C’est un article à la fois insolite et inédit qui est sorti des presses du fameux Time Magazine américain. Il explique par le détail les moyens par lesquels les démocrates et leurs médias ont réussi, avec une puissance désinformatrice jamais vue et une série d’ingénieries sociales, à tordre une élection présidentielle et, comme dommage collatéral, à détruire la démocratie américaine pour installer le candidat du Système à la place de Donald Trump.
L’article est long, mais édifiant. Il confirme que pour contourner les lois de la démocratie, le contrôle de l’opinion est nécessaire. L’impunité dont jouissent les forces gauchistes dans les médias qui leur sont acquis explique cet aveu presque innocent qui émane du camp du Bien : pour abattre le candidat du peuple (Trump), tous les moyens, même les plus vils, étaient bons. Et quand on tient la justice et les médias, tout devient possible...
La collusion entre le gauchisme et le grand capital est mis à jour, et même revendiquée par les parties prenantes. L’article du Times s’étonne voire s’excuse de ce mariage contre-nature, mais c’est parce que les journalistes pèchent par inculture politique (réelle ou feinte). De tout temps, les gauchistes et les puissances d’argent – ces deux ennemis éternels du peuple – se sont alliés, les premiers étant souvent les idiots utiles des secondes.
C’est l’histoire d’un complot au grand jour, un complot contre le peuple américain, un complot authentique à ciel ouvert qui dénonce, pour se rendre légitime, un complot imaginaire. Les forces du Système se sont liguées pour battre le peuple. Combien de temps le mensonge tiendra-t-il ?
Quelques traductions existent sur la Toile, mais sont toutes l’oeuvre de traducteurs automatiques avec le cortège de phrases absurdes, de mots mal traduits et de tournures qui ne veulent rien dire. La traduction qui suit est une traduction maison (probablement perfectible, mais parfaitement lisible) de la rédaction E&R. Document majeur à lire, absolument !
L’histoire secrète de la campagne de l’ombre
qui a sauvé les élections de 2020
Une chose étrange s’est produite juste après l’élection du 3 novembre : rien.
La nation était prête pour le chaos. Des groupes de gauche avaient juré de descendre dans la rue, planifiant des centaines de manifestations dans tout le pays. Les milices de droite se préparaient à la bataille. Dans un sondage effectué avant le jour des élections, 75 % des Américains ont exprimé leur inquiétude face à la violence.
Au lieu de cela, un calme inquiétant s’est installé. Le président Trump ayant refusé de céder, la réponse n’a pas été une action de masse, mais des protestations. Le 7 novembre, lorsque les médias ont annoncé la course à Joe Biden, la liesse a éclaté. Les gens ont envahi les villes américaines pour célébrer le processus démocratique qui a abouti à l’éviction de Trump.
Une deuxième chose étrange s’est produite au milieu des tentatives de Trump d’inverser le résultat : les entreprises américaines se sont retournées contre lui. Des centaines de grands chefs d’entreprise, dont beaucoup avaient soutenu la candidature de Trump et appuyé sa politique, l’ont appelé à céder. Pour le Président, quelque chose n’allait pas. « Tout cela était très, très étrange », a déclaré M. Trump le 2 décembre, « quelques jours après l’élection, nous avons assisté à un effort orchestré pour sacrer le vainqueur, alors même que de nombreux États clés étaient encore en train d’être comptés ».
D’une certaine manière, Trump avait raison.
Un complot se déroulait dans les coulisses, une conspiration qui a à la fois réduit les protestations et coordonné la résistance des chefs d’entreprise. Ces deux surprises étaient le résultat d’une alliance informelle entre des militants de gauche et des titans du monde des affaires. Le pacte a été officialisé dans une déclaration conjointe, laconique et peu remarquée de la Chambre de commerce américaine et de l’AFL-CIO [Fédération américaine du travail-Congrès des organisations industrielles – NDT], publiée le jour des élections. Les deux parties en sont venues à le considérer comme une sorte de marché implicite – inspiré par les protestations massives, parfois destructrices, de l’été en matière de justice raciale – dans lequel les forces du travail se sont unies aux forces du capital pour maintenir la paix et s’opposer à l’attaque de Trump contre la démocratie.
La poignée de main entre les entreprises et les travailleurs n’était qu’un élément d’une vaste campagne multipartite visant à protéger l’élection – un extraordinaire effort dans l’ombre consacré non pas à gagner le vote, mais à s’assurer qu’il soit libre et équitable, crédible et non corrompu. Pendant plus d’un an, une coalition d’agents peu structurée s’est efforcée de consolider les institutions américaines alors qu’elles subissaient les attaques simultanées d’une pandémie sans remords et d’un Président à tendance autocratique. Bien qu’une grande partie de cette activité se soit déroulée à gauche, elle était distincte de la campagne de Biden et a franchi les lignes idéologiques, avec des contributions cruciales d’acteurs non partisans et conservateurs. Le scénario que les militants de l’ombre voulaient désespérément arrêter n’était pas une victoire de Trump. Il s’agissait d’une élection si calamiteuse qu’aucun résultat n’a pu être discerné, un échec de l’acte central d’autogouvernance démocratique qui est la marque de fabrique de l’Amérique depuis sa fondation.
Leur travail a touché tous les aspects de l’élection. Ils ont amené les États à modifier les systèmes et les lois électorales et ont contribué à obtenir des centaines de millions de dollars de financement public et privé. Ils ont repoussé des actions en justice destinés à éliminer des électeurs, recruté des armées de travailleurs électoraux et obtenu que des millions de personnes votent par correspondance pour la première fois. Ils ont réussi à faire pression sur les sociétés de médias sociaux pour qu’elles adoptent une ligne plus dure contre la désinformation et ont utilisé des stratégies basées sur les données pour lutter contre la propagation des calomnies. Ils ont mené des campagnes nationales de sensibilisation du public qui ont aidé les Américains à comprendre comment le décompte des votes se déroulerait sur plusieurs jours ou semaines, empêchant ainsi les théories du complot de Trump et les fausses déclarations de victoire de prendre de l’ampleur. Après le jour de l’élection, ils ont surveillé chaque point de pression pour s’assurer que Trump ne puisse pas renverser le résultat. « L’histoire non racontée de l’élection est celle des milliers de personnes des deux partis qui ont accompli le triomphe de la démocratie américaine à sa base même », déclare Norm Eisen, un éminent avocat et ancien fonctionnaire de l’administration Obama qui a recruté des républicains et des démocrates au conseil d’administration du programme de protection des électeurs.
Car Trump et ses alliés menaient leur propre campagne pour gâcher l’élection. Le président a passé des mois à insister sur le fait que les bulletins de vote par correspondance étaient un complot démocrate et que l’élection serait « truquée ». Ses hommes de main au niveau de l’État ont cherché à bloquer leur utilisation, tandis que ses avocats ont intenté des dizaines de procès fallacieux pour rendre le vote plus difficile – une intensification de l’héritage du GOP [Parti républicain – NDT] en matière de tactiques de répression. Avant l’élection, M. Trump a comploté pour bloquer un décompte légitime des votes. Et il a passé les mois qui ont suivi le 3 novembre à essayer de voler l’élection qu’il avait perdue – avec des procès et des théories du complot, des pressions sur les fonctionnaires de l’État et des collectivités locales, et finalement en convoquant son armée de partisans au rassemblement du 6 janvier qui s’est terminé en violence mortelle au Capitole.
Les militants pour la démocratie ont observé avec inquiétude. « Chaque semaine, nous avons eu l’impression de nous battre pour tenter de remporter cette élection sans que le pays ne connaisse un véritable moment dangereux », explique Zach Wamp, ancien représentant du GOP, un partisan de Trump qui a aidé à coordonner un conseil bipartite de protection des élections. « Nous pouvons regarder en arrière et dire que tout s’est plutôt bien passé, mais il n’était pas du tout évident en septembre et octobre que ce serait le cas. »
Voici l’histoire du complot pour sauver les élections de 2020, basée sur l’accès aux rouages internes du groupe, à des documents inédits et à des interviews de dizaines de personnes impliquées de tous les horizons politiques. C’est l’histoire d’une campagne sans précédent, créative et déterminée, dont le succès révèle également à quel point la nation a frôlé le désastre. « Toute tentative d’interférer avec le bon déroulement de l’élection a été défaite », déclare Ian Bassin, cofondateur de Protect Democracy, un groupe non partisan de défense de l’État de droit. « Mais il est extrêmement important que le pays comprenne que cela ne s’est pas produit accidentellement. Le système n’a pas fonctionné comme par magie. La démocratie n’est pas automatique. »
C’est pourquoi les participants veulent que l’histoire secrète de l’élection de 2020 soit racontée, même si cela ressemble à un rêve paranoïaque – une cabale bien financée de personnes puissantes, dans tous les secteurs et toutes les idéologies, travaillant ensemble en coulisses pour influencer les perceptions, changer les règles et les lois, orienter la couverture médiatique et contrôler le flux d’informations. Ils ne truquaient pas l’élection, ils la fortifiaient. Et ils estiment que le public doit comprendre la fragilité du système pour assurer la pérennité de la démocratie en Amérique.
L’ARCHITECTE
À l’automne 2019, Mike Podhorzer a acquis la conviction que l’élection allait être désastreuse et a décidé de la protéger.
Ce n’était pas son domaine habituel. Depuis près d’un quart de siècle, Podhorzer, conseiller principal du président de l’AFL-CIO, la plus grande fédération syndicale du pays, a rassemblé les dernières tactiques et données pour aider ses candidats favoris à remporter les élections. Sans prétention et professoral, il n’est pas le genre de « stratège politique » gominé qui apparaît aux informations du câble. Parmi les initiés du Parti démocrate, il est connu comme le magicien à l’origine de certaines des plus grandes avancées en matière de technologie politique ces dernières décennies. Un groupe de stratèges de gauche qu’il a rassemblé au début des années 2000 a conduit à la création de l’Institut des analystes, une entreprise secrète qui applique des méthodes scientifiques aux campagnes politiques. Il a également participé à la fondation de Catalist, la société phare de données progressistes.
Selon M. Podhorzer, les discussions interminables à Washington sur la « stratégie politique » n’ont pas grand-chose à voir avec la façon dont le changement s’opère réellement. « Mon point de vue de base sur la politique est que tout est assez évident si vous ne la suranalysez pas trop ou si vous ne prenez pas tout pour argent comptant des modèles dominants », a-t-il écrit un jour. « Après cela, il suffit d’identifier sans relâche vos hypothèses et de les remettre en question ». Podhorzer applique cette approche à tout : lorsqu’il a entraîné l’équipe de petite ligue de son fils, aujourd’hui adulte, dans la banlieue de Washington, il a appris aux garçons à ne pas faire de swing sur la plupart des lancers – une tactique qui a rendu furieux leurs parents et ceux de leurs adversaires, mais qui a permis à l’équipe de remporter une série de championnats.
L’élection de Trump en 2016 – en partie grâce à sa force inhabituelle parmi les ouvriers blancs qui constituait majoritairement autrefois l’AFL-CIO – a incité Podhorzer à remettre en question ses hypothèses sur le comportement des électeurs. Il a commencé à faire circuler des notes de service hebdomadaires sur les chiffres à un petit cercle d’alliés et à organiser des séances de stratégie à Washington. Ce n’est qu’après des mois de recherche qu’il a présenté ses préoccupations dans son bulletin d’information en octobre 2019. Les outils habituels de données, d’analyse et de sondage ne seraient pas suffisants dans une situation où le Président lui-même tente de perturber l’élection, écrit-il. « La grande partie de notre planning nous guide jusqu’au jour du scrutin », a-t-il noté. « Mais nous ne sommes pas préparés aux deux résultats les plus probables » – Trump perd et refuse de concéder, et Trump gagne le Collège électoral (malgré la perte du vote populaire) en corrompant le processus de vote dans les États clés. Nous avons désespérément besoin de créer une red team [simulation de l’équipe ennemie pour élaborer une stratégie – NDT] pour cette élection afin de pouvoir anticiper et planifier le pire qui, nous le savons, nous attend.
Il s’est avéré que Podhorzer n’était pas le seul à penser en ces termes. Il a commencé à entendre d’autres personnes désireuses d’unir leurs forces. La Fight Back Table, une coalition d’organisations de « résistance », avait commencé à élaborer des scénarios en fonction de la possibilité d’une élection contestée, rassemblant des militants de gauche aux niveaux local et national dans ce qu’ils ont appelé la Coalition pour la défense de la démocratie. Les organisations de défense du droit de vote et des droits civils ont tiré la sonnette d’alarme. Un groupe d’anciens élus se penchait sur les pouvoirs d’urgence, craignant que Trump ne puisse les exploiter. Protect Democracy mettait sur pied un groupe de travail bipartite sur la crise électorale. « Il s’est avéré qu’une fois que vous l’avez dit tout haut, les gens étaient d’accord », dit Podhorzer, « et cela a commencé à prendre de l’ampleur ».
Il a passé des mois à réfléchir à des scénarios et à discuter avec des experts. Il n’a pas été difficile de trouver des personnes de gauche qui considéraient Trump comme un dangereux dictateur, mais Podhorzer a pris soin d’éviter l’hystérie. Ce qu’il voulait savoir, ce n’était pas comment la démocratie américaine était en train de mourir, mais comment elle pourrait être maintenue en vie. La principale différence entre les États-Unis et les pays qui ont perdu leur emprise sur la démocratie, a-t-il conclu, est que le système électoral décentralisé des États-Unis ne peut pas être truqué d’un seul coup. C’était l’occasion de le consolider.
L’ALLIANCE
Le 3 mars, Podhorzer a rédigé un mémo confidentiel de trois pages intitulé « Menaces sur l’élection de 2020 ». Trump a clairement indiqué que cette élection ne serait pas équitable et qu’il rejetterait tout sauf sa propre réélection comme étant « fausse et truquée », a-t-il écrit. « Le 3 novembre, si les médias rapportent le contraire, il utilisera le système d’information de droite pour établir son récit et inciter ses partisans à protester ». Le mémo a défini quatre catégories de défis : les attaques contre les électeurs, les attaques contre l’administration électorale, les attaques contre les opposants politiques de Trump et les « efforts pour renverser les résultats de l’élection ».
Puis le Covid-19 a éclaté au plus fort de la saison des élections primaires. Les méthodes de vote habituelles n’étaient plus sûres pour les électeurs ou les bénévoles, pour la plupart âgés, qui s’occupent normalement des bureaux de vote. Mais les désaccords politiques, intensifiés par la croisade de Trump contre le vote par correspondance, ont empêché certains États de faciliter le vote des absents et les juridictions de compter ces votes en temps voulu. Le chaos s’en est suivi. L’Ohio a mis fin au vote « en personne » pour sa primaire, ce qui a entraîné une participation minuscule. Une pénurie de personnel électoral à Milwaukee – où se concentre la population noire fortement démocrate du Wisconsin – a fait que seuls cinq bureaux de vote sont restés ouverts, contre 182 auparavant. À New York, le dépouillement des votes a pris plus d’un mois.
Soudain, la possibilité d’un effondrement en novembre était évidente. Dans son appartement de la banlieue de Washington, Podhorzer s’est mis à travailler depuis son ordinateur portable sur la table de sa cuisine, tenant des réunions Zoom l’une à la suite de l’autre pendant des heures par jour avec son réseau de contacts dans tout l’univers progressiste : le mouvement ouvrier, la gauche institutionnelle, comme Planned Parenthood et Greenpeace, les groupes de résistance comme Indivisible et MoveOn, les geeks et stratèges progressistes, les représentants des donateurs et des fondations, les organisateurs de base au niveau de l’État, les militants pour la justice raciale et d’autres.
En avril, Podhorzer a commencé à organiser un Zoom hebdomadaire de 2 heures et demi. Il était structuré autour d’une série de présentations rapides de cinq minutes sur tout ce qui touche à la publicité, aux messages et à la stratégie juridique. Les rassemblements sur invitation seulement ont rapidement attiré des centaines de personnes, créant ainsi une base de connaissances partagée rare pour un mouvement progressiste indiscipliné. « Au risque de dire du mal de la gauche, il n’y a pas beaucoup de bons échanges d’informations », explique Anat Shenker-Osorio, un ami proche de Podhorzer dont les conseils en matière de messages, testés par sondage, ont façonné l’approche du groupe. « Il y a beaucoup de syndrome du "pas été inventé ici", où les gens ne considéreront pas bonne une idée s’ils ne l’ont pas trouvée ».
Les réunions sont devenues le centre galactique d’une constellation d’agents de gauche qui partageaient des objectifs communs mais ne travaillaient généralement pas de concert. Le groupe n’avait pas de nom, pas de dirigeants et pas de hiérarchie, mais il maintenait les acteurs disparates en synchronisation. « Pod a joué un rôle essentiel en coulisses pour maintenir les différentes pièces de l’infrastructure du mouvement en communication et en alignement », explique Maurice Mitchell, directeur national du Working Families Party. « Vous avez l’espace pour les litiges, l’espace pour l’organisation, les militants se concentrent sur le travail, et leurs stratégies ne sont pas toujours alignées. Il a permis à cet écosystème de travailler ensemble. »
La protection de l’élection nécessiterait un effort d’une ampleur sans précédent. Au fur et à mesure que l’année 2020 avançait, il s’étendait au Congrès, à la Silicon Valley et aux Capitoles du pays. Il a été alimenté par les manifestations contre la justice raciale de l’été, dont beaucoup de dirigeants étaient des éléments clés de l’alliance de gauche. Et finalement, ils ont dépassé leurs clivages, dans le monde des républicains sceptiques de Trump et consternés par ses attaques contre la démocratie.
ASSURER LE VOTE
La première tâche consistait à remanier l’infrastructure électorale américaine, qui était peu solide, en plein milieu d’une pandémie. Pour les milliers de fonctionnaires locaux, pour la plupart non partisans, qui administrent les élections, le besoin le plus urgent était l’argent. Ils avaient besoin d’équipements de protection comme des masques, des gants et du désinfectant pour les mains. Ils devaient payer les plis postaux permettant aux gens de savoir qu’ils pouvaient voter par correspondance ou, dans certains États, envoyer des bulletins de vote à chaque électeur. Ils avaient besoin de personnel supplémentaire et de scanners pour traiter les bulletins de vote.
En mars, les militants ont demandé au Congrès d’orienter les fonds de secours de Covid vers l’administration électorale. Sous l’égide de la Leadership Conference on Civil and Human Rights, plus de 150 organisations ont signé une lettre adressée à chaque membre du Congrès pour demander 2 milliards de dollars de financement pour les élections. Ce fut un certain succès : la loi CARES, adoptée plus tard dans le mois, prévoyait 400 millions de dollars de subventions aux administrateurs électoraux des États. Mais la tranche suivante de financement de secours n’a pas permis d’atteindre ce chiffre. Elle n’allait pas être suffisante.
La philanthropie privée est entrée en action. Un assortiment de fondations a apporté des dizaines de millions de dollars de financement à l’administration des élections. L’Initiative Chan Zuckerberg a apporté 300 millions de dollars. « C’est un échec au niveau fédéral que 2500 fonctionnaires électoraux locaux aient été obligés de demander des subventions philanthropiques pour répondre à leurs besoins », explique Amber McReynolds, ancienne fonctionnaire électorale de Denver qui dirige le National Vote at Home Institute, un organisme non partisan.
L’organisation de McReynolds, créée il y a deux ans, est devenue un centre d’échange pour une nation qui lutte pour s’adapter. L’institut a donné aux secrétaires d’État des deux partis des conseils techniques sur tout, des fournisseurs à choisir jusqu’à la localisation des boîtes de dépôt. Les fonctionnaires locaux sont les sources les plus fiables d’information sur les élections, mais peu d’entre eux ont les moyens de s’offrir un attaché de presse, c’est pourquoi l’institut a distribué des kits de communication. Lors d’une présentation au groupe de Podhorzer, M. McReynolds a détaillé l’importance des bulletins de vote par correspondance pour raccourcir les files d’attente dans les bureaux de vote et prévenir une crise électorale.
Le travail de l’institut a aidé 37 États et Washington à renforcer le vote par correspondance. Mais cela ne vaudrait pas grand-chose si les gens n’en profitaient pas. Une partie du défi était d’ordre logistique : chaque État a des règles différentes pour savoir quand et comment les bulletins de vote doivent être demandés et retournés. Le Centre de participation des électeurs, qui, en temps normal, aurait soutenu des groupes locaux déployant des démarcheurs en porte-à-porte pour inciter à aller voter, a plutôt organisé des groupes de discussion en avril et en mai pour savoir ce qui inciterait les gens à voter par correspondance. En août et septembre, il a envoyé des demandes de vote à 15 millions de personnes dans les États clés, dont 4,6 millions les ont retournées. Dans des mailings et des annonces numériques, le groupe a exhorté les gens à ne pas attendre le jour du scrutin. « Tout le travail que nous avons accompli pendant 17 ans a été construit pour ce moment de mise en place de la démocratie à la porte des gens », déclare Tom Lopach, le PDG du centre.
Il a fallu surmonter le scepticisme accru de certaines communautés. De nombreux électeurs noirs ont préféré exercer leur droit de vote en personne ou n’ont pas fait confiance au courrier. Les groupes nationaux de défense des droits civiques ont travaillé avec des organisations locales pour faire savoir que c’était la meilleure façon de s’assurer que son vote était comptabilisé. À Philadelphie, par exemple, les défenseurs des droits civiques ont distribué des « kits de sécurité pour le vote » contenant des masques, du désinfectant pour les mains et des brochures d’information. « Nous devions faire passer le message que c’est sûr, fiable et que vous pouvez vous y fier », déclare Hannah Fried de All Voting Is Local.
Dans le même temps, les avocats démocrates ont dû faire face à un raz-de-marée historique de litiges préélectoraux. La pandémie a intensifié l’enchevêtrement habituel des parties devant les tribunaux. Mais les avocats ont également remarqué autre chose. « Le litige intenté par la campagne Trump, une partie de la large campagne visant à semer le doute sur le vote par correspondance, présentait des revendications inédites et utilisait des théories qu’aucun tribunal n’a jamais acceptées », explique Wendy Weiser, experte en droits électoraux au Brennan Center for Justice de l’Université de New York. « Elles se lisent davantage comme des procès destinés à envoyer un message plutôt qu’à obtenir un résultat juridique. »
Au final, près de la moitié de l’électorat a voté par correspondance en 2020, ce qui constitue pratiquement une révolution dans la manière dont les gens votent. Environ un quart des électeurs ont voté en avance en personne. Seul un quart des électeurs ont voté de la manière traditionnelle : en personne le jour du scrutin.
LA DÉFENSE CONTRE LA DÉSINFORMATION
Les mauvais acteurs qui répandent de fausses informations ne sont pas nouveaux. Pendant des décennies, les campagnes ont été confrontées à toutes sortes de problèmes, des appels anonymes prétendant que l’élection a été reportée aux tracts répandant de vilaines calomnies sur les familles des candidats. Mais les mensonges et les théories de conspiration de Trump, la force virale des médias sociaux et l’implication d’acteurs étrangers ont fait de la désinformation une menace plus large et plus profonde pour le vote de 2020.
Laura Quinn, une opératrice progressiste chevronnée qui a cofondé Catalist, a commencé à étudier ce problème il y a quelques années. Elle a piloté un projet secret et sans nom, dont elle n’avait jamais discuté publiquement auparavant, qui traquait la désinformation en ligne et essayait de trouver comment la combattre. L’un des volets consistait à traquer les mensonges dangereux qui pourraient autrement se propager sans être remarqués. Les chercheurs ont ensuite fourni des informations aux militants ou aux médias pour traquer les sources et les exposer.
Mais le principal résultat des recherches de Quinn est que le fait de s’attaquer aux contenus toxiques ne fait qu’empirer les choses. « Lorsque vous êtes attaqué, l’instinct vous pousse à répliquer, à crier, à dire "Ce n’est pas vrai" », dit Quinn. « Mais plus l’engagement est grand, plus les plateformes le renforcent. L’algorithme dit : "Oh, c’est populaire, les gens en veulent plus". ».
La solution, conclut-elle, est de faire pression sur les plateformes pour qu’elles appliquent leurs règles, à la fois en supprimant les contenus ou les comptes qui diffusent des informations désobligeantes et en les contrôlant plus agressivement au départ. « Les plateformes ont des politiques contre certains types de comportements malveillants, mais elles ne les appliquent pas », dit-elle.
Les recherches de Quinn ont donné des munitions aux défenseurs qui poussent les plateformes de médias sociaux à adopter une ligne plus dure. En novembre 2019, Mark Zuckerberg a invité neuf leaders des droits civiques à dîner chez lui, où ils l’ont mis en garde contre le danger des mensonges liés aux élections qui se répandaient déjà sans contrôle. « Il a fallu pousser, exhorter, discuter, réfléchir, tout cela pour arriver à un arrangement où nous avons fini par avoir des règles et une application plus rigoureuses », explique Vanita Gupta, présidente et directrice générale de la Leadership Conference on Civil and Human Rights, qui a assisté au dîner et a également rencontré Jack Dorsey, directeur général de Twitter, et d’autres personnes. (Mme Gupta a été nommée procureur général adjoint par le président Biden). « C’était une lutte, mais nous sommes arrivés au point où ils ont compris le problème. Est-ce que c’était suffisant ? Probablement pas. Était-ce plus tardif que ce que nous voulions ? Oui. Mais il était vraiment important, vu le niveau de désinformation officielle, qu’ils aient mis en place ces règles et qu’ils identifient les choses et les éliminent ».
FAIRE PASSER LE MOT
Au-delà de la lutte contre les mauvaises informations, il était nécessaire d’expliquer un processus électoral en rapide évolution. Il était crucial que les électeurs comprennent que, malgré ce que disait Trump, les votes par correspondance n’étaient pas susceptibles de fraude et qu’il serait normal que certains États n’aient pas fini de compter les votes le soir du scrutin.
Dick Gephardt, l’ancien leader démocrate à la Chambre des représentants devenu lobbyiste de haut niveau, a été le fer de lance d’une coalition. « Nous voulions un groupe vraiment bipartite d’anciens élus, de secrétaires de cabinet, de chefs militaires, etc., visant principalement à envoyer des messages au public mais aussi à parler aux responsables locaux – les secrétaires d’État, les procureurs généraux, les gouverneurs qui seraient dans l’œil du cyclone – pour leur faire savoir que nous voulions les aider », explique M. Gephardt, qui a fait appel à ses contacts dans le secteur privé pour mettre 20 millions de dollars à contribution.
Wamp, l’ancien membre du GOP au Congrès, a travaillé par le biais du groupe de réforme non partisan Issue One pour rallier des républicains à l’effort. « Nous avons pensé que nous devrions apporter un élément d’unité bipartite autour de ce qui constitue une élection libre et équitable », dit Wamp. Les 22 démocrates et 22 républicains du Conseil national sur l’intégrité des élections se sont réunis sur Zoom au moins une fois par semaine. Ils ont diffusé des annonces dans six États, fait des déclarations, rédigé des articles et alerté les responsables locaux sur les problèmes potentiels. « Nous avons eu des partisans enragés de Trump qui ont accepté de siéger au conseil en se basant sur l’idée que c’est honnête », dit Wamp. Cela va être tout aussi important, leur dit-il, pour convaincre les gens de gauche si Trump gagne. « Quoiqu’il arrive, nous allons nous serrer les coudes ».
Le Voting Rights Lab et IntoAction ont créé des mèmes et des graphiques spécifiques à chaque État, diffusés par courrier électronique, texte, Twitter, Facebook, Instagram et TikTok, demandant instamment que chaque vote soit compté. Ensemble, ils ont été visionnés plus d’un milliard de fois. Le groupe de travail de Protect Democracy sur les élections a publié des rapports et organisé des points de presse avec des experts de haut niveau de tout l’éventail politique, ce qui a permis une large couverture des problèmes électoraux potentiels et une vérification des faits concernant les fausses affirmations de Trump. Les sondages de suivi de l’organisation ont révélé que le message était entendu : le pourcentage du public qui ne s’attendait pas à connaître le vainqueur le soir des élections a progressivement augmenté jusqu’à ce qu’à la fin octobre, il dépasse les 70 %. Une majorité a également estimé qu’un comptage prolongé n’était pas le signe de problèmes. « Nous savions exactement ce que Trump allait faire : il allait essayer d’utiliser le fait que les démocrates ont voté par courrier et que les républicains ont voté en personne pour faire croire qu’il était en tête, revendiquer la victoire, dire que les votes par courrier étaient frauduleux et essayer de les faire rejeter », déclare le Bassin de Protect Democracy. Le fait de préparer les attentes du public à l’avance a permis de démentir ces mensonges.
L’alliance a repris un ensemble de thèmes communs issus des recherches présentées par Shenker-Osorio lors des Zooms de Podhorzer. Des études ont montré que lorsque les gens pensent que leur vote ne comptera pas ou qu’ils craignent de se donner du mal pour le faire, ils sont beaucoup moins susceptibles de participer. Tout au long de la saison électorale, les membres du groupe de Podhorzer ont minimisé les incidents d’intimidation des électeurs et ont atténué l’hystérie de gauche croissante face au refus attendu de Trump de céder. Ils n’ont pas voulu amplifier les fausses affirmations en leur donnant de l’importance, ni dissuader les gens de voter en suggérant un jeu truqué. « Lorsque vous dites que ces allégations de fraude sont fausses, les gens entendent parler de fraude », explique M. Shenker-Osorio. « Ce que nous avons constaté dans nos recherches préélectorales, c’est que tout ce qui réaffirme le pouvoir de Trump ou le présente comme un autoritaire diminue le désir des gens de voter ».
Podhorzer, pendant ce temps, avertissait tous ceux qu’il connaissait que les sondages sous-estimaient le soutien de Trump. Les données qu’il a partagées avec les organisations médiatiques qui allaient organiser les élections ont été « extrêmement utiles » pour comprendre ce qui se passait au moment où les votes ont été enregistrés, selon un membre de l’unité politique d’un grand réseau qui s’est entretenu avec Podhorzer avant le jour du scrutin. La plupart des analystes avaient reconnu qu’il y aurait une « vague bleue » dans les principaux champs de bataille – la vague de votes se dirigeant vers les démocrates, entraînée par le décompte des bulletins de vote postaux – mais ils n’avaient pas compris à quel point Trump était susceptible de faire mieux le jour du scrutin. « Il était essentiel de pouvoir documenter l’ampleur de la vague d’absentéisme et les variations par État », explique l’analyste.
POUVOIR DU PEUPLE
Le soulèvement pour la justice raciale déclenché par l’assassinat de George Floyd en mai n’était pas principalement un mouvement politique. Les organisateurs qui l’ont aidé à se développer voulaient exploiter son élan pour l’élection sans lui permettre d’être coopté par les politiciens. Nombre de ces organisateurs faisaient partie du réseau de Podhorzer, depuis les militants des États clés (swing states) qui se sont associés à la Coalition pour la défense de la démocratie jusqu’aux organisations jouant un rôle de premier plan dans le Mouvement pour les vies noires.
La meilleure façon de s’assurer que les voix des gens soient entendues, ont-ils décidé, est de protéger leur capacité à voter. « Nous avons commencé à réfléchir à un programme qui compléterait la zone traditionnelle de protection des élections, mais qui ne reposerait pas non plus sur l’appel à la police », explique Nelini Stamp, directrice de l’organisation nationale du Working Families Party. Ils ont créé une force de « défenseurs électoraux » qui, contrairement aux observateurs traditionnels des élections, ont été formés aux techniques de désescalade. Lors du vote anticipé et le jour du scrutin, ils ont entouré les files d’électeurs dans les zones urbaines avec des animations de type « le bonheur au bureau de vote » qui ont transformé l’acte de voter en une fête de rue. Les organisateurs noirs ont également recruté des milliers de travailleurs électoraux pour s’assurer que les bureaux de vote resteraient ouverts dans leurs communautés.
Le soulèvement de l’été avait montré que le pouvoir du peuple pouvait avoir un impact massif. Les militants ont commencé à se préparer à reprendre les manifestations si Trump tentait de voler l’élection. « Les Américains prévoient de vastes manifestations si Trump interfère avec l’élection », rapportait Reuters en octobre, dans l’un des ces nombreux articles de ce genre. Plus de 150 groupes de gauche, de la Marche des femmes au Sierra Club à Color of Change, de Democrats.com aux Socialistes démocrates d’Amérique, ont rejoint la coalition « Protect the Results ». Le site web du groupe, aujourd’hui disparu, comportait une carte indiquant les 400 manifestations prévues après les élections, qui devaient être activées par SMS dès le 4 novembre. Pour arrêter le coup d’État qu’ils craignaient, la gauche était prête à inonder les rues.
D’ÉTRANGES COMPAGNONS DE LIT
Environ une semaine avant le jour des élections, M. Podhorzer a reçu un message inattendu : la Chambre de commerce américaine voulait parler.
L’AFL-CIO et la Chambre ont une longue histoire d’antagonismes. Bien qu’aucune des deux organisations ne soit explicitement partisane, l’influent lobby des entreprises a versé des centaines de millions de dollars dans les campagnes républicaines, tout comme les syndicats de la nation ont versé des centaines de millions aux démocrates. D’un côté, les syndicats, de l’autre, la direction, sont enfermés dans une lutte éternelle pour le pouvoir et les ressources.
Mais dans les coulisses, le monde des affaires s’est engagé dans ses propres discussions anxieuses sur la façon dont l’élection et ses suites pourraient se dérouler. Les manifestations de cet été contre la justice raciale ont également envoyé un signal aux chefs d’entreprise : le risque de désordre civil qui pourrait perturber l’économie. « Les tensions étant très fortes, on s’inquiétait beaucoup des troubles liés à l’élection, ou d’une rupture dans notre façon habituelle de gérer les élections contentieuses », explique Neil Bradley, vice-président exécutif et directeur politique de la Chambre. Ces inquiétudes avaient conduit la Chambre à publier une déclaration préélectorale avec la Business Roundtable, un groupe de PDG d’entreprises basé à Washington, ainsi que des associations de fabricants, de grossistes et de détaillants, appelant à la patience et à la confiance lors du décompte des votes.
Mais Bradley voulait envoyer un message plus large et plus bipartite. Il a pris contact avec Podhorzer, par un intermédiaire que les deux hommes ont refusé de nommer. Convenant que leur alliance improbable serait puissante, ils commencèrent à discuter d’une déclaration commune dans laquelle ils s’engageaient à respecter l’engagement commun de leurs organisations en faveur d’une élection équitable et pacifique. Ils ont choisi leurs mots avec soin et ont programmé la publication de la déclaration pour qu’elle ait un maximum d’impact. Au moment de la finalisation de la déclaration, les dirigeants chrétiens ont fait part de leur intérêt à la rejoindre, élargissant ainsi sa portée.
La déclaration a été publiée le jour des élections, sous les noms de Thomas Donohue, PDG de la Chambre, Richard Trumka, président de l’AFL-CIO, et des responsables de l’Association nationale des évangéliques et du Réseau national du clergé afro-américain. « Il est impératif que les responsables des élections disposent de l’espace et du temps nécessaires pour compter chaque vote conformément aux lois en vigueur », a-t-il déclaré. « Nous appelons les médias, les candidats et le peuple américain à faire preuve de patience dans le processus et à faire confiance à notre système, même si cela nécessite plus de temps que d’habitude ». Les groupes ont ajouté : « Bien que nous ne soyons pas toujours d’accord sur les résultats souhaités, nous sommes unis dans notre appel pour que le processus démocratique américain se déroule sans violence, intimidation ou toute autre tactique qui nous rendrait plus faibles en tant que nation ».
SE PRÉSENTER, SE RETIRER
La nuit des élections a commencé par le désespoir de nombreux démocrates. Trump était en tête des sondages préélectoraux, remportant facilement la Floride, l’Ohio et le Texas et gardant le Michigan, avec le Wisconsin et la Pennsylvanie prêts à les suivre. Mais Podhorzer était imperturbable lorsque je lui ai parlé ce soir-là : les résultats étaient exactement conformes à son modèle. Il m’avait prévenu depuis des semaines que le taux de participation des électeurs de Trump était en hausse. Il savait que tant que tous les votes seraient comptés, Trump perdrait.
L’alliance libérale s’est réunie pour un appel sur Zoom à 23 heures. Des centaines de personnes s’y sont jointes ; beaucoup ont paniqué. « C’était vraiment important pour moi et l’équipe à ce moment-là d’aider à ancrer les gens dans ce que nous savions déjà être vrai », dit Angela Peoples, directrice de la Coalition pour la défense de la démocratie. Podhorzer a présenté des données pour montrer au groupe que la victoire était en vue.
Pendant qu’il parlait, Fox News a surpris tout le monde en donnant l’Arizona pour Biden. La campagne de sensibilisation du public avait fonctionné : les présentateurs de télévision ont reculé pour conseiller la prudence et encadrer le décompte des votes avec précision. La question était alors de savoir ce qu’il fallait faire ensuite.
La conversation qui a suivi a été difficile, menée par les activistes chargés de la stratégie de protestation. « Nous voulions être conscients du moment opportun pour appeler à déplacer des masses de personnes dans la rue », dit Angela Peoples. Autant ils étaient désireux de faire une démonstration de force, autant la mobilisation immédiate pouvait se retourner contre eux et mettre les gens en danger. Les protestations qui se transformaient en affrontements violents donnaient à Trump un prétexte pour envoyer des agents ou des troupes fédérales comme il l’avait fait pendant l’été. Et plutôt que de donner de l’ampleur aux plaintes de Trump en continuant à les combattre, l’alliance voulait faire passer le message que le peuple avait parlé.
Le mot est donc passé : retirez-vous. Protect the Results a annoncé qu’elle « n’activerait pas tout le réseau national de mobilisation aujourd’hui, mais reste prête à l’activer si nécessaire ». Sur Twitter, des progressistes indignés se sont demandés ce qui se passait. Pourquoi personne n’essayait-il d’empêcher le coup d’État de Trump ? Où étaient toutes les protestations ?
Podhorzer attribue aux militants le mérite de leur retenue. « Ils avaient passé tellement de temps à se préparer à descendre dans la rue mercredi. Mais ils l’ont fait », dit-il. « Du mercredi au vendredi, il n’y a pas eu un seul incident d’Antifas contre les Proud Boys comme tout le monde s’y attendait. Et comme cela n’a pas eu lieu, je ne pense pas que la campagne Trump avait un plan de secours ».
Les militants ont réorienté les manifestations de la campagne « Protégeons les résultats » vers un week-end de célébration. « Contrecarrez leur désinformation avec notre confiance et préparez-vous à célébrer » dit le message conseillant la conduite à tenir que Shenker-Osorio a présenté à l’alliance de gauche le vendredi 6 novembre. « Déclarons et fortifions notre victoire. Attitude : confiant, tourné vers l’avenir, unifié – pas passif, anxieux ». Les électeurs, et non les candidats, seraient les protagonistes de l’histoire.
La journée de célébration prévue coïncide avec le déclenchement des élections le 7 novembre. Des militants dansant dans les rues de Philadelphie ont fait résonner du Beyoncé lors d’une conférence de presse de la campagne des Trumpers. Le prochain rendez-vous des Trumpers était prévu au Four Seasons Total Landscaping, à l’extérieur du centre ville, ce que les militants estiment ne pas être une coïncidence. « Les gens de Philadelphie possédaient les rues de Philadelphie », affirme Mitchell, du Working Families Party. « Nous les avons ridiculisés en opposant notre joyeuse célébration de la démocratie à leur spectacle clownesque ».
Les votes ont été comptés. Trump a perdu. Mais la bataille n’était pas terminée.
LES CINQ ÉTAPES DE LA VICTOIRE
Dans les présentations de Podhorzer, gagner le vote n’était que la première étape pour remporter l’élection. Ensuite, il faut gagner le dépouillement, la certification, le Collège électoral et les étapes de transition qui sont normalement des formalités mais qu’il savait que Trump les verrait comme des occasions de perturbation. Nulle part ailleurs cela ne serait plus évident qu’au Michigan, où la pression exercée par Trump sur les républicains locaux a failli être fatale – et où les forces de gauche et conservatrices pro-démocratiques se sont unies pour la contrer.
Il était environ 22 heures le soir des élections à Detroit lorsqu’une rafale de textos a allumé le téléphone d’Art Reyes III. Un bus rempli d’observateurs électoraux républicains était arrivé au Centre TCF, où les votes étaient comptabilisés. Ils s’entassaient sur les tables de comptage des votes, refusaient de porter des masques, chahutaient les travailleurs, pour la plupart noirs. Reyes, un natif de Flint qui dirige We the People Michigan, s’attendait à cela. Depuis des mois, les groupes conservateurs semaient la suspicion sur la fraude électorale urbaine. « Le narratif était “Ils vont voler l’élection, il y aura des fraudes à Detroit” bien avant qu’aucun vote ne soit exprimé », explique Reyes.
Il s’est rendu dans l’arène et a envoyé un message à son réseau. En 45 minutes, des dizaines de renforts sont arrivés. Alors qu’ils entraient dans l’arène pour faire contrepoids aux observateurs du GOP à l’intérieur, Reyes a noté leurs numéros de téléphone portable et les a ajoutés à une énorme chaîne de textos. Les militants de la justice raciale de Detroit Will Breathe ont travaillé aux côtés des femmes de banlieue de Fems for Dems et des élus locaux. Reyes est parti à 3 heures du matin, remettant la chaîne de textos à une militante pour les droits des personnes handicapées.
En traçant les étapes du processus de certification des élections, les militants ont décidé de mettre en avant le droit du peuple à décider, d’exiger que leur voix soit entendue et d’attirer l’attention sur les implications raciales de la privation du droit de vote des habitants noirs de Detroit. Ils ont inondé la réunion de certification du 17 novembre du conseil de prospection électorale du comté de Wayne de témoignages à sens unique ; malgré un tweet de Trump, les membres républicains du conseil ont certifié les votes de Detroit.
Les commissions électorales étaient un point de pression ; un autre était les législatures contrôlées par le GOP, qui, selon Trump, pouvaient déclarer l’élection nulle et nommer leurs propres électeurs. C’est pourquoi le Président a invité les dirigeants du GOP de la législature du Michigan, le président de la Chambre des représentants Lee Chatfield et le leader de la majorité au Sénat Mike Shirkey, à Washington le 20 novembre.
Ce fut un moment périlleux. Si Chatfield et Shirkey acceptaient de soutenir les surenchères de Trump, les républicains d’autres États pourraient être victimes de la même intimidation. « J’avais peur que les choses deviennent bizarres », dit Jeff Timmer, un ancien directeur exécutif du GOP du Michigan devenu activiste anti-Trump. Norm Eisen le décrit comme « le moment le plus effrayant » de toute l’élection.
Les défenseurs de la démocratie ont lancé une campagne de presse. Les contacts locaux de Protect Democracy ont fait des recherches sur les motivations personnelles et politiques des législateurs. Le premier numéro a diffusé des publicités télévisées à Lansing. Bradley de la Chambre a suivi de près le processus. Wamp, l’ancien membre républicain du Congrès, a appelé son ancien collègue Mike Rogers, qui a écrit une tribune libre pour les journaux de Detroit, exhortant les responsables à respecter la volonté des électeurs. Trois anciens gouverneurs du Michigan – les républicains John Engler et Rick Snyder et la démocrate Jennifer Granholm – ont conjointement demandé que les votes électoraux du Michigan soient effectués sans pression de la Maison Blanche. Engler, ancien responsable de la Business Roundtable, a passé des appels téléphoniques à des donateurs influents et à d’anciens collègues du GOP qui pouvaient faire pression sur les législateurs en privé.
Les forces pro-démocratiques se sont heurtées à un GOP du Michigan trompé, contrôlé par les alliés de Ronna McDaniel, présidente du Comité national républicain, et de Betsy DeVos, ancienne secrétaire à l’éducation et membre d’une famille milliardaire de donateurs du GOP. Lors d’un appel téléphonique avec son équipe le 18 novembre, Bassin a déclaré que la pression de son camp n’était pas à la hauteur de ce que Trump pouvait offrir. « Bien sûr qu’il va essayer de leur offrir quelque chose », rapporte Bassin. « Chef de la force spatiale ! Ambassadeur de n’importe où ! On ne peut pas rivaliser avec ça en offrant des carottes. Il nous faut un bâton ».
Si Trump offrait quelque chose en échange d’une faveur personnelle, cela constituerait probablement un pot-de-vin, a raisonné Bassin. Il a téléphoné à Richard Primus, professeur de droit à l’université du Michigan, pour savoir si Primus était d’accord et s’il allait présenter l’argument publiquement. Primus a dit qu’il pensait que la réunion elle-même était inappropriée, et s’est mis au travail sur un article d’opinion pour Politico avertissant que le procureur général de l’État – un démocrate – n’aurait d’autre choix que d’enquêter. Lorsque l’article a été publié le 19 novembre, le directeur de la communication du procureur général l’a tweeté. Protect Democracy a rapidement appris que les législateurs prévoyaient de faire venir des avocats à la réunion avec Trump le lendemain.
Les militants de Reyes ont scanné les horaires de vol et ont afflué dans les aéroports aux deux extrémités du voyage de Shirkey à D.C., pour souligner que les législateurs étaient surveillés. Après la réunion, les deux hommes ont annoncé qu’ils avaient fait pression sur le Président pour qu’il fournisse une aide COVID à leurs électeurs et l’ont informé qu’ils n’avaient aucun rôle dans le processus électoral. Ils sont ensuite allés prendre un verre à l’hôtel Trump sur Pennsylvania Avenue. Un artiste de rue a projeté leurs images sur l’extérieur du bâtiment avec les mots LE MONDE VOUS SURVEILLE.
Il restait une dernière étape à franchir : le comité de prospection de l’État, composé de deux démocrates et de deux républicains. L’un des républicains, un Trumper employé par l’association politique à but non lucratif de la famille DeVos, n’était pas censé voter pour la certification. L’autre républicain du conseil était un avocat peu connu du nom d’Aaron Van Langevelde. Il n’a envoyé aucun signal sur ce qu’il prévoyait de faire, laissant tout le monde sur les nerfs.
Lorsque la réunion a commencé, les militants de Reyes ont inondé le livestream et ont rempli Twitter de leur hashtag, #alleyesonmi (tous les yeux tournés vers le Michigan – NDT). Un conseil d’administration habitué à une participation à un chiffre s’est soudain retrouvé face à un public de milliers de personnes. Pendant des heures de témoignages, les activistes ont souligné leur message de respect de la volonté des électeurs et d’affirmation de la démocratie plutôt que de critiquer les représentants. Van Langevelde a rapidement fait savoir qu’il suivrait le précédent. Le vote a été de 3-0 pour certifier ; l’autre républicain s’est abstenu.
Après cela, les dominos sont tombés. La Pennsylvanie, le Wisconsin et le reste des États ont certifié leurs électeurs. Les fonctionnaires républicains de l’Arizona et de la Géorgie ont résisté aux brimades de Trump. Et le Collège électoral a voté dans les délais prévus le 14 décembre.
À QUEL POINT NOUS AVONS ÉTÉ PROCHES
Il y avait un dernier jalon dans l’esprit de Podhorzer : le 6 janvier. Le jour où le Congrès devait se réunir pour procéder au décompte des voix, Trump convoqua ses partisans à Washington pour un rassemblement.
À leur grande surprise, les milliers de personnes qui répondirent à son appel ne rencontrèrent pratiquement aucun contre-manifestant. Afin de préserver la sécurité et de s’assurer qu’on ne puisse pas les blâmer pour un éventuel désordre, la gauche activiste « décourageait vigoureusement les contre-manifestations », m’a envoyé Podhorzer le matin du 6 janvier, avec un émoji les doigts croisés.
Trump s’est adressé à la foule cet après-midi-là, colportant le mensonge selon lequel les législateurs ou le vice-président Mike Pence pourraient rejeter les votes électoraux des États. Il leur a dit d’aller au Capitole et de « se battre comme des diables ». Puis il est retourné à la Maison Blanche alors qu’ils mettaient le bâtiment à sac. Alors que les législateurs fuyaient pour sauver leur vie et que ses propres partisans étaient abattus et piétinés, Trump a salué les émeutiers comme « exceptionnels ».
C’était sa dernière attaque contre la démocratie, et une fois de plus, elle a échoué. En se retirant, les militants de la démocratie ont battu leurs ennemis. « Nous avons gagné de justesse, honnêtement, et c’est un point important pour les gens », dit la Coalition pour la défense de la démocratie. « Il y a une envie pour certains de dire que les électeurs ont décidé et que la démocratie a gagné. Mais c’est une erreur de penser que ce cycle électoral a été une démonstration de force pour la démocratie. Il montre à quel point la démocratie est vulnérable ».
Les membres de l’alliance pour la protection des élections ont pris des chemins différents. La Coalition pour la défense de la démocratie a été dissoute, mais la Table de lutte contre la corruption est toujours en place. Protect Democracy and the good-government advocates ont tourné leur attention vers des réformes urgentes au Congrès. Les militants de gauche font pression sur les démocrates nouvellement habilités pour qu’ils se souviennent des électeurs qui les ont mis là, tandis que les groupes de défense des droits civils se tiennent sur leurs gardes pour éviter de nouvelles attaques contre le vote. Les chefs d’entreprises ont dénoncé l’attaque du 6 janvier, et certains disent qu’ils ne feront plus de dons aux législateurs qui ont refusé de certifier la victoire de Biden. Podhorzer et ses alliés tiennent toujours leurs séances de stratégie Zoom, évaluant les opinions des électeurs et élaborant de nouveaux messages. Et Trump est en Floride, face à sa deuxième destitution, privé des comptes Twitter et Facebook qu’il a utilisés pour pousser la nation à son point de rupture.
Alors que je rapportais cet article en novembre et décembre, j’ai entendu différentes affirmations quant à savoir qui devrait avoir le mérite d’avoir déjoué le complot de Trump. Les partisans de gauche ont fait valoir que le rôle du pouvoir populaire de bas en haut ne devait pas être négligé, en particulier les contributions des personnes de couleur et des militants locaux. D’autres ont souligné l’héroïsme des responsables du GOP comme Van Langevelde et le secrétaire d’État géorgien Brad Raffensperger, qui ont tenu tête à Trump à un prix considérable. La vérité est qu’aucun des deux n’aurait pu réussir sans l’autre. « C’est stupéfiant de voir à quel point nous étions proches, à quel point tout cela est vraiment fragile », déclare Timmer, l’ancien directeur exécutif du GOP du Michigan. « C’est comme quand le coyote dépasse la falaise – si vous ne regardez pas en bas, vous ne tombez pas. Notre démocratie ne survit que si nous y croyons tous et ne regardons pas en bas ».
La démocratie a fini par gagner. La volonté du peuple a prévalu. Mais c’est fou, rétrospectivement, qu’il ait fallu tout cela pour mettre en œuvre une élection aux États-Unis d’Amérique.
Errata, 5 février : la version originale de cette histoire a mal indiqué le nom de l’organisation de Norm Eisen. Il s’agit du Programme de protection des électeurs, et non du Projet de protection des électeurs. La version originale de cette histoire a également déformé l’ancien poste de Jeff Timmer au sein du Parti républicain du Michigan. Il en était le directeur exécutif, et non le président.