Entretien avec Xavier Moreau, directeur d’un cabinet de conseil en Russie, auteur de La Nouvelle Grande Russie et cofondateur du site Internet d’analyse politico-stratégique stratpol.com, qui ouvrira au mois d’octobre.
Tout comme les pays occidentaux, la Russie fait face à de lourdes menaces lancées par l’État Islamique installé en Irak. Pourtant, si la Coalition internationale menée par Washington s’est lancée dans une guerre ouverte contre les djihadistes, Moscou ne devrait pas franchir le pas.
Comment l’État islamique est-il une menace pour la Russie ?
Xavier Moreau : L’EI est une menace pour le Caucase russe. Soit parce qu’il consiste en un centre d’entraînement pour les islamistes caucasiens, soit parce que les volontaires islamistes peuvent se diriger vers le Caucase pour y continuer le Djihad. La Russie est un ennemi systématiquement désigné par les Djihadistes, car son modèle assimilationniste est bien plus dangereux pour l’expansion de l’Islam radical, que celui du choc des civilisations prôné par Washington.
Les Russes comptent-ils agir contre ces djihadistes ?
En soutenant Assad en Syrie et en ayant livré des SU 25 à l’Irak, la Russie a été la première à apporter une aide concrète aux deux Etats prioritairement menacés.
La Russie n’interviendra que dans le cadre d’une résolution des Nations unies ou en continuant son soutien aux gouvernements légaux irakien et syrien. Ce peut être par des livraisons de matériels ou par des conseillers militaires.
Lors des négociations pour la création de la Coalition internationale, la Russie a ironisé sur le combat des Occidentaux contre « ceux qu’ils soutenaient » quelques mois auparavant. La diplomatie russe sort-elle gagnante de ces événements ?
La diplomatie russe serait sortie gagnante si elle avait pu dissuader les occidentaux de soutenir les islamistes dans la région, ce qui ne fut pas le cas.
On pourra lui reconnaître la justesse de ses analyses, mais parler d’une victoire serait exagéré. En revanche, la victoire russe est clairement dans la négociation réussie sur la destruction des armes chimiques syriennes, qui ont empêché le bombardement de la Syrie par les occidentaux.
Les États-Unis ont mené des frappes en Syrie. Peut-on croire que la Russie a servi d’intermédiaire entre les Américains et la Syrie pour se concerter sur ces attaques ?
C’est peu vraisemblable. Les États-Unis ne demanderont pas l’autorisation de Bagdad. Si la Russie s’est montrée solidaire sur la nécessité de lutter contre l’État islamique, elle est restée très prudente sur la légalité des actions entreprises et leur conformité au droit international.
Peut-on imaginer que la Russie entre officiellement et activement dans la Coalition internationale ?
Uniquement en cas de décision du Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui est peu probable, car une telle décision limiterait l’action des Occidentaux. Washington garde en tête la possibilité de faire tomber Assad, et de créer un État du Kurdistan, qui serait sous son contrôle. Il n’y aura jamais de soutien aveugle aux Occidentaux, car l’expérience a prouvé à Moscou que les ennemis islamistes de Washington aujourd’hui peuvent devenir ses alliés de demain.
Il faut ajouter que les analystes russes restent sceptiques sur l’efficacité des bombardements occidentaux, qui pour l’instant consistent en des frappes à haute altitude. Pour être efficace sur le terrain, ces bombardements doivent se faire à basse altitude et être coordonnées avec des opérations au sol des armées irakienne et syrienne. Cela suppose donc, non seulement de se mettre d’accord avec Assad, mais d’avoir une collaboration au niveau des états-majors. On en est loin.
Les Russes ne participeront pas à des opérations de bombardements symboliques, qui en plus pourraient avoir des dommages collatéraux importants.
Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press.