1965, c’est la date anniversaire de l’abolition de la ségrégation Noirs/Blancs par le président Lyndon Johnson. Le centenaire du discours du président Lincoln qui a proclamé l’émancipation des Noirs a été fêté comme il se doit, après une petite étincelle, par les quartiers noirs de Los Angeles.
« Ici, vous pouvez sentir votre race »
La même année, un mois après les émeutes qui feront 34 morts et 1 000 blessés, la célèbre émission Cinq colonnes à la une donne la parole à un jeune homme qui explique la différence entre le racisme du Nord et celui du Sud (cliquez sur l’image pour regarder).
Les émeutes ont éclaté après une bagarre entre une famille afro-américaine et la police. Comme en France à la fin juin 2023, il y a eu des incendies, des pillages et des hélicos. Sauf qu’aux USA, le pouvoir a fait appel à l’armée. 1965, c’est aussi l’entrée en guerre massive des Américains au Viêt-Nam, sous l’égide du même Johnson. Une société fracturée est forcément violente.
Une habitante née en 1965 : « Les habitants de Watts savent que de nouvelles émeutes ne feraient que renforcer la stigmatisation de notre quartier. Ici, les gens veulent faire disparaître cette image de quartier très dangereux. »
Après la construction d’une université dans le ghetto (aujourd’hui la discrimination positive est close), la seule chose « positive » qui a émergé de toutes ces violences c’est une conscience politique de classe, mais aussi de race. Car, là-bas, la race est omniprésente. On se demande même si les deux racismes Nord-Sud ont vraiment changé depuis l’interview du jeune homme en français.
En France, dans nos banlieues SOS Racisées, y a-t-il une conscience qui émerge et qui dépasse le stade primaire de la violence pour se hisser à celui de la revendication et de l’organisation politiques ?
Pour répondre à cette question assez essentielle, repenchons-nous sur les émeutes de 2005, le brouillon. Chez nous, au début des années 2000, 15 ans après la création du piège à cons SOS Racisme, les Arabes et les Noirs des quartiers ont compris que le PS de Julien Dray les avait instrumentalisés. Certes, ils ont touché des fonds de l’État, mais sur le travail, le salariat, ces choses fondamentales (on oublie la culture), rien n’a changé depuis la marche des Beurs en 1983. On rappelle quand même le contexte 1983-1984 : reprise en main du Marché (par Fabius), désindustrialisation, chômage massif, migration électorale des ouvriers de la gauche vers la droite nationale, et remplacement de cette base électorale historique PC-PS par la jeunesse.
Au début des années 2000, une génération plus tard, une nouvelle couche de Français d’origine nord-africaine décide d’entrer en politique, au niveau local. Au début, la tendance est nettement de gauche, mais s’éloigne du PS. Elle reste communiste dans l’âme (ou gauchiste dans le sens social), mais existe aussi à droite, car beaucoup de ces nouveaux candidats des quartiers croient en la promesse de Sarkozy de les faire monter dans la hiérarchie du parti (Chirac a gagné en 2002, mais c’est Sarkozy l’homme fort du régime) et dans la hiérarchie du pays.
Les élections régionales de 2004 voient entrer un nombre inattendu de « Beurs » sur les listes. Il y a clairement une volonté de participer, de peser. On parle de politique, d’économie, mais aussi de médias.
À l’arrivée, 20 ans plus tard, les Beurs de Sarkozy ont été trahis, ils ont essaimé dans des clubs plus ou moins prestigieux, des corporations malheureusement racisées, comme on dit, et ils ont fait leur trou personnellement. En politique, on ne trouve quasiment aucun hiérarque d’origine extra-française (c’est-à-dire africaine ou maghrébine) dans les partis dominants [1] ! La trahison de gauche et la trahison de droite des idéaux d’intégration (la voie de l’assimilation) ont eu raison des espoirs de toute une génération.
Malika Sorel analysait cela en 2011 (voir l’interview complète en renvoi) :
Une frange de notre élite intellectuelle, minoritaire mais puissante, présente encore les immigrés d’Afrique et du Maghreb comme des victimes de la colonisation, envers qui la France aurait une dette inextinguible… Elle clame que les nouveaux migrants sont discriminés, et ceux qui osent les contredire sont aussitôt embastillés dans la case « raciste » ! Or la victimisation est catastrophique : la culture de l’excuse déresponsabilise les étrangers installés en France.
Nous ne les incitons pas à faire les efforts nécessaires à la réussite dans notre société. Pis, nous multiplions en leur faveur les dispositifs dérogatoires au droit commun, nous négocions nos valeurs, nous transigeons. Sous la pression d’une minorité « bien-pensante », nos dirigeants, droite et gauche confondues, ont renoncé à transmettre à ces populations les codes indispensables à leur intégration.
Nous laissons s’implanter en France des communautés revendiquant des privilèges et s’excluant elles-mêmes de la nation. Ce qui, finalement, ne satisfait personne : ni les immigrés, convaincus qu’ils sont discriminés parce qu’on le leur répète, ni les Français, qui souffrent de ces désordres.
De plus, et c’est là où on voulait en venir, les émeutes de 2005, allumées par les sarkozystes, ont brisé les ponts entre les communautés, comme un fait exprès... Faut pas s’étonner, une génération plus tard (donc aujourd’hui), devant le manque de vraie représentation – et là on ne parle pas de Jamel ou de Belattar, mais de postes, de perspectives et de poids politique –, que ça repète à nouveau.
Ce n’est pas une justification de la violence, c’est une explication d’ordre politico-sociologique d’un échec français, ou alors d’une politique profonde qui fait mal et aux Français et à ceux qui ne se sentent pas français... En vérité, ni la droite ni la gauche ne veulent de la mixité... politique. La mixité culturelle, ça oui, elle est là, et elle trompe l’œil : elle ne compte tout simplement pas dans la décision. Alors, pour finir, quelle est cette plateforme commune à la droite et à la gauche françaises qui empêche l’intégration et l’assimilation des racisés ?
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