Dominion, Qotmii, big data... Le grand public en a entendu parler, mais vaguement. Et pourtant, ces concepts sont déterminants pour l’élection du nouveau président de la République. Ils sont même peut-être encore plus déterminants que le vote physique des Français, qui est pourtant le fondement de notre démocratie. C’est dire si c’est important.
Premièrement, tordons le cou à une rumeur : que l’Intérieur utiliserait les services de la société américaine (et anciennement canadienne) Dominion pour l’élection française de 2022.
Contacté par la presse, le ministère de l’Intérieur déclare qu’« il ne fait pas et n’a jamais fait appel aux services de la société Dominion dans le cadre de l’organisation des élections » . Et d’ajouter que « les fausses rumeurs concernant le recours à la société Dominion feraient croire à un risque de manipulation du vote dans les communes dotées de machines à voter. En ce qui concerne les machines à voter, il convient de rappeler que seulement 63 communes françaises en sont équipées, représentant 1,3 million d’électeurs. Un seul modèle de machine à voter est utilisé en France, le modèle ESF1 de la société néerlandaise NEDAP commercialisé par la société France Elections qui n’a aucun lien avec la société Dominion ».
La rumeur Dominion nous met en revanche sur une autre voie, plus intéressante, et peu connue : celle de la remontée des bulletins des 66 000 bureaux de vote au ministère de l’Intérieur, qui délivre les chiffres officiels, du moins une approche raisonnable, le soir du premier tour. Quand on va sur le site gouvernemental qui décrit le processus de vote, de comptage et de surveillance de chaque bureau, étonnamment, tout s’arrête au niveau du bureau de vote. On ne sait pas comment remonte l’information précieuse jusqu’aux ordinateurs de l’Intérieur. Quels sont ces tuyaux ?
Voyons le processus, du dépouillement au PV des résultats.
Le dépouillement commence dès la clôture des opérations de vote. Il se déroule publiquement par les scrutateurs sollicités au cours de la journée.
Il se décompose en plusieurs étapes :
Les membres du bureau comptent les émargements.
L’urne est ouverte. Le nombre d’enveloppes et le nombre de bulletins sans enveloppe sont vérifiés et comparés au nombre d’émargements.
Les enveloppes contenant les bulletins sont regroupées par paquets de 100. Chaque paquet est introduit dans une grande enveloppe. Les grandes enveloppes sont cachetées et signées par le président et au moins 2 assesseurs.
Les grandes enveloppes sont réparties entre les tables de dépouillement et ouvertes par les scrutateurs.
Le 1er scrutateur ouvre chaque enveloppe de vote. Il déplie le bulletin et le passe à un 2d scrutateur qui le lit à voix haute et intelligible. Les 2 derniers scrutateurs notent le nombre de votes sur des feuilles de résultat.
Les scrutateurs signent les feuilles de résultat. Ils les remettent au bureau avec les bulletins et enveloppes dont la validité a paru douteuse. C’est le bureau qui décide alors de la validité d’un bulletin ou d’une enveloppe.
Pour l’instant, tout va bien : le processus semble sécurisé. Voyons où peut s’intercaler un bulletin bidon.
Le procès-verbal est rédigé par le secrétaire du bureau immédiatement après le dépouillement et en présence des électeurs.
Il comporte notamment le nombre de suffrages exprimés, le nombre des suffrages blancs et nuls et le nombre de suffrages obtenus par chaque candidat ou liste.
Il retrace le déroulement des opérations, et éventuellement toute réclamation des électeurs ou des délégués.
Une fois le procès-verbal établi, le résultat est proclamé en public par le président du bureau et affiché dans la salle de vote.
Il indique les informations suivantes :
Nombre d’électeurs inscrits sur les lites électorales
Nombre de votants
Suffrages exprimés
Suffrages (nombre de voix) recueillis par chaque candidat ou chaque liste
Que deviennent les procès verbaux signés par le président, ses assesseurs et les scrutateurs des bureaux de vote ?
Et ensuite : plus rien. Même sur le site legifrance.gouv.fr, tout s’arrête au bureau de vote ou à la commune. On ne sait pas qui remonte l’information et comment. Qui contrôle la remontée des résultats de tous les bureaux de vote jusqu’à la sortie des tuyaux au ministre de l’Intérieur ? Un pool de « politiques » de tous les bords ? Des fonctionnaires indépendants ? L’information n’existe pas, ou nous ne l’avons pas trouvée. Il manque un regard, cette fenêtre dans la tuyauterie que les plombiers connaissent bien. Et ce regard sur la remontée de résultats serait bien pratique pour les électeurs.
Cela nous fait penser aux loges maçonniques : à un petit niveau, il ne s’agit que de confréries de bons vivants, un peu anticléricaux, un peu sectaires, qui s’intéressent à la chose politique (locale) et qui en profitent pour échanger des bons plans (du pinard en général, et du boulot), échapper à un quotidien pénible, et faire de bonnes bouffes en croyant changer le monde. À un niveau très supérieur, sans aller jusqu’au 33e degré, il n’est plus question d’agapes mais d’influence, de pouvoir, de décision. Et là, ça ne rigole plus.
On sait aussi que c’est le Conseil constitutionnel du problématique Laurent Fabius qui est chargé de « veiller à la régularité de l’élection du Président de la République ». L’AFP a fait un long article pour démolir les rumeurs de trucage de votes lors de l’élection présidentielle de mai 2017. Mais là encore, s’il n’y a rien à redire sur le contenu, on est toujours sans nouvelles des 66 000 remontées de PV des bureaux de vote vers l’Intérieur, car c’est là où les bulletins physiques, difficilement falsifiables (ou si peu), se transforment en entités virtuelles qu’on appelle des chiffres. Et là, tout est possible.
On aimerait appeler Darmanin pour savoir comment se passe une soirée électorale, avec les remontées électroniques de 66 000 bureaux, mais notre petit doigt nous dit qu’on ne nous dira rien. À l’Intérieur, on n’aime pas les fouille-merde, et encore moins les fouille-merde d’E&R !
Donc, logiquement, si trucage il y a, c’est au niveau du service informatique de l’Intérieur, pas avant. Et on ne dit pas que c’est le cas, on dit juste que c’est possible. Après cette mise en bouche, parlons de Qotmii, ou QOTMII.
Le saviez-vous ?#QOTMII récolte et analyse automatiquement toutes les sources numériques qui traitent en ➕ et en ➖ des politiciens et candidats / #Presidentielle2022
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— QOTMII (@QotMii) January 20, 2022
Qotmii, c’est une nouvelle façon de produire non pas du sondage, mais du calcul d’influence, à la fois quali et quanti, pour parler comme les pros. Il ne s’agit plus seulement d’interroger 1000 et quelques Français « représentatifs » de la population par lieu, âge, sexe, CSP (catégorie socio-professionnelle) et vote précédent, ce que font les instituts de sondage classiques, mais d’intégrer de nouvelles données comme la puissance sur les RS (réseaux sociaux), la place dans les médias mainstream, le rapport aux tendances, etc...
L’entreprise Qotmii est basée au Québec. Elle a été fondée en 2019. Auparavant, sa maison-mère Filteris fondée par Jérôme Coutard proposait déjà des prédictions pour les élections.
Sur son site officiel, Qotmii explique que son classement reflète le « potentiel électoral » de chaque candidat. Il est généré par une intelligence artificielle.
La firme présente son outil comme « un moteur de recherche » et un « simplificateur de tendances à la frontière des neurosciences, du marketing et de la psychologie sociale ».
L’intérêt de Qotmii, outil très fin, c’est qu’il change la donne dès lors qu’on s’intéresse à la hiérarchie officielle des sondages, dont on sait qu’ils sont globalement des prophéties auto-réalisatrices. Par exemple, Macron veut une finale avec Marine. Mais Macron est-il forcément au second tour ? D’après tous les sondeurs, oui. Nous, et pas que nous, avons un peu de mal à penser qu’un quart des électeurs actifs fait encore confiance à l’homme du désastre permanent. Mais bon, un pays peut devenir masochiste, surtout quand on le maltraite à ce point.
Pour faire court, Qotmii donne Macron en 1, Zemmour en 2 et Marine en 3.
D’après notre flair politique, Macron ne peut pas avoir 25, mais il est juge et partie... On aurait donc Zemmour, Marine et Méluche dans la botte, ce qui semble raisonnable, au vu des programmes, des personnalités, des campagnes et des meetings. On a vu Macron à l’Arena, rien à voir avec Méluche à Lyon et Marseille, ou Zemmour au Troca. Quant à Marine, le gros de son vote est caché, donc surprise possible. Pour Qotmii (on dirait qu’on parle à un robot, comme dans 2001 l’Odyssée de l’espace), elle se rapproche de plus en plus de Zemmour.
Ce qui est encore plus intéressant, et là les rédacteurs du site semblent assez naïfs, ou au contraire très subtils, c’est le retour Qotmii sur les élections de 2017 :
Au vu de la description officielle de Qotmii, on pourrait déduire que son classement ne traduit nullement la probabilité d’une victoire d’Éric Zemmour. Toutefois, force est de reconnaître que cette IA a fourni des pronostics proches du résultat final lors des précédentes élections. Et souvent plus précis que les sondages traditionnels.
Avant la création de Qotmii en 2019, sa maison-mère Filteris proposait déjà des prédictions pour les résultats des élections présidentielles. Cette entreprise est spécialisée dans la gestion de la réputation en ligne.
Sondages #Qotmii à 1 sem. des élections/ Estimat° vs réalité
➡️ 2012 #Hollande 28,5% vs 28,6%#Sarkozy 27,8% vs 27,2%
➡️ 2017#Macron 20% vs 23,9%#LePen 22,7% vs 21,4%#Fillon 21,6% vs 19,9%#LFI 21,3% vs 19,6%
➡️ 2022#Macron 24,8%#Zemmour 21,5%#RN 15,1%#JeVoteZemmour— Surfeur d'Argent Ⓩ (@surfeur_argent) April 5, 2022
Ce n’est pas une preuve, mais ça ressemble à un fort soupçon. On continue sur lebigdata.fr, et là, ça va vous exciter les papilles, si vous avez un peu de vice :
En 2017, la firme s’était placée en alternative aux sondages traditionnels. Elle mettait déjà en avant son système basé sur l’analyse Big Data et l’intelligence artificielle.
Début mars, Filteris annonçait la qualification de François Fillon au second tour. Le candidat LR n’avait finalement atteint que la troisième position, probablement à cause de » l’affaire Fillon « .
Une semaine avant le scrutin du 23 avril, Filteris estimait qu’Emmanuel Macron terminerait en quatrième place et serait surpassé par Jean-Luc Mélenchon. Au final, le candidat En Marche est arrivé en tête du premier tour tandis que le candidat de La France Insoumise a fini en quatrième place.
Fillon, le président potentiel et logique, a clairement été barré par Macron. C’est là où l’on peut imaginer une intervention divine, celle du pouvoir profond qui a la main sur l’Intérieur. Et qui était en poste de la fin 2016 à mai 2017 ? Mathias Fekl, qui a remplacé Cazeneuve (en fait Le Roux). Wikipédia nous narre ses débuts :
Il entre au Parti socialiste (PS) en 2001 et est d’abord proche de Bertrand Delanoë. Il s’engage ensuite dans À gauche, en Europe, un club de réflexion social-démocrate au sein duquel il se rapproche de Pierre Moscovici et de Dominique Strauss-Kahn. (...)
En 2013 il est intégré au programme « Young Leaders » de la French-American Foundation dont il se met en retrait dès sa nomination au gouvernement.
En 2017, Fekl est chargé de la sécurité des élections... Après la défaite du PS, il rejoint le cabinet de lobbying Rivington, une agence très strauss-kahnienne qui joue les bons offices pour les multinationales auprès de l’Union européenne. On écoute Wikipédia sur Rivington, accusé de « conflits d’intérêts potentiels » :
Plusieurs responsables politiques rejoignent l’agence à l’issue de leur mandat, alors que des collaborateurs de l’agence accèdent à des responsabilités publiques dans le même temps, ce qui nourrit de possibles conflits d’intérêts. Ainsi, Matthias Fekl, ancien secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur et Romain Derache, auparavant chargé de mission Relations avec les parlementaires du ministre Bruno Le Roux rejoignent Rivington en 2017.
Pour la journaliste Laure Bretton, « le cabinet est une nébuleuse de gauche. On y croise Raphaël Zarader, fils de Robert Zarader, le publicitaire qui a l’oreille de Hollande à l’époque, ainsi que l’ex-présidente de SOS Racisme Layla Rahhou. Signe de la porosité entre le monde politique et les lobbys, Rahhou vient de rejoindre le cabinet de Mounir Mahjoubi, l’actuel secrétaire d’État au numérique : elle a été remplacée dans la foulée chez Rivington par Romain Derache, ex-collaborateur parlementaire PS passé par le ministère de l’Intérieur ».
En 2018, Rivington recrute Tanguy Hergibo, ancien collaborateur du sénateur François Patriat, président du groupe LREM. Plusieurs anciens collaborateurs de l’agence accèdent à des responsabilités publiques, notamment Jessica Chetboun, qui devient conseillère politique auprès du groupe LREM à l’Assemblée, Étienne Lesoeur qui est choisi comme assistant parlementaire de Frédérique Dumas, vice-présidente LREM de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, ou Céline Montaner, collaboratrice d’Aurore Bergé.
Et voilà, une belle petite passerelle entre Fekl et LReM, mais évidemment, cela ne prouve rien. Conclusion : pas besoin de Dominion pour altérer le résultat des élections. On vous le concède, tout cela est un peu long, mais ça parle, non ?
Voici les cotes de QotMii à 00:10 le 8 avril avant le « problème » d’incohérence statistique repéré ce matin. pic.twitter.com/2P6Mhba6Ng
— QOTMII (@QotMii) April 8, 2022
Guillaume Peltier semble très sûr de lui
Le vote électronique est pour l’instant négligeable en France
L’année politique 2020 scannée par Qotmii