« Il va de soi que nous n’avons pas connu de semaines aussi décisives pour le commerce mondial depuis les années 1930 ». Mardi 5 août, le monde se divise en deux catégories : ceux qui paniquent à la lecture de cette phrase, glissée dans un éditorial du quotidien britannique The Guardian, et ceux qui n’ont rien compris à la guerre commerciale qui oppose les deux premières économies mondiales. En l’espace de quelques jours, les États-Unis ont annoncé de nouveaux droits de douane sur les importations chinoises, la Chine a laissé chuter sa devise vis-à-vis du dollar et les marchés financiers se sont jetés par la fenêtre. Or, si le monde vit un moment crucial de son histoire économique, difficile de s’y retrouver pour quiconque ne possède pas la bosse de l’éco !
Comment le battement d’une aile de portefeuille à Wenzhou est susceptible de provoquer une tempête sur Wall Street ? Pourquoi l’envol d’un tweet de la Maison Blanche fait-il planer la menace d’une récession sur l’Union européenne ou présage d’une remise à plat de l’économie mondiale ? Franceinfo explique cette guerre froide économique aux non-initiés.
Pourquoi Donald Trump en veut-il à la Chine ?
« China, China, China ». Donald Trump n’a pas attendu d’être président des États-Unis pour s’en prendre à l’empire du Milieu. Pendant la campagne de 2016, il accusait Pékin de « violer les États-Unis » et d’être le « plus grand voleur de l’histoire du monde ». Devenue en 2009 le premier exportateur de la planète, avant de ravir aux États-Unis son titre de première économie mondiale en 2014, la Chine se dresse entre Donald Trump et son désormais célèbre « Make America great again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique »).
Panneaux solaires, iPhone, soja, viande de porc, jouets, vêtements, pianos, pneus, rouge à lèvres... Des conteneurs chargés de biens en tous genres circulent sans interruption entre les deux pays. Or, le milliardaire ne cesse de répéter que cette relation est asymétrique. En commerçant avec la Chine, les États-Unis « perdent de l’argent », martèle-t-il.
Son calcul est le suivant : la Chine a exporté pour 558 milliards de dollars de biens vers les États-Unis en 2018. De leur côté, les États-Unis n’ont exporté « que » 178 milliards de dollars de biens en direction des consommateurs chinois. Ces 380 milliards de dollars de différence constituent ce qu’on appelle, dans le jargon, « la balance commerciale ». Et puisqu’elle est déficitaire coté américain, Trump estime que les Chinois ne la jouent pas « réglo ». Ainsi, il s’est donné pour mission de rétablir cet équilibre... Et de faire la leçon à Pékin.
Et il a raison ou il exagère ?
Disons que, si la Chine a rejoint en 2001 l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle y défend une conception très personnelle de l’économie de marché, héritée de son passé communiste. L’État chinois est fréquemment accusé (y compris par l’UE) de subventionner massivement les entreprises chinoises en leur accordant ses marchés publics. Plus généralement, ses partenaires commerciaux lui reprochent de s’asseoir sur les règles du commerce international, en ayant recours par exemple au dumping – une pratique consistant à vendre un bien moins cher à l’étranger afin de gagner des parts de marché. Pour toutes ces raisons, les États-Unis ont déposé trente-quatre plaintes contre la Chine devant l’OMC (l’UE en a déposé huit) depuis 2001, relevaient Les Échos il y a près d’un an et demi.
D’un point de vue stratégique, la Chine tire parti de son atout numéro un : son milliard de consommateurs. Une entreprise étrangère veut s’installer en Chine et percer ce marché démesuré ? Très bien, répond Pékin, à condition que le nouvel arrivant fasse cadeau de sa technologie à la Chine. Toujours plus puissant, le pays rachète aussi des entreprises étrangères afin de s’imposer dans des secteurs-clés : fin 2017, Donald Trump a bloqué le rachat par un fonds d’investissement appuyé par un groupe étatique chinois de la firme électronique américaine Lattice, dont les produits promettent d’éventuelles applications militaires. Ils avaient mis 1,3 milliard de dollars sur la table.
Après avoir été, dans les années 1990, l’« atelier du monde », la Chine mise sur ses brevets et ses nouvelles connaissances pour moderniser son industrie, dans le cadre du plan « Made in China 2025 ».
« Dans la saga de la rivalité sino-américaine, “Made in China 2025” est sur le point de devenir le grand méchant, la vraie menace existentielle pesant sur la domination technologique des Etats-Unis, prévient Lorand Laskai, spécialiste de l’Asie pour le Council of Foreign Relations. Les intentions de la Chine ne sont pas de rejoindre le rang des économies high-tech (...) mais de toutes les remplacer. »
Pour Trump, l’enjeu de ce bras de fer est colossal. D’où un plan d’attaque à la Chuck Norris : « On va les taxer jusqu’à ce qu’ils se comportent correctement. »
Concrètement, ça ressemble à quoi une guerre commerciale ?
Une guerre commerciale, « c’est comme au ping pong, sauf que les balles sont des dollars et que les raquettes sont des dossiers », pour citer les stratèges de la Cogip. Ici, la Chine et les États-Unis s’envoient des droits de douane à la figure. Dès le mois de mars 2018, le président américain a utilisé ce levier contre la Chine en annonçant une taxe à hauteur de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur l’aluminium. Pourquoi ça fait mal ? Parce que l’empire du Milieu est le plus gros exportateur d’acier au monde. Dans la foulée, Trump ajoute que 1 300 produits chinois seront taxés.
En représailles, Pékin dévoile une liste de 128 produits américains taxés en retour. Huit d’entre eux à hauteur de 25 % (l’aluminium de récupération, les produits à base de porc...), tandis que le vin américain, les pommes, les baies ou encore les amandes prennent 15 % dans la vue. Et ce n’est que le début. Taxes. Contre-taxes. Taxes. Contre-taxes... Fin août, Washington impose des droits de douane majorés de 25 % sur un total de plus de 250 milliards de dollars de biens chinois importés. La Chine, elle, surtaxe plus de 5 400 produits américains (dont les balles de ping pong et les raquettes de badminton), à hauteur de 110 milliards de dollars.
Quand le pays de l’Oncle Sam annonce que les importations chinoises jusque-là épargnées seront à leur tour taxées à hauteur de 10 % à partir du 1er septembre, Pékin monte au filet et décide tout simplement de ne plus importer (au moins provisoirement) de produits agricoles américain. Le manque à gagner est immense pour les États-Unis. Entre le 19 juillet et le 2 août, la Chine leur a acheté 130 000 tonnes de soja, 120 000 tonnes de sorgho, 60 000 tonnes de blé, 40 000 tonnes de porc et 25 000 tonnes de coton, liste Les Echos.
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