Il ne faut pas regarder le présent avec les yeux du passé, mais le passé avec les yeux du présent, sauf bien sur si l’on veut se condamner soi-même, comme beaucoup d’autres, à vivre un éternel retour… en aveugle, au sein même de la célèbre caverne platonicienne.
Car le futur ne se devine pas de façon linéaire, mais sur un mode cyclique, et dans une quasi non-superposition des situations du passé au présent. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », nous disait déjà en son temps le Philosophe grec Héraclite. C’est là un principe nietzschéen auquel nous souscrivons pleinement ici, le seul qui vaille, y compris bien sûr en matière d’économie, et plus encore de géopolitique.
Tout au plus pouvons-nous pour les plus instruits d’entre nous, nous amuser au jeu des similarités, et en trouver ainsi quelques-unes, par exemple, aux crises économiques de 1929 et 2008.
Quant à l’étude des cycles, seuls les plus érudits peuvent s’y prêter, tant cette étude demande une gymnastique d’esprit dont bien peu d’humains sont capables. Car il nous faut défier alors les lois de la pesanteur de la pensée, pour rejoindre celles plus acrobatiques de l’apesanteur cosmique, et celle plus prosaïques de la politique. Ce n’est pas pour rien que Kondratiev, le génial russe découvreur des cycles long en économie, fut condamné par Staline à la déportation. Dans le même ordre d’idée et plus proche de nous, il ne fait pas bon d’être Banquier central chez le turc Erdogan. Si l’on a le malheur de déplaire au Prince Sultan et à sa politique, une simple mesure procyclique en matière de taux d’intérêt peut vous amener au bagne à perpétuité.
Il ne faut donc pas regarder l’actuelle redistribution géopolitique des cartes en Europe, et dans le monde, comme une résurgence de la guerre froide, avec à la clef, un retour des acteurs internationaux à une politique pure et dure de dissuasion nucléaire sous forme d’escalade en matière d’ogives. Mais au contraire observer le tout, comme un glissement des « plaques tectoniques géopolitiques », c’est-à-dire une modification substantielle des rapports de force ayant donné à Poutine l’opportunité historique d’un changement des règles du jeu en vigueur dans le monde depuis 1945, et son fameux Yalta, où déjà un certain Joseph Staline et ses 20 millions de morts russes avaient été conviés.
Effet miroir inversé et rebondissement cyclique de l’histoire
La chute du mur de Berlin en 1989 n’a pas vu, comme l’a théorisé l’historien propagandiste Fukuyama, la victoire du modèle néolibéral sur le modèle socialiste. Mais c’est au contraire le modèle soviétique qui profitant de cette ouverture sur l’Occident, a muté en social-démocratie et s’est métastasé peu à peu sur l’ensemble des pays du monde.
Et à ce propos je vous invite très fortement à lire un livre sorti à la même époque que La Fin de l’histoire et le Dernier Homme de Fukuyuma, il s’agit d’un livre apocalyptique et dystopique publié en 1990, au moment où donc l’ère soviétique était censée s’achever. Le livre, intitulé The Plot of World Government : Russia and the Golden Billion, a été écrit par un Russe nommé Anatoly Tsikunov sous le pseudonyme de A. Kuzmich.
Tsikunov a décrit une conspiration de la fin des temps contre la Russie, dans laquelle la riche élite occidentale a réalisé que le changement écologique et les catastrophes mondiales entraîneraient une concurrence accrue pour les ressources mondiales, rendant finalement le monde inhabitable pour tous sauf un milliard d’entre eux. Ces élites ont compris que la Russie, avec ses ressources naturelles, son immense superficie et sa situation septentrionale, devait être maîtrisée par tous les moyens nécessaires à leur propre survie.
Il s’agit d’une mise à jour moderne, centrée sur la Russie, des craintes de surpopulation mondiale. Le livre rassemble plusieurs des principaux tropics de la Russie post-soviétique : la nécessité de défendre les ressources naturelles du pays contre un Occident prédateur, la démoralisation de la jeunesse russe par l’Occident, la destruction de l’économie russe, et la destruction de la santé publique. Le tout en un seul récit des plus convaincants. Une histoire qui combine également des éléments historiques (la Seconde Guerre mondiale, connue en Russie sous le nom de Grande Guerre patriotique) avec la science et la pseudo-science (déjà à l’époque).
Tsikunov est mort dans des circonstances peu claires un an après la publication de son livre, ce qui n’a fait que renforcer le mythe. Mais son idée a rapidement été popularisée par l’intellectuel russe antilibéral Sergey Kara-Murza qui a écrit, à la fin des années 1990, que le milliard doré correspondait à la population des « démocraties » à revenu élevé qui consomment une part injuste des ressources mondiales.
Plus de deux décennies plus tard, cette théorie est devenue monnaie courante au sein du gouvernement russe. De hauts responsables russes, tels que l’ancien président Dmitri Medvedev et le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, l’ont publiquement évoquée à plusieurs reprises depuis le 24 février 2022. Plus inquiétante pour certains experts est la déclaration de Nikolai Patrushev, le moins connu mais puissant secrétaire du Conseil de sécurité, que certains considèrent comme un successeur potentiel de Poutine.
Dans une interview accordée au journal d’État Argumenty i Fakty, publiée en mai, il a déclaré que l’Occident pouvait parler de « droits de l’homme, de liberté et de démocratie », mais qu’il travaillait secrètement à la doctrine du milliard doré. Patrushev a suggéré que la pandémie de coronavirus était orchestrée par le milliard doré et a averti qu’une crise économique mondiale était créée pour « une poignée de magnats de la City de Londres et de Wall Street ».
L’isolement de la Russie après l’invasion de l’Ukraine n’est donc pas dû aux propres actions de la Russie, mais le résultat d’une inévitable conspiration mondiale menée contre elle
Sous un aspect proprement cyclique on peut donc bien parler d’effet miroir, et de retour de balancier, dans ce qui semble se développer en Ukraine actuellement au sens eschatologique du terme.
La résultante de ce changement des rapports de force dans la géopolitique mondiale ne s’est pas attendre, et ce qui apparaissait encore impensable il y a encore quelques mois, est devenu une réalité tangible et palpable : la guerre ! Une sale guerre par procuration, qui dépasse le simple cadre de la guerre en Ukraine, puisqu’elle oppose désormais presque en conflit direct et eschatologique : Occidentaux et Armée russe. Poutine s’y était préparé, les Européens VISIBLEMENT PAS.
Car si, du côté des Russes, on avait anticipé une économie autarcique désendettée, et libérée du dollar, du côté des Européens et de leur maître américain, le moins que l’on puisse dire c’est que l’on nage aujourd’hui en pleine improvisation permanente. Rappelez-vous, n’était il pas question il y a encore peu d’un pipeline gazier flambant neuf nommé Nord Stream 2 prenant sa source au cœur de la Russie pour alimenter une Allemagne prospère et dévoreuse d’énergie. Tout cela appartient désormais au passé, et les Atlantistes ont eu beau engager un humoriste à la tète de l’État ukrainien, il reste que les numéros des acteurs en compétition européenne sont de piètre qualité, et tiennent plus du stand up mal ficelé, que d’un scénario savamment écrit et préparé. Tout foire, des menaces aux sanctions, et ce qui devait être une grande victoire des néoconservateurs américains et de leurs vassaux européens, ressemble désormais à un fiasco aux conséquences immuables et potentiellement insurmontables, pour des systèmes économiques et politiques déjà dévastés par deux ans de fausse pandémie mal gérée.
L’Occident, victime marxiste consentante de ses contradictions
Cerise sur le gâteau, depuis plusieurs années les Occidentaux se trouvent travaillés en interne par les forces socialistes issues du Forum de Davos. Dans un élan sans doute de suprême générosité, et toujours pour notre bien, les mondialistes de Davos ont cru pouvoir profiter de la saine réaction des Russes à l’encerclement « otanien », et de la relative faiblesse de la riposte européenne au travers de sanctions suicidaires, pour faire avancer leur programme malthusien de Grand Reset. Ces Suppôts de Satan y ont vu une opportunité, tout comme le fut le covid en son temps, pour affaiblir davantage les États-nations, déjà fort mal en point et très endettés par les politiques économiques néokeynésiennes en cours.
Reste alors qu’une structure étatique qui chancelle sous l’effort de guerre, et une superstructure idéologique et culturelle qui détruit ce qu’il reste de ciment identitaire, au jeu des similarités dont il était question au début de notre texte, il faut y voir là au sens marxiste du terme, une contradiction qui fut fatale en son temps à l’Empire soviétique, et qui s’annonce comme mortifère pour l’Empire étatsunien, et par voie de conséquence pour l’Europe bruxelloise.
Reste à savoir maintenant si libérés potentiellement de leur occupant américain, les Européens, ou du moins ce qu’il en restera, seront capable d’une vraie indépendance, et d’un rapprochement salvateur avec la Matrice russe.
Dans un discours prononcé cette semaine à Moscou, Vladimir Poutine a déclaré que le « modèle de domination totale du soi-disant milliard doré est injuste ». Pourquoi ce milliard doré de la population mondiale devrait-il régner sur tout le monde et imposer ses propres règles de conduite ?
« Le milliard doré divise le monde en personnes de première et de seconde classe et est donc essentiellement raciste et néocolonial », a déclaré Poutine mercredi, ajoutant que « l’idéologie mondialiste et pseudo-libérale sous-jacente commence à ressembler de plus en plus à un totalitarisme, freinant les efforts créatifs et la libre création historique. »
À méditer vite, à nous les Européens, tant qu’il nous reste encore un peu de temps.
« Ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine. C’est une confrontation contre le globalisme en tant que phénomène planétaire intégral.
C’est une confrontation à tous les niveaux – géopolitique et idéologique. La Russie rejette tout dans le mondialisme : l’uni-polarisme, l’atlantisme, d’une part, et le libéralisme, l’anti-tradition, la technocratie, en un mot, le Great Reset, d’autre part.
Il est clair que tous les dirigeants européens font partie de l’élite libérale atlantiste.
La Russie est désormais exclue des réseaux mondialistes. Elle n’a plus le choix : soit construire son monde, soit disparaître.
La Russie a tracé une voie pour construire son monde, sa civilisation. Et nous sommes en guerre contre cela. D’où leur réaction légitime.
Et maintenant, la première étape a été franchie. Mais le souverain face au mondialisme ne peut être qu’un grand espace, un État-continent, un État-civilisation. Aucun pays ne peut résister longtemps à une déconnexion complète.
La Russie est en train de créer un champ de résistance mondial.
Sa victoire serait une victoire pour toutes les forces alternatives, de droite comme de gauche, et pour tous les peuples. Nous entamons, comme toujours, les processus les plus difficiles et les plus dangereux.
Mais quand on gagne, tout le monde en profite. Ça devrait être comme cela. Nous créons les conditions d’une véritable multipolarité. Et ceux qui sont prêts à nous tuer maintenant seront les premiers à profiter de notre entreprise demain.
Qu’est-ce que cela signifie pour la Russie de rompre avec l’Occident ? C’est le salut. L’Occident moderne, où triomphent les Rothschild, Soros, Schwab, Bill Gates et Zuckerberg, est la chose la plus dégoûtante de l’histoire du monde.
Ce n’est plus l’Occident de la culture méditerranéenne gréco-romaine, ni le Moyen Âge chrétien, ni le XXe siècle violent et contradictoire.
C’est un cimetière des déchets toxiques de la civilisation, c’est l’anti-civilisation.
Et plus tôt et plus complètement la Russie s’en détache, plus tôt elle revient à ses racines. À quoi ? Aux racines chrétiennes, gréco-romaines, méditerranéennes, européennes… C’est-à-dire aux racines communes au véritable Occident.
Ces racines – les leurs ! – l’Occident moderne les a supprimés. Et elles sont restés en Russie.
La Russie n’est pas l’Europe occidentale. La Russie a suivi les Grecs, Byzance et le christianisme oriental. Et elle suit toujours cette voie. Oui, avec des zigzags et des détours. Parfois dans des impasses. Mais ça bouge.
La Russie est née pour défendre les valeurs de la Tradition contre le monde moderne. C’est précisément cette « révolte contre le monde moderne ». Vous comprenez ?
L’Europe doit rompre avec l’Occident, et les États-Unis doivent aussi suivre ceux qui rejettent le mondialisme. Et alors tout le monde comprendra la signification de la guerre moderne en Ukraine.
Beaucoup de gens en Ukraine l’ont compris. Mais la terrible propagande colérique libérale-nazie n’a rien laissé de côté dans l’esprit des Ukrainiens.
Ils reviendront à la raison et se battront avec nous pour le royaume de la lumière, pour la tradition et une véritable identité chrétienne européenne. Les Ukrainiens sont nos frères. Ils l’étaient, ils le sont et ils le seront.
La rupture avec l’Occident n’est pas une rupture avec l’Europe. C’est une rupture avec la mort, la dégénérescence et le suicide. »
Alexandre Douguine, Facebook, 27 février 2022