La concentration de la propriété privée des médias continue de s’accentuer, remettant la grande majorité des médias dominants entre un tout petit nombre de mains. Après avoir proposé une synthèse des causes et des épisodes récents de ce processus, nous nous intéressons ici à ses conséquences : une dépendance toujours accrue aux pouvoirs économiques et politiques.
Après une période aussi mouvementée dans le grand Monopoly des médias, on se pose volontiers cette question : qui détient les médias privés en France ? Le Monde répond par une infographie (voir image ci-dessus), L’Obs par une autre (voir schéma interactif ci-dessous). On y compte un petit nombre de groupes se partageant la quasi-totalité des médias « traditionnels » (presse, radio, télé) de diffusion nationale et leurs déclinaisons sur Internet [1].
Pour la plupart d’entre eux, la branche « média » ne représente qu’une part de leurs activités (voir en annexe pour une description succincte des activités de ces multinationales). Cela pose bien sûr la question de l’indépendance de ces médias vis-à-vis des puissances financières qui les possèdent. Mais aussi vis-à-vis de la puissance publique pour ceux ayant des activités dépendant de la commande publique (armement, construction, transport ou télécommunications). Cela implique également que toutes ces entreprises, bien que souvent concurrentes, partagent des intérêts fondamentaux communs : reproduction et renforcement des structures capitalistes qui assurent leur existence et leur puissance.
Par ailleurs, les entreprises de télécommunications possèdent également les infrastructures de diffusion de certains médias (Internet et télévision via les « box ») ; elles sont ainsi propriétaires à la fois des « tuyaux » et de ce qui y passe (les fameux « contenus » : articles, vidéos…). Ajoutez-y le contrôle de sociétés de production de « contenus » en tout genre (films, émissions, etc.), comme Vivendi Universal [2], Lagardère [3], et peut-être bientôt Bouygues [4], et vous aurez une estimation de leur poids sur toute la chaîne de production et de diffusion médiatiques.
Le Monopoly : un jeu à jouer entre amis
En France, un petit groupe de personnes contrôle donc l’essentiel des moyens privés de production de l’information télévisuelle et radiophonique (ainsi que leurs sites internet). Ces personnes appartiennent au même univers, celui des PDG d’entreprises transnationales, des capitaines d’industrie, des financiers et des gestionnaires de conseils d’administration. Leurs activités les amènent à échanger régulièrement leurs parts dans les diverses entreprises qu’ils possèdent afin de consolider leurs positions ou leurs stratégies respectives.
En 1998, déjà, Vincent Bolloré avait revendu les parts qu’il détenait chez Bouygues à… François Pinault et à son groupe Artemis ; en 2004, Bernard Arnault entre au conseil d’administration de Lagardère, il y restera jusqu’en 2012 ; en 2010, Bernard Arnault rachète Le Journal des finances (devenu Investir-Le Journal des finances au sein du groupe Les Échos) à… Serge Dassault ; en 2012, Vincent Bolloré devient le premier actionnaire de Vivendi en revendant au groupe Canal+ ses chaînes D8 et D17 contre des actions ; la même année, c’est Lagardère qui cède sa participation dans Canal+ France (20%) au groupe Vivendi (de Vincent Bolloré …) ; en 2013, Amaury rachète au même Lagardère sa participation dans le groupe familial (25%) ; en 2014, Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré, cède 80% de l’entreprise de télécommunications SFR au groupe Altice de Patrick Drahi, les 20% restants suivront le même chemin en 2015 [5].
Ainsi vont les médias privés, dont la gestion est devenue une activité parmi d’autres au sein de grands conglomérats industriels et financiers. Un lecteur particulièrement optimiste (ou inattentif ou encore naïf) pourrait penser qu’une rédaction peut très bien, même dans ces conditions, travailler en parfaite autonomie et en toute indépendance – sous la surveillance de quelque comité d’éthique par exemple. Mais les transactions récentes nous permettent au contraire d’apercevoir les procédés – souvent brutaux et moins visibles habituellement – par lesquels les propriétaires influencent le fonctionnement des médias dont ils se sont rendus maîtres.