« C’est quoi être un juif ? », demande Esti à 613 personnes, dont Apolline de Malherbe et Alain Soral, plus une ribambelle de personnalités de premier, second ou troisième plan. Dans le troisième, il y a par exemple Jean Robin (qui a depuis fui dans les îles) :
Nous apprenons que Jean a eu deux grands-pères, « dont l’un juif qui ne parlait pas du tout de la Shoah, et l’autre grand-père, résistant, fils de déporté, qui en parlait tout le temps ». On dirait que le petit éditeur en fuite a besoin d’ouvrir son parapluie !
Plus intéressants sont les témoignages d’Apolline de Malherbe et Alain Soral. Honneur aux dames.
« Moi, ce qui me frappe, c’est que les juifs, c’est comme un maillon de la chaine, j’ai l’impression qu’ils sont un morceau de l’Histoire, y a l’Histoire avant, ils savent qu’il y a l’Histoire après, et donc ils sont ce petit morceau, ce passeur qui transmet, et qui parfois transmet avec un poids, j’ai l’impression que parfois c’est lourd, et parfois c’est pesant, et en même temps y a une immense joie. Ce qui me frappe beaucoup chez les juifs que je rencontre et c’est une des choses qui moi m’émeut, c’est qu’ils sont capables de passer du rire le plus éclatant aux larmes les plus profondes, on a l’impression que c’est des larmes qui viennent de la nuit des temps, euh, et j’aime ce mélange incroyablement vivant, je les trouve incroyablement vivants.
Ça fait très longtemps que j’avais envie de venir en Israël parce que, parce que c’est le berceau de tout, j’avais envie de comprendre, de mieux connaître le peuple juif, de mieux comprendre aussi la situation même politique, mais là je viens vraiment pour une raison très personnelle, c’est que j’ai été très émue l’année dernière, mon grand-père est devenu Juste parmi les nations parce qu’il avait sauvé et hébergé un juif pendant la guerre, c’est une histoire familiale mais qui du coup a réveillé chez moi une émotion que je, que je sais pas encore très bien comment l’expliquer, mais une émotion très forte. J’ai l’impression d’un héritage, d’un devoir de mémoire comme on dit, euh, euh, mais qui, qui, qui touche aussi aux racines les plus profondes même de la France, dans le contexte d’aujourd’hui, euh, mon grand-père a été reconnu Juste exactement au moment où il y a eu une grande montée des actes antisémites en France, où y a eu les attentats de Charlie hebdo et l’Hypercacher, et tout ça s’est mélangé, la vie politique, professionnelle et personnelle, et donc je voulais venir ici et venir un peu à la rencontre de ce peuple juif parce que le fait d’être une descendante de Juste a créé ce lien, a créé presque cette filiation. »
Courageusement, Esti pose à Alain Soral, considéré (à tort) comme la bête noire de la communauté juive, la même question :
« C’est compliqué parce que tout le monde n’a pas la même définition. Moi il y a une définition qui me plaît, c’est un peuple de prêtres, d’élites, et une avant-garde morale, ça c’est peut être une acception, et malheureusement il y a aujourd’hui une déviance qui est devenue majoritaire que j’appelle moi talmudo-sioniste, qui dérive de plus en plus vers le racialisme, le suprémacisme racial, la théocratie violente, et je crois que tout ça se vérifie à la fois par l’attitude de l’État israélien aujourd’hui, notamment par rapport aux Palestiniens, et récemment à Gaza et aussi en France par quelque chose de plus inquiétant directement pour nous, c’est la manière dont une partie des citoyens français qui sont français par le Concordat et par l’émancipation de 1791 se considèrent de plus en plus comme un peuple à part, un État dans l’État qui se définit racialement par le sang et qui aujourd’hui prétend mener un combat pour un État étranger qui est l’État d’Israël qui, je le rappelle, est un État qui ne respecte pas le droit international, qui est accusé à de nombreuses reprises de crimes de guerre, et qui bafoue les résolutions de l’ONU depuis 1967.
Donc je crois que tout juif intègre et qui a déchiré le voile on va dire de la solidarité tribale comprend que mon combat n’est absolument pas un combat antisémite, au contraire, je montre un certain danger, effectivement, d’une dérive communautaire raciste et brutale qui, j’en ai bien peur en dernière instance, se retournera contre les manipulateurs. Et j’insiste bien pour dire que les manipulateurs sont une minorité à l’intérieur de la communauté puisque comme vous le savez très bien, le CRIF qui représente cette ligne que je critique, le CRIF ne représente officiellement qu’un juif sur six. Donc il représente une personne sur six d’une communauté qui en plus n’existe pas dans le droit français, dans la constitution française, puisque le droit français, je vous le rappelle, ne reconnaît rien entre l’individu et la nation. Il y a eu dissolution des corps intermédiaires à la Révolution française donc normalement les communautés n’existent pas, nous sommes tous des citoyens face à la nation. Voilà, je finirai là-dessus. »
Apolline et Alain, des propos nébuleux et émotifs contre des propos clairs et informatifs. On pourrait dire qu’on est en présence d’une analyse féminine et d’une analyse masculine, mais cela va plus loin : dans les mots de Malherbe, on sent une volonté absolue de soumission à un ordre qui ne dit pas son nom, l’acceptation d’une religion d’État qui fonctionne à deux étages, le premier pour les élus, le second pour les esclaves. On en est ou on n’en est pas, il y a les élus et les damnés, pour reprendre la terminologie concentrationnaire de Primo Levi.
Pour bien comprendre la position d’Apolline, il suffit de changer les conditions initiales : supposons qu’Hitler ait gagné en 1945 (ou après). Dans ce cas, il est plus que probable qu’Apolline nous aurait servi un dithyrambe du nazisme, son mystère des dieux germaniques venus du fond des âges, ses cérémonies qui transportent l’esprit dans un au-delà de gloire, son esthétique grandiose à Nuremberg, ses ennemis perfides qui s’accrochent à leurs privilèges sur le dos du peuple, alors que Soral aurait critiqué le totalitarisme racialiste, comme il le fait pour le sionisme. Il est probable qu’il aurait été persécuté. Apolline se place donc du côté des persécuteurs. Contre le déshonneur, une vie tranquille dans un fauteuil confortable ! Mais le Juste, plus tard, ce ne sera plus elle...