La semaine dernière, le ministre de l’intérieur s’est félicité du bilan de la lutte contre la délinquance au premier trimestre 2010. On a du mal à comprendre pourquoi il était aussi satisfait.
Le ministre tente de contenir les critiques. Cela passe d’abord par un changement de méthode... statistique. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) prévient ainsi, dans le texte introductif de son bilan mensuel, qu’elle ne communique désormais plus sur le chiffre global de la délinquance, car, explique-t-il, les atteintes aux biens (vols et destructions et dégradations), les atteintes volontaires à l’intégrité physique (violences ou menaces) et des escroqueries, et les infractions économiques et financières « n’ont pas vocation à être additionnés pour former un chiffre unique. » La belle affaire ! Depuis près d’une décennie, Nicolas Sarkozy et ses proches usent et abusent de ces mêmes totalisations hâtives de données incomparables les unes avec les autres !
L’ONDRP prévient aussi : « la grille de lecture consistant à considérer une baisse des faits constatés comme positive et une hausse comme un mauvais signe n’est pas toujours adaptée à la forme de délinquance à laquelle on s’intéresse. Une hausse des faits constatés en matière de violences physiques peut, par exemple, résulter d’une augmentation des faits commis qu’il serait légitime de considérer comme négative mais aussi d’une plus grande propension des victimes à porter plainte qui, elle, s’interprète positivement. » Brice Hortefeux n’a cure de ses précautions méthodologiques. Mardi dernier, il s’est lancé... pour son plus grand péril.
Voici ces 6 conclusions principales :
1. « Une diminution de 3,8% des atteintes aux biens par rapport au premier trimestre 2009 : entre avril 2009 et mars 2010, le nombre d’atteintes aux biens enregistrés atteinte même son plus bas niveau depuis 1996 » En fait, la baisse des atteintes aux biens entre mars 2009 et mars 2010 est de 1%, soit 22 171 actes « constatés ». Cette baisse concerne surtout les « destructions et dégradations enregistrées » (-33 000) . Les vols avec violences ( 113730 vols violents constatés en un an)ont au contraire fortement progressé, + 5,3% sur 12 mois (soit + 5 717 actes). Les faits d’incendies volontaires ont également augmenté, de 8,8% sur 12 mois (+3646 faits constatés).
2. « Une tendance à la stabilisation des atteintes volontaires à l’intégrité physique, avec une évolution limitée à +1,24% par rapport au premier trimestre 2009 ; la hausse des faits constatés a été divisée par deux en 4 mois. » Vous avez bien lu : le ministre se félicite d’une « tendance à la stabilisation ». Il aurait du mal à dire mieux. Le constat de l’ONDRP est sans équivoque. Les violences aux personnes représentent un tiers des actes de délinquance. Parmi elles, « plus de 240000 faits de violences physiques non crapuleuses ont été enregistrés entre avril 2009 et mars 2010, soit un niveau parmi les plus élevés depuis 1996. » Ces dernières totalisent plus de la moitié (53%) des violences aux personnes. Qui dit mieux ? En fait, le ministre reprend une autre conclusion de l’ONDRP : cette augmentation est la plus faible depuis 5 ans. De leur côté, les violences physiques crapuleuses progressent de 5% sur 12 mois. L’ONDRP s’inquiète : « Depuis plusieurs mois, le nombre de faits constatés de violences physiques crapuleuses est en hausse plus marquée que celle des violences physiques non crapuleuses. »
3. « Un recul de 10,6% des escroqueries et des infractions économiques et financières par rapport au premier trimestre 2009. » L’ONDRP prévient pourtant : « pour ce qui est des escroqueries et infractions économiques et financières, une modification des règles d’enregistrement de certaines infractions pourrait être à l’origine de leur forte baisse sur 12 mois. » Le ministre ne lit pas ses propres rapports ! L’ONDRP note en effet qu’une partie des plaintes pour fraudes à la carte bancaire ne font plus plus l’objet de procès-verbaux... Sans commentaires.
Le ministre a aussi salué « le niveau très élevé d’activité des forces de police et de gendarmerie ». Ainsi, il relève les points suivants, dans son communiqué triomphant :
4. « un taux d’élucidation de 38% depuis le début de l’année, soit 315 945 faits élucidés ». Il n’y a pas de quoi se réjouir. Primo, ce taux stagne sous la barre des 40% depuis des années, malgré une forte progression du fichage (encore près de 30 000 concitoyens fichés au cours du trimestre, cf. page 9 du rapport). Deuxio, l’ONDRP note que les forces de l’ordre ont relevé moins d’infractions : « Si le nombre d’infractions révélées par l’action des services est en diminution de – 7,9 % au premier trimestre 2010, c’est notamment en raison d’une plus grande sélectivité de l’action menée par les services de police et unités de gendarmerie » (page 6 du rapport). Pour faire baisser la délinquance, il suffit de ne plus la voir...
5. « une diminution de 3% des cambriolages ». Hortefeux ose tout : il compare le niveau des cambriolages en mars, au sortir d’un hiver rigoureux, avec celui du mois d’août, en plein été ! Sur un an, les cambriolages ont augmenté de 4,1% (+6375 faits constatés).
6. « une baisse de 9,3% de la criminalité organisée et la délinquance spécialisée » Le taux est précis, le chiffre invérifiable. Les statistiques fournies ne permettent pas facilement de distinguer la criminalité par origine... Les règlements de comptes entre malfaiteurs ont baissé, mais le phénomène est marginal (47 sur 12 mois, contre 114 un an plus tôt). Tout comme les trafics de stupéfiants (226 actes de moins en un an)... D’où l’ONDRP sorte-t-il ces chiffres ?