Plus de 300 000 sujets, en France, sont affectés d’une dépendance aux opiacés et opioïdes (tramadol, codéine, morphine, oxycodone, fentanyl, héroïne). D’aucuns le sont devenus au détour de prescriptions d’analgésiques puissants, à fortes doses, sur des durées plus ou moins longues. D’autres, très majoritairement, le sont devenus par une ascension « récréative » de l’échelle des toxicomanies (tabac, alcool, cannabis, ecstasy, cocaïne, buprénorphine, oxycodone, morphine, méthadone, héroïne). Un de ses échelons est celui de la buprénorphine à haut dosage (BHD, le Subutex™) et ses comprimés sublinguaux. Elle était destinée à faire rompre les héroïnomanes avec l’injection intraveineuse (IV) de leur drogue. Cette injection les ancre dans leur toxicomanie par l’effet « shoot », associé à la variation très rapide de la stimulation des récepteurs cérébraux des substances endogènes que sont les endorphines ; stimulation flash produite par l’injection IV de substances morphiniques.
La BHD, administrée par voie sublinguale, occupe durablement ces récepteurs ; elle s’oppose ainsi à la stimulation subite que produirait l’injection IV d’un morphinique. C’est pour cette indication que la BHD a été autorisée en France, il y a une quinzaine d’années. Elle est prescrite par des médecins généralistes qui auraient dû recevoir une formation spécifique autre que celle dispensée par les déléguées médicales des laboratoires qui la commercialisent.
La suite (qui paraît ignorée des médias), ce sont plus de 100 000 « bénéficiaires » de ce Subutex™/BHD, prescrit souvent à la plus haute dose autorisée (24 mg/jour), avec une forte proportion d’entre eux qui se l’injectent, aux frais de notre Sécurité sociale, à la place de leur coûteuse héroïne, avec les mêmes risques de transmission du SIDA, des hépatites B et C… qui justifiaient son autorisation de mise sur le marché.
L’argument récurrent de la « réduction des risques » en fait naître de plus grands que ceux qu’elle prétendait réduire. Un même « bénéficiaire » se fait prescrire de la BHD par plusieurs médecins, puis il se fait délivrer ces ordonnances par des pharmaciens différents ; la revente du stock constitué lui permet d’acquérir sa chère héroïne pour se l’injecter. Il effectue cette revente à de jeunes toxicophiles, les faisant accéder aux morphiniques. Ces derniers en usent et bientôt en abusent par voie sublinguale, puis ils passent à la voie IV après mise en solution de la glossette, puis ils arriveront à l’héroïne.
Cependant, l’important résidu de la matrice galénique du Subutex™ restreint le volume du surnageant pouvant être injecté. Cette restriction du détournement vient d’être surmontée par la commercialisation d’un lyoc (comprimé à dissolution complète et instantanée sur la langue) de buprénorphine à haut dosage. Il s’agit de l’Orobupré™, du laboratoire français Ethypharm. Ces lyocs peuvent être dissous dans l’eau en vue de leur injection, ne laissant pas le moindre résidu insoluble.
La responsabilité de son autorisation de mise sur le marché incombe à l’Agence nationale de sécurité du médicament – ANSM – qui, ayant instruit le dossier, a recommandé au ministre de la Santé d’autoriser sa mise sur le marché (AMM) ; c’est le ministre qui a signé cette autorisation. La Haute Autorité de santé (HAS), impliquée, a émis un avis dans lequel elle considère qu’Orobupré™ n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) par rapport au Subutex™ ; elle propose, de ce fait, un remboursement à 30 % seulement. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) ne peut pas ne pas avoir été associée à cette décision.
Cette chaîne de responsables ne justifie pas les frais de leurs appointements assurés par la collectivité, pour lutter contre les drogues, puisqu’elle se transforme en accompagnement et même en incitation. La MILDECA (plan d’action 2018-2022) a même anticipé l’accroissement du nombre de « salles de shoots pour toxicomanes » alors que l’évaluation de leur pertinence (qui demeure très contestée) ne devait intervenir que six ans après leur mise en œuvre. La précédente présidente de la MILDECA (Mme Jourdain–Menninger) se déclarait favorable à la commercialisation d’une forme injectable de BHD. Patience… Le laboratoire Ethypharm (encore lui) s’y prépare.
Qu’une part de l’impôt (jugé confiscatoire par nombre de ses assujettis) soit utilisée non pour lutter mais pour faciliter les toxicomanies est insupportable !