L’un est historien spécialiste de l’extrême droite (Nicolas Lebourg), l’autre est l’ex-conseiller en communication du « diable de la République » (Lorrain de Saint-Affrique). Ensemble, dans une interview croisée, ces deux experts du Front national ont accepté de passer en détail l’actualité du parti et ses perspectives d’avenir à court (municipales) et moyen (présidentielle) termes, sans oublier de décrypter l’idéologie frontiste et le rôle de ses principaux instigateurs, de Florian Philippot à Alain Soral.
Ca s’annonce comment les municipales pour le FN ?
Lorrain de Saint-Affrique : Disons en premier lieu qui si le calendrier électoral de 2014 avait été inversé, les européennes de juin avant les municipales de mars, les nuages noirs s’accumuleraient dangereusement au-dessus des listes UMP et PS. Malgré tout, on sent venir un premier tour municipal très politique, moins marqué de considérations locales qu’à l’ordinaire. À l’UMP, on matraque l’idée que voter FN fait le jeu du PS, au FN, on martèle qu’Hollande ou Copé, c’est la même chose. Les colères françaises que traduisent les sondages et les mouvements sociaux peuvent se cristalliser sur le bulletin de vote transgressif mais pas trop, et dans ce registre la marque Le Pen est en tête de gondole.
Les vraies difficultés que les dirigeants frontistes vont rencontrer sont d’ordre technique : dans le moindre village de 1 000 habitants, chaque liste doit réunir 19 candidats et candidates à parité homme femme, qui devront déclarer leur flamme pour Madame Le Pen devant les voisins, les amis, les commerçants, l’employeur, etc. Les grands partis ont eux aussi le plus grand mal à boucler leurs équipes, au moins un tiers des maires sortants sont en passe de jeter l’éponge par lassitude ou écœurement, et on sait bien que le Front national a toujours bluffé (comme d’autres) sur le chiffre de ses effectifs réels… Ils n’étaient encore que 23 000 début 2011 pour la succession de Jean-Marie Le Pen, et l’on sait qu’il y a quelques semaines, le Rassemblement bleu marine de l’avocat Gilbert Collard éditait une carte de membre portant le numéro 942 ! Rien qu’à Paris, il faut aligner plus de 500 noms, avoir vérifié la situation juridique de chacun, détecté d’éventuels indésirables, les taupes, les saboteurs, les traîtres qui attendent leur heure, et accomplir ce même travail à plus ou moins grande échelle dans tout le pays. Vaste entreprise ! Pour profiter des vents porteurs, encore faut-il envoyer les voiles…
Nicolas Lebourg : Il est évident que ça va bien se passer pour eux ; ça ne peut que bien se passer, puisqu’ils partent d’extrêmement bas et qu’ils finiront à la « victoire » quoi qu’il arrive… À moins d’un ouragan, on ne voit ce qu’il pourrait y avoir entre Steeve Briois et le fauteuil de maire d’Hénin-Beaumont : le FN devrait remporter là-bas une victoire symbolique. Briois a quadrillé la ville depuis des années. De plus, la semaine d’entre-deux tours risque d’être extrêmement dense, puisqu’il serait très étonnant qu’il n’y ait pas un rapprochement UMP-FN dans plusieurs municipalités.
Cependant Hénin-Beaumont – par exemple – ne sera pas Vitrolles : il ne referont pas les erreurs commises par les municipalités frontistes des années 1990. Le but pour eux, c’est de faire de la gestion et d’arriver en 2017 avec une crédibilité de gestionnaires, non pas une image d’excités d’extrême droite. Le problème pour eux, désormais, sera « d’avaler » le choc de croissance, puisqu’ils ont enregistré un afflux massif de nouveaux militants parfois compliqués à contrôler. Preuve en est : les débordements récents de certains candidats frontistes sur les réseaux sociaux. Ils ont informé leurs militants que s’ils sont élus, ils devront suivre une formation juridique au siège du parti, à Nanterre, de manière à remplir au mieux leurs nouvelles fonctions. Ils éviteront ainsi les procès en incompétence.
[...] Qu’incarnent donc ces nouvelles figures d’extrême droite (Soral, Dieudonné, etc…) ?
LSA : Combien de fois Jean-Marie Le Pen aura-t-il fait planer l’ombre d’un grand complot sur son public tétanisé d’effroi ? Alors que sa voix se raréfie, la relève d’esprit s’affirme, par des canaux nouveaux, d’une incroyable efficacité. Dieudonné comme Soral sont des maîtres ès YouTube, dont la parole ou les écrits atteignent les couches jeunes de la société à la manière invisible des forces obscures qu’ils dénoncent. Et dans les deux cas, le talent créatif ne fait pas défaut.
NL : Je pense qu’on s’est tous fait avoir ; c’est quelque chose d’extrêmement compliqué. Personne n’a pris Alain Soral au sérieux pendant dix ans, et il a fait son bonhomme de chemin en se montrant plus malin que nous. Il a admirablement joué son coup. A l’heure actuelle, il est impossible de surfer sur le Net sans tomber sur une affaire de quenelle ou je ne sais quoi… Et puis, ses vidéos font des résultats extraordinaires – plus de quinze millions de vue en cumulé -, et ses bouquins se vendent comme des petits pains…
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