Rions encore et toujours.
Surtout en ces temps où des Petits-Blancs (White Trash en français) s’agitent sur nos écrans d’ordinateurs et de smartphones. Ce mouvement de mode (à expliquer aux parents) invisible dans la réalité permet une expérience d’observation sur le net. Des « mulots-natios » frénétiques, plus ou moins blancs mais totalement anti-arabes, s’agitent sur les réseaux sociaux. Ils parlent, ils bavent, ils « punchlinent ». Des hamsters font tourner leurs roues twitteresques... Côté pureté raciale et humour d’acier, le niveau a baissé depuis la SS.
Souhaitons-leur d’élever le regard, donc leur niveau culturel, au-dessus du labyrinthe. Pour y déceler, trop tard, un monde de compétences complexes – et de richesses – auquel aucun n’accédera jamais.
Pour l’instant le capitalisme, expert en manipulation d’ego, fait d’eux les bénévoles d’un genre de télé-réalité bien distrayant. De vidéos en programmes audio, nous suivons leurs lubies. Ils enfilent les identités comme d’autres leur voisin de backroom : « plus blancs que blancs », « mal-pensants virils », « experts en races », « traditionnalistes », issus d’on ne sait trop quelles traditions d’ailleurs...
Nos apprentis Petits-Blancs continueront pour longtemps encore à s’égarer, truffe au plancher.
Pour nous, spectateurs... franche hilarité : ici un guerrier de lignage tantôt viking tantôt gaulois, pleure les vertus disparues des païens (méchants Romains !). Dans le cabanon YouTube voisin, des pensionnaires dissertent sur « l’Arabe mental » nécessaire pour ne pas se faire dérouiller par un « Arabe réel ».
Et puis voici un écrivain. Un Balzac, ignoré du public. Pas pour longtemps. Bientôt sous presse et en autoproduction : La Cousine Bette contre les salafistes, Eugénie Grandet ne Couche pas avec un Bicot, Les Illusions Perdues d’un Ethno-Racialiste... Bref, une Comédie Humaine (pleine de bougnoules) est, parait-il, en gestation.
Attendons que les portes de l’Internet s’ouvrent et libèrent tous ces talents.
- Bientôt, jailli du net, un écrivain « natio » 100% anti-musulman ?
Aux États-Unis l’amateurisme n’existe pas. Le Petit-Blanc n’est pas une nouveauté de saison. Il a atteint des niveaux à faire rêver nos jeunes braves. Voici donc quelques modèles de White-Trash, des prolos allumés, qui ont fait de leurs tares des vies hautes-en-couleur et parfois des œuvres intéressantes.
Au fait, qu’est-ce qu’un Petit-Blanc ? Chez Oncle Sam, il est depuis deux siècles la figure emblématique d’une population pauvre et aculturée. La bourgeoisie des États du Sud (et bientôt du reste du pays) ne lui a laissé que deux biens : la fierté abrutie de sa couleur de peau et la liberté (très manipulée) de détester son prochain ou de péter les plombs. Il se trouve que – oh ! Comme les choses sont bien faites ! - ce plus proche c’est justement... l’objet de toutes ses haines : l’Afro-américain. Pour nos Petits-Blancs francaoui, la fixette se porte sur l’Arabe.
Crise de 29, le capitalisme US démarre la commercialisation de toutes les pulsions. Après le retard pris de 39 à 45, en raison de la concurrence d’une enseigne rivale pourtant experte en diffusion de produits innovants, le spectacle pop peut se déployer.
Une brochette de White-Trash célèbres y contribue : Elvis, Jerry Lee Lewis ou Johnny Cash. Tous fils de parias rustiques en salopette... Pensez à Cletus, le péquenaud, dans Les Simpsons.
Le jazzman Mose Allison a chanté Parchman Farm avec une élégance inconnue de Bertrand Cantat : « Bien, je vais rester ici pour le reste de ma vie, alors que tout ce que j’ai fait c’est de flinguer ma femme... » Le père du King, lui, a été incarcéré dans ce pénitencier pour un chèque en bois de moins de cent dollars. Ses co-détenus avaient plus le blues dans le sang que l’hymne du Klan. Gageons que le père Presley ne la ramenait pas trop avec des points de vue sur la remigration.
Mention spéciale à Jerry Lee : mariage rapide avec une cousine de treize ans, un cousin qui devient télévangéliste gourmand de prostituées, le célèbre Jimmy Swaggart. Le Killer – surnom peut-ètre mérité – luttera jusqu’à sa mort contre Satan (deux enfants et une épouse décédés dans des circonstances violentes) Et... Ah, oui ! Jerry a aussi essayé de flinguer son bassiste ainsi que... le King lui-même ! Une histoire embrouillée avec la sécu à l’entrée de Graceland, le palais en meringue de l’obèse de Las Vegas. La police de Memphis a mis ce dernier écart, calibre en main, sur le compte d’un énervement passager. Ça se passait comme ça chez ces White-Trash d’anthologie : avec des burnes, de la folie et du talent. Pas avec des vidéos accusatoires de puceaux fébriles.
Trop contents d’échapper à leur malédiction sociale, aucun de ces monstres un peu sacrés ne se permet des déblatérations poussant à l’affrontement des pauvretés. Au contraire, la proximité des deux communautés, Noirs du ghetto et Petits-Blancs, écrasés par la pyramide, les inspire pour créer face à l’adversité. Bon... Il y a bien cette sortie de scène de Jerry Lee Lewis – encore lui – qui passe devant Chuck Berry et lui lâche : « Essaie de faire mieux, négro ! »
Faut-il y déceler du racisme ? De la franche camaraderie plutôt.
Les années 60 sont une opérette. La jeunesse se tripote, John Lennon joue du pipeau la bite à l’air et Janis Joplin invente la violence faite aux connes : saloperies sexuelles tous azimuts et libération infâme certifiée par des râles bluesy de chienne torturée. Chez les gens honnêtes, dans la nuit des marécages de Louisiane, un certain Johnny Rebel a d’autres préoccupations. Pour Johnny, le dossier en haut de la pile c’est les Nègres. Mais Johnny n’enchaîne pas les CDD dans le tertiaire et n’est pas youtubeur. Pour propager son message, il enregistre des chansons country consacrées à son thème favori, « les nèg’s », encore « les nèg’s, » toujours « les nèg’s ». Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir : Nigger Hatin me, If I could be a Nigger for a Day, Some Niggers Never Die, sans oublier Nigger Nigger et bien sûr la comptine que Johnny a conçue pour toutes les têtes blondes (il en reste un peu) du Sud Profond : Send them back to Africa !
Si tout ces trésors méconnus ne finissent pas sur un concept-album subventionné c’est a désespérer de l’art contemporain en France ! Ce Johnny nous a quittés en 2016. Il ne s’est surtout pas fait enterrer à Saint-Barthélémy.
- Johnny Rebel, son groupe et une jeune fan
Autre White-Trash de compétion : Hasil Adkins, natif de la Virginie de l’Ouest. Hasil – à ne pas confondre avec son frère Basil – mérite bien son prénom. Dans les années 50, il vit en reclus chez sa maman. Ce Norman Bates rockabilly (voir Psychose de Hitchcok) enregistre seul dans son garage un son primitif ponctué de cris déments.
Adkins traîne une réputation de quasi cannibale. Il dévore saucisses, steaks, côtes de porc et chapelets de boudins. Il fera une exception notable à ce régime... en 1974. Cette année-là des jeunes gens branchés, Miriam Linna et Billy Miller, s’entichent de la microscopique légende rock. Ils lui offrent d’enregistrer sur leur label, Norton Records, dans un vrai studio de la grande ville, New-York, loin de maman (chez qui il mourra). Un soir les jeunes urbains éduqués vont au théâtre et conseillent au guitariste-chanteur de se servir dans le frigo. Resté seul, celui-ci avise sur une étagère, bien en évidence dans le salon, une boîte de soupe Campbell. Hasil ne prête pas attention à l’autographe d’Andy Warhol sur l’étiquette... et engloutit l’œuvre d’art.
Le vrai White-Trash a un sens de l’esthétique différent de celui du grand-père d’Anne Sainclair.
- Ceci n’est pas de l’art
Et maintenant, un morceau de roi.
Début des années 70, Richard Nixon soigne l’économie américaine : le temps de faire « Ha ! Ha ! Ha ! » et plus d’un million d’emplois de pauvres sont détruits. Le rêve d’harmonie du lubrique Révérend Martin Luther King se révèle être un délire supplémentaire. La pornographie explose, la drogue récure tout sur son passage.
Le public, héberlué, découvre alors un White-Trash sans complexe : le chanteur de country David Allan Coe. Il a de nombreuses qualités pour le job : ce membre du club de motards les Outlaws a passé pas mal de temps dans divers établissements pénitentiaires suite à des pécadilles (bières, bastons et braquages). Il lui a même fallu massacrer un co-détenu qui souhaitait lui pratiquer une politesse rectale. Ce qui lui vaut une condamnation à mort. Merveilleux David Allan Coe ! Suffisamment élégant pour publier, alors qu’il a une carrière bien lancée, Underground Album, un disque outrageux et chroniquant le racisme à un très haut niveau. DAC (prononcer Dihéssi tout en ouvrant une Bud avec les dents et en écoutant Nigger Fucker, le tube) est l’équivalent country des maquereaux noirs de l’écrivain Iceberg Slim. Et bien sûr, à malin, malin et demi, il joue son rôle à merveille...
À propos de Malin. Arrêtons-nous deux secondes sur l’animateur qui pousse notre ours chevelu à se caricaturer en Petit-Blanc. Admirons cette schutzpah d’entrée de jeu : « you’re a fucking degenarate »... Ah, Bon ?
Alarme ! Il ne s’agit pas d’un mélange de psychanalyste et de Groucho Marx. Non ce faciès torve, cette lippe luisante, sous des naseaux fureteurs, ce murmure mielleux enrobant tous les tons du vice... cela s’appelle Al Goldstein ! Le sinistre pionnier de la pornographie de masse, l’âme damnée du magazine Screw (Baise !), maison fondée en 1968. Goldstein est une viande impénitente pour tous les salons de massage de la mafia d’alors. Il publie les clichés de la veuve Kennedy nue, des années avant son ami le non moins répugnant Larry Flint. Côté justice, Goldstein est condamné, entre autres, pour plusieurs harcèlements menés avec la pugnacité d’un traqueur obsessionnel. Lorsque son propre fils refuse sa présence à une remise de diplôme, le père dénaturé publie, pour l’Amérique entière, des photos trafiquées de son propre rejeton dans des situations de coïts contre-nature et homosexuels.
La liberté d’expression dont il se gargarise n’explique pas tout. Méditons Al Godstein dans le texte :
« La seule raison pour laquelle les juifs sont dans la pornographie c’est parce que nous pensons que le Christ pue. Le catholicisme ça pue ! »
Le Dieu des Petits-Blancs s’occupe de son cas. Les « fucking degenarate », les méprisés, les ridiculisés, les privés d’éducation, les privés de soins, les privés de tout ont le réconfort d’un spectacle de choix : le riche Goldstein est englouti par la ruine, la misère le poursuit jusque dans un foyer de sans-logis. Après les souffrances d’une longue maladie solitaire, et la pose de nombreuses sondes anales, son cadavre de vieil obèse n’est pleuré par personne. Mais n’en doutez pas, un jour un Hollywoodien s’emparera de cette histoire !
En attendant, voici la morale : un « fucking degenarate » peut en cacher un autre, voir même beaucoup d’autres !
Passons aux années 80 et reprenons un peu d’altitude. Tout du long d’une fructueuse carrière, Bruce Sprinsteen, qui n’est pas un white-trash mais bien une figure de prolo courageux, écrit la chronique d’un peuple laborieux luttant pour sa dignité. La mission de garder sa famille unie, de pourvoir à ses moyens d’existence par un labeur pas forcément gratifiant mais avec un courage admirable, sont les thèmes de prédilection du Boss – soulignés, au saxophone, par son colosse noir et ami, Clarence Clemons.
Son peuple – des Blancs en souffrance – est menacé de déclassement, ses anciens combattants deviennent des sans-abris, ses ouvriers perdent leurs emplois, ses familles leurs maisons. Mais il y a encore dans l’univers springsteenien des racines, des valeurs morales et des traditions qui retardent la débâcle.
Pour cette Amérique en route vers le populisme, le cousin des champs de Bruce ne peut être que Steve Earle. Immense songwriter, éduqué politiquement, Steve est aussi un sacré personnage. Perturbé (au crack) par l’immense succès de ses débuts, il plonge, de scandales en scandales. Après une cavale le voilà dans un pénitencier (pas de codétenu sodomite à signaler). Classique. Un bon coup de rédemption par-dessus ce naufrage et voici un vieux sage barbu ! Son œuvre est une synthèse musicale de divers courants authentiques (folk, bluegrass, rock, etc.). À l’exemple de Woody Guthrie, un de ses modèles, Steve Earle prête une attention compatissante aux paumés dévorés par les prédations oligarchiques. Ainsi Steve Earle a repéré, bien avant tous les sociologues bavards des médias, un personnage appelé à un grand avenir. En 2002, sa chanson John Walker Blues crée une polémique dans l’Amérique du 11 Septembre. Il y décrit le périple d’un jeune Américain de souche devenu djihadiste en Afghanistan. Ce titre figure sur l’album... Jerusalem.
Finissons cette excursion au XXIème siècle. Le ton change. Eminem, de la zone sinistrée de Detroit, propose une nouvelle version : le White-Trash urbain né dans le hip-hop. De son vrai nom Marshall Mathers, ce freluquet hargneux est le fruit hasardeux de parents déstructurés. Un père guitariste de hard-rock vite parti, une mère bancale et pauvre. La norme d’en-bas, quoi. La première partie de son œuvre, les albums Infinite et le Slim Shady EP, restitue avec hargne ses expériences désastreuses, son adolescence de crevard dans un bungalow dégueulasse, ses boulots de Nègre blanc. Toute la déglingue poisseuse des « Trailer Trash » (le quart-monde en mobil-home) s’exprime dans ses raps colériques. Le tout agrémenté d’un zeste d’homophobie bien comprise, histoire de dire que dans la zone, la priorité c’est la bouffe. Dans la rue, il n’y a plus de politique depuis longtemps. Mémoire ouvrière ? Ça veut dire quoi ? Non, Ici, on se défonce, on se dénigre entre communautés, de temps à autre on serial-kille...
En France, côté white-trashisme, beaucoup reste à inventer. Ne doutons pas que les années à venir permettront d’énormes avancées, à coups de franches-macroneries et de mesures bombardées par les hautes sphères. Bientôt beaucoup comprendront mieux le concept...
Déjà, les médias fabriquent le Petit-Blanc. La liste des ingrédients jetés dans le chaudron post-national est longue : la France périphérique, les habitants d’Hénin-Beaumont en tête, les chasseurs racistes en région PACA, les paysans suicidaires, les artisans micro-entrepreneurs en cours de désaffiliation, les cohortes de chômeurs à perpétuité, les précaires dès le plus jeune âge, les obèses à bout de souffle, les zadistes échoués dans des vans pourris, les punks-à-chiens entre psychiatrie et mort, sous les balcons des migrants. « Ça », ce ne sont pas les chansons du cache-misère Orelsan qui en rendent compte. « Ça », c’est le peuple de France qui s’effondre dans l’angle mort. Qui se white-trashise.
Pendant ce temps une Sylvie Laurent, enseignante à Sciences-Po, prend la lumière à France-Inter et à France-Culture. Sa voix de crécelle dénonce immanquablement Trump, les racistes, les homophobes, les sexistes... Tout le catalogue de la bien-pensance. Pourquoi cette intervenante parfumée ? Tout simplement parce qu’elle a publié l’essai Poor White Trash, la Pauvreté Odieuse du Blanc Américain. Notre bourgeoisie hors-sol a depuis longtemps anticipé la désagrégation du peuple de France. Ses clercs, payés avec l’argent public, ont carte blanche pour « décrypter » les dégâts.