Les éditions Hachette, depuis une dizaine d’années, retraduisent la série d’Enid Blyton, le Club des Cinq. Non dans un souci de rajeunissement — toute traduction témoigne des modes de son temps, par exemple l’utilisation du « vous » de politesse dans des situations où le français contemporain dirait « tu », le « you » anglais laissant toujours une marge d’interprétation. Non : il s’agit de simplifier la lecture, afin que des gamin(e)s déstructuré(e)s entrent plus facilement dans le récit.
En éliminant, par exemple, le passé simple, remplacé uniformément par le présent de narration. En supprimant le « nous » au profit d’un « on » plus immédiatement conforme aux distorsions de l’oral. En « vulgarisant » l’expression — tout en adoptant une pensée politiquement correcte qui élimine parfois des éléments-clés des intrigues — les enfants battus, par exemple, ou la suspicion sur les Gitans, l’un des grands topoi du roman d’aventures enfantines. Ou en raréfiant le vocabulaire — ainsi Le Club des Cinq et les saltimbanques est devenu le Club des Cinq et le Cirque de l’Étoile. « Saltimbanques », c’était trop compliqué. Mais parler avec les mots de l’enfant n’a jamais contribué à améliorer le vocabulaire dudit enfant. Le français des pédagogues, c’est areuh-areuh forever.
Le premier roman un peu long que j’ai lu, c’était les Trois Mousquetaires. Rien que dans les deux premiers paragraphes du premier chapitre, combien de mots pouvaient échapper au petit garçon de 7 ou 8 ans que j’étais alors ? Essayons :
Que pouvais-je bien comprendre à huguenots, endosser, mousquet, pertuisane, et hôtellerie sans doute ? Sans compter contenance, que j’ai dû prendre en un premier temps dans son sens quantitatif, appris à l’école… Et je ne parle pas des noms de lieux (Meung ou La Rochelle ne pouvaient rien dire au petit Marseillais que j’étais), des allusions littéraires, forcément obscures (l’auteur du Roman de la Rose — késaco ?) ou des connotations historiques — le Cardinal ? Quel cardinal ? De quoi décourager un enfant d’aujourd’hui, surtout s’il a fait son entrée en littérature via un Club des Cinq à mobilité intellectuelle réduite.
Il faut le dire avec force à tous les Zakhartchouk qui ont rédigé a minima les programmes de français du collège : jamais un mot inconnu n’a découragé un lecteur — quel que soit son âge. Pus vieux, il vérifie dans un dictionnaire. À 8 ans, j’allais de l’avant — et le sens s’éclairait peu à peu, d’autant qu’un enfant orienté vers la lecture lit et relit. On se souvient du petit Poulou racontant dans les Mots comment il avait « lu » Sans famille sans rien connaître du langage, vers 5 ans, et comment il savait lire à la fin du roman. Les mots entrent en nous par leur fréquentation — et certainement pas par leur non-usage.
Lire la suite de l’article sur causeur.fr
- Brighelli contre Belkacem, le combat continue