Jeudi 2 mars 2017, l’ex-Grand Maître du Grand Orient de France Alain Bauer, l’homme aux multiples casquettes, le monsieur Sécurité de Sarkozy puis de Hollande, donnait une conférence à la synagogue de Lille à l’invitation du président de la communauté juive de la ville.
Lors de cette conférence magistrale, Alain Bauer livre un cours historico-politique sur le terrorisme mondial, ses racines et ses conséquences sur les services de renseignement occidentaux et les politiques sécuritaires des pays touchés par ce fléau. Politiques de sécurité dont il est partie prenante.
« En 1989, la chute du mur de Berlin, le retrécissement de l’ancienne Union soviétique a amené mécaniquement à la disparition d’un des deux grands acteurs et immédiatement, comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton off, le terrorisme traditionnel dit gauchiste, anarcho-gauchiste occidental disparaît. Du coup nous sommes fort dépourvus car nous manquons d’ennemis. Il faut donc se trouver dans une situation visant à en trouver un de substitution. Nous cherchons désespérément un ennemi de substitution et comme nous ne sommes pas extrêmement créatifs, nous regardons ce qu’il y a en magasin, ayant perdu l’ennemi rouge nous décidons unilatéralement que le moment était venu de prendre un ennemi jaune. [...]
Le problème c’est que en 1989 nous avons totalement sous-estimé trois épisodes qui avaient commencé 10 ans auparavant et qui expliquent la situation du monde aujourd’hui.
Premier événement, le plus oublié de tous alors que c’est le plus important de tous y compris pour nous les Français, c’est l’épisode de la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par 500 hurluberlus yéménites, saoudiens, égyptiens et autres venant d’une université islamique locale et qui prennent le contrôle de la Grande Mosquée et qui surtout tiennent la Grande Mosquée pendant plusieurs jours. »
Ce sont effectivement les Français du GIGN, sur ordre de Giscard, qui ont repris la Mosquée aux djihadistes qui avaient déclaré le régime wahhabite de Ryad « apostat ».
1979 est aussi l’année de la chute du Shah d’Iran. L’allié américain numéro un avec la Turquie dans la région tombe et la ceinture de contention américaine au sud de l’empire soviétique se déchire. Les Saoudiens deviennent alors les gardiens du Golfe contre les Iraniens. Depuis, les Saudiens sont intouchables pour les USA. Puis il y a le conflit afghan. Alain bauer dans son exposé très « Wikipédia », oublie juste de dire que les Américains ont tout fait pour impliquer la puissance soviétique en Afghanistan, avec la bienveillance du fameux politologue Zbigniew Brzeziński. Le conseiller à la sécurité nationale du président Carter de 1977 à 1981 devient l’auteur du Grand échiquier en 1997 qui théorise et annonce la domination de l’empire américain sur un monde qui n’est alors plus bipolaire. Malheureusement pour lui et ses chefs, le monde deviendra multipolaire, entravant la grande marche de l’Amérique vers le toit du monde.
Ceci étant dit, l’Afghanistan a été la matrice du terrorisme des décennies qui suivront, mais là encore, Bauer oublie de dire que c’est là que les Saoudiens ont envoyé leurs djihadistes pour s’en débarrasser et pour agrandir leur influence. C’est là que commence l’histoire vraie de ben Laden, qui deviendra la légende de l’antiterrorisme US. « Le golem Al-Qaïda se retourne contre ses initiateurs », lance Bauer. Un outil de politique extérieure dont l’empire se servira jusqu’à la corde, avant de le transformer et de le renommer en « État islamique », la trouvaille des brain stormers du Pentagone ou de la NSA, histoire de mouiller éthymologiquement la République islamique d’Iran. Al-Qaïda aura servi 20 ans, le temps d’écraser l’Irak et l’Afghanistan, puis ce sera au tour de Daech de déstabiliser la Syrie (2011-2017).
Cependant, au cours de cette longue conférence, Bauer lâche quelques morceaux de vérité que d’autres pourraient appeler du complotisme. Par exemple sur le fait qu’al-Qaïda est une nébuleuse sans vraiment de chef, que même après la mort (douteuse) de ben Laden le mouvement s’est poursuivi, passant d’ennemi de l’Occident à allié de la Coalition en Syrie...
« Quand on n’a aucune idée de qui est son ennemi, il n’y a aucune chance qu’on arrive à l’éliminer. Plus on tire en haut, moins on le tue, puisque y a rien, en haut, y a que l’idée qu’on a nous-mêmes... La vérité c’est que nous ne savons pas qui nous combattons. » (22’39)
Ce qui est tout bonnement incroyable : depuis 35 ans, les services occidentaux du monde entier se cassent les dents sur une nébuleuse, qui n’a donc pas de tête, et dont les organisateurs échappent à toute traque, enquête, information... La légende du renseignement dans toute sa splendeur.
Pour Bauer, le grand basculement du terrorisme, qui explique soudainement l’inefficacité nouvelle de nos services, qui avaient été si efficaces dans les années 80 et 90, c’est l’épisode Khaled Kelkal en 1995-1996. S’ensuit, selon lui logiquement, 17 ans plus tard, l’épisode Mohamed Merah, qui annoncera « la série ininterrompue depuis 2012 ». Un terrorisme de criminels et non de politiques qui sont chapeautés par al-Qaïda puis Daech. Selon la version officielle, dont Bauer ne s’écarte jamais vraiment. Plus crédible que Kepel dans son explication sur le djihad global, il n’en reste pas moins un agent de la sécurité nationale (mais de quelle nation ?) qui fait la navette entre Paris et New-York, en passant par la loge et la synagogue. Un élément obscur de plus qui nous explique l’obscur terrorisme international... dont l’oligarchie semble avoir grandement besoin, et dont elle se sert à dessein.