Le chef de file de Nouvelle Donne a déposé plainte contre le pouvoir ce 29 octobre pour « non-assistance à personnes en danger ». Dans son collimateur : l’inertie du gouvernement concernant le chômage. Entretien.
La dernière fois que Manuel Valls a croisé Pierre Larrouturou par hasard dans un café il l’a salué en lui disant – sans rire : « Bonjour, le révolutionnaire ! » Le chef de file de Nouvelle Donne, parti qu’il a fondé fin 2013 après un passage au PS et chez les Verts, qui nous confie cette anecdote, se défend pourtant de verser dans l’utopie. Dans son nouveau livre, Non-assistance à peuple en danger (éd. Fayard), il propose un « plan d’urgence » de cinq mesures « simples et efficaces » pour stopper l’hémorragie des licenciements, créer des emplois et sauver les PME.
Il reproche aussi de manière virulente l’inertie du pouvoir face au chômage qui touche 6 millions de citoyens : selon une étude de l’Institut national pour la santé et la recherche médicale (Inserm), ce fléau fait chaque année entre 10 000 et 20 000 morts. D’où la plainte qu’il a déposée pour « non-assistance à personnes en danger » contre le président de la République, Manuel Valls, Emmanuel Macron, Jean-Pierre Jouyet et d’autres responsables de l’État. Coup de bluff, coup éditorial ou sérieux coup de pression ?
Les Inrocks - Le 29 octobre vous avez déposé plainte contre le pouvoir pour “non-assistance à personne en danger” – c’est-à-dire les chômeurs. Ne craignez-vous pas que ce soit encore un coup d’épée dans l’eau ?
Pierre Larrouturou – Non : dans deux pays, les citoyens viennent de gagner une bataille juridique contre l’État, à trois semaines d’intervalle – aux Pays-Bas et au Pakistan, où les peuples se plaignaient de l’inertie du pouvoir. De même, l’État français a été récemment condamné pour la question de la discrimination lors des contrôles de police. On espère donc vraiment que la justice va prendre au sérieux notre plainte. Il est possible que le procureur de Paris, qui est très proche du pouvoir, la classe sans suite. Mais nous comptons sur les citoyens pour la déposer à leur tour dans leur ville : il suffit de l’imprimer. On est des millions à se sentir trahis et à ne pas vouloir se résigner. Il est important que des républicains disent que ça devient insupportable.
La question sociale a resurgi sur le devant de la scène politique et médiatique avec la crise à Air France. Que proposez-vous pour sauvegarder les emplois ?
Il n’y a pas une seule solution, mais nous proposons cinq mesures qui pourraient permettre de créer 500 000 emplois et de stopper l’hémorragie des licenciements. Premièrement, il faut s’inspirer de ce qui se fait au Canada depuis des années. Là-bas, ils considèrent que le licenciement doit être l’exception, et que la règle doit consister à garder tous les salariés. Quand une entreprise connaît des difficultés, elle baisse donc le temps de travail et baisse les salaires pour rester compétitive. Immédiatement l’État compense : les salariés gardent 98% de leur revenu habituel au lieu de tomber dans le chômage. C’est rentable, car ça fait moins de dépenses pour l’Unedic, et les gens continuent de consommer et à payer la TVA.
Ce système a été mis en place en Allemagne en 2009, quand les syndicats ont tapé du poing sur la table. Alors que Sarkozy disait qu’il fallait travailler plus pour gagner plus, Merkel disait : « Il faut travailler moins pour licencier moins ». Ce « travail à temps adapté » a bénéficié à 1 500 000 salariés en Allemagne, qui ont vu leur temps de travail diminuer de 31%. Ça ne règle pas tous les problèmes, mais quand on voit Air France annoncer 2 900 licenciements, la Société Générale qui en annonce 1000, et que toutes les semaines il y a des « plans sociaux, » ça devrait faire réfléchir. Compter sur la croissance est suicidaire, mais on peut éviter les licenciements avec le système canadien.
Les PME et TPE représentent 50% de l’emploi salarié en France. Que proposez-vous pour elles ?
Soixante-mille PME déposent le bilan chaque année en France, pourtant une mesure très efficace existe pour les protéger : c’est la garantie de paiement. Une des premières causes de mortalité des PME c’est que les gros clients traînent à payer les factures, en anticipant leur fermeture, et en se disant qu’elles ne les attaqueront pas en justice car elles sont trop faibles. Nous proposons que l’État oblige la Caisse des dépôts à payer les factures. Au bout de deux mois, les PME auraient la garantie que la facture est payée par la Caisse des dépôts, qui pourrait alors se tourner vers le client avec son service juridique. Ça changerait complètement le rapport de force : le mauvais payeur se retrouverait face au service juridique d’une des plus grandes banques. Ça ne coûte pas un euro à l’État, mais ça fait une garantie de paiement pour les PME.