Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra), revient pour Marianne sur l’instrumentalisation du terme « islamophobie » par une sphère très active sur les réseaux sociaux.
Marianne : Dans le cadre de vos fonctions à la tête de la Dilcra, vous refusez d’employer le terme d’islamophobie. Pouvez-vous nous détailler pourquoi ?
Gilles Clavreul : Le terme est trop souvent utilisé dans une visée polémique. Il recouvre pourtant des des réalités très différentes. Il y a dans notre pays – et c’est un fait extrêmement préoccupant – une multiplication d’actes ou de propos qui tombent sous le coup de la loi, ce sont les actes anti-musulmans. Mais ceux qui cherchent à imposer le terme « d’islamophobie » dans le débat public, visent aussi tous les propos et toutes les décisions publiques qui, sans viser nécessairement des musulmans en tant que musulmans, sont susceptibles de faire grief. C’est typiquement le cas des décisions prises pendant l’état d’urgence. Or, si un citoyen musulman a enfreint la loi, il est sanctionné parce qu’il a commis une infraction, pas parce qu’il est musulman.
Au-delà des échanges par médias interposés avec ces groupes, avez-vous eu des discussions en direct avec eux ?
C’est difficile de discuter lorsque vos interlocuteurs sont dans le registre de l’invective, et ne s’intéressent absolument au travail concret réalisé par la Dilcra. Récemment, nous avons installé un conseil scientifique composé d’une vingtaine d’intellectuels reconnus, représentants notamment des institutions comme la CNCDH, le Musée d’histoire de l’immigration ou le Comité pour la mémoire de l’esclavage. Ce fut aussitôt un déluge d’insultes – dont j’ai du mal à percevoir la logique – toujours animé par le même petit groupe de gens sur les réseaux sociaux, tels qu’Al Kanz, Marwan Muhammad ou encore Xavier Ternisien (ancien journaliste au Monde, ndlr).
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L’Observatoire de la laïcité s’est déchiré après les propos d’Elisabeth Badinter selon lesquels « il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe » lorsqu’il s’agit de défendre la laïcité. Quel regard portez-vous sur cette polémique ?
Oublions la polémique et revenons sur le fond : si la défense, sereine et mesurée mais néanmoins ferme, de la laïcité, vous fait courir le risque d’être traité « d’islamophobe », alors que votre propos n’est en aucun cas dirigé contre l’islam, c’est un risque qu’il faut savoir accepter. Voilà ce qu’a dit Elisabeth Badinter, et qui est bien sûr tout à fait différent de la tentative par l’extrême-droite de détourner à son profit la laïcité pour en faire un cheval de Troie anti-immigrés, au prétexte fallacieux que l’islam ne pourrait jamais s’acclimater en Europe. Les républicains doivent repousser avec une égale énergie le « chantage à l’islamophobie » et le chantage identitaire imposé par l’extrême-droite.