Nourrisson négligé au point d’en mourir, mère qui tue sa fille par désespoir ou laisse ses enfants seuls la nuit pour travailler et rembourser des usuriers, nombre de faits divers sordides au Japon ont en commun la pauvreté cachée sur laquelle enquête depuis près de quinze ans l’essayiste Atsuko Hida.
« La pauvreté du Japon ne se voit pas, il n’y a pas d’enfants mal habillés, si bien qu’on ne distingue pas au premier coup d’oeil qui est pauvre et ne l’est pas », souligne l’auteur d’un récent essai intitulé La pauvreté des femmes et des enfants.
« Autour de moi, personne n’est pauvre, c’est à peu près ce que pensent tous les Japonais. Car la pauvreté est honteuse, on la cache et on se cache, ce qui aboutit aussi à une pauvreté relationnelle, à l’isolement », insiste Mme Hida dont les écrits sont nourris de nombreux exemples.
« J’ai rencontré la pauvreté pécuniaire en 2002, une dizaine d’années après la fin de la période de bulle financière et immobilière. C’était une mère qui, à tous les repas, cuisinait à ses enfants des haricots de soja. C’est ce qu’il y a de moins cher au supermarché », à partir de 20 yens (moins de 15 centimes d’euros) les 200 grammes. « Et là j’ai compris ce qu’était la pauvreté dissimulée », raconte Mme Hida.
- Des sans-abri reçoivent une aide alimentaire dans le parc Shinjuku, au centre de Tokyo, le 28 décembre 2009
Elle va loin parfois, cette pauvreté : « Récemment, une mère a tué sa fille quand elle a appris que toutes les deux allaient être expulsées de leur HLM de la banlieue de Tokyo. Comment vivrait-elle avec sa fille sans logement ? Elle a préféré épargner cela à son enfant lycéenne, qui paraissait pourtant heureuse, avait un smartphone, signe extérieur de normalité. La mère n’a pris conseil auprès de personne ».
L’inégalité des revenus et la pauvreté relative parmi la population active ont progressé au Japon depuis plus de dix ans, « jusqu’à des niveaux supérieurs à la moyenne des pays de l’OCDE », selon cet organisme international.
Le taux de pauvreté relative (moins de la moitié du revenu médian dans un pays donné) est monté à 16,1% en 2012, selon le ministère japonais des Affaires sociales, contre 11% au même moment dans les pays de l’OCDE.
Il est loin le Japon qui affichait il y a un demi-siècle sa fierté de compter « 100 millions de personnes de classe moyenne », presque l’ensemble de la population.