qui révélait seulement que les eurocrates sont prêts à faire tout et n’importe quoi pour sauver leur veau d’or, la monnaie unique. Mais à force de faire n’importe quoi, ils ont fini par réveiller des parlementaires qui ont refusé ce diktat. La démocratie a pris sa revanche.