Arthur Sapaudia : Bonjour Antoine, merci d’avoir accepté de te prêter à ce petit jeu ! Voici la première citation :
Quand je parle de l’Ukraine, je parle d’un peuple qui est martyrisé. Si vous avez un peuple martyrisé, vous avez quelqu’un qui le martyrise. Quand je parle de l’Ukraine, je parle de la cruauté parce que j’ai beaucoup d’information sur la cruauté des troupes qui arrivent. Généralement, les plus cruels sont peut-être ceux qui sont de Russie mais ne sont pas de tradition russe, comme les Tchétchènes, les Bouriates et ainsi de suite. Certes, celui qui envahit est l’État russe. C’est très clair. (Le Pape François, America Magazine, 28/11/22)
Antoine Martin : Dans le même entretien, François a déclaré à propos d’un autre sujet : « La polarisation n’est pas catholique. Un catholique ne peut pas penser « pour ou contre » et tout réduire à la polarisation. Le catholique unit le bon et le moins bon. Le peuple de Dieu est un. La polarisation vient d’une mentalité de division qui privilégie les uns et laisse de côté les autres. Le catholique pense toujours à l’harmonie entre les différences. » Apparemment, ces propos du pape ne trouvent plus leur application dès lors qu’il s’agit de l’Ukraine et de la Russie… et que des journalistes américains lui posent la question suivante, qui était très orientée : « Au sujet de l’Ukraine, de nombreux Américains ont été troublés par votre apparente réticence à critiquer directement la Russie. Comment expliqueriez-vous votre position sur cette guerre aux Ukrainiens, aux Américains et aux autres qui soutiennent l’Ukraine ? »
Seconde citation :
Le souverain pontife a invité les catholiques du monde entier à prier pour que les progrès de la robotique et de l’Intelligence artificielle (IA) soient toujours au service de l’humanité. (Le pape François appelle les fidèles à prier pour les robots et l’IA, 11/11/20)
Le débat actuel sur l’IA et les robots me rappelle un peu celui sur Internet il y a vingt-cinq ans. Pour ? Contre ? Aujourd’hui, presque tout le monde utilise Internet sans plus se poser ces questions. L’IA et les robots sont en train d’entrer dans les usages du quotidien. Et tout comme pour Internet, il y aura d’innombrables avantages et d’abondants effets pervers. Donc, en soi, cet appel à la prière ne me choque pas. Là où le bât blesse, c’est que François lui-même est trop souvent l’allié objectif des gens qui pourraient utiliser l’IA pour asservir les populations.
Troisième citation :
D’autres modes d’existence et de civilisation sont possibles. La culture sans le confort, la beauté sans le luxe, la machine sans la servitude de l’usine, la science sans le culte de la matière permettraient aux hommes de se développer indéfiniment, en gardant leur intelligence, leur sens moral et leur virilité. (Alexis Carrel, L’Homme, cet inconnu, 1935)
Évidemment, ces perspectives sont a priori séduisantes. Cependant, je ne peux pas m’empêcher de me méfier de la notion de développement, surtout lorsqu’elle intervient sous la plume d’un eugéniste. La citation proposée clôture un chapitre de L’Homme, cet inconnu. Voici le début du chapitre suivant : « Il est nécessaire de faire un choix parmi la foule des hommes civilisés. Nous savons que la sélection naturelle n’a pas joué son rôle depuis longtemps. Que beaucoup d’individus inférieurs ont été conservés grâce aux efforts de l’hygiène et de la médecine. Que leur multiplication a été nuisible à la race. »
Apparemment, pour développer l’Homme abstrait, il faudrait faire un tri parmi les hommes réels… Très peu pour moi, merci !
Quatrième citation :
Il a existé un catholicisme rural qui, quant à lui, était polylâtre, à cultes multiples, et magnifiait nombre de saints locaux, ceux des territoires paroissiaux. Il en subsiste encore des traces en Bretagne, en Irlande, en Espagne ou en Italie. Ce catholicisme-là a été le dernier conservatoire des ferveurs européennes traditionnelles, très éloignées des contenus monothéistes officiels. Le concile Vatican II a eu soin d’en limiter la portée, mais le facteur décisif de leur effacement a été celui des grandes vagues d’urbanisation de la seconde moitié du XX° siècle, avec un recul des pratiques religieuses qui a nui tout autant à l’entretien de l’âme européenne qu’au christianisme proprement dit. (Jean-François Gautier, 5 avril 2016)
Il est vrai que le concile Vatican II a fait tomber en désuétude un certain nombre de pratiques religieuses traditionnelles. On peut par exemple penser au culte des reliques des saints, qui occupait jadis une place importante dans la piété populaire. Toutefois, parler à propos du christianisme rural de polylâtrie « éloignée des contenus monothéistes officiels » me paraît tout à fait erroné. L’Eglise officielle elle-même a très tôt encouragé le culte de « dulie », qui s’adressait aux saints, tout en le distinguant nettement du culte de « lâtrie », réservé à Dieu.
Il me semble entrevoir dans cette déclaration une volonté de réduire le christianisme à un paganisme qui s’ignorerait lui-même. Si c’est le cas, c’est oublier un peu vite que le christianisme s’est implanté en Europe non pas comme une énième variante d’un polythéisme bien installé, et d’ailleurs très accueillant à l’égard des nouvelles divinités, mais en opposition frontale à ce dernier. Les Pères de l’Église comme saint Augustin ont repris à leur compte l’affirmation du psaume 95 selon laquelle « les dieux des nations sont des démons ». Les saints qui ont évangélisé la Gaule, dont le plus connu demeure sans doute saint Martin, se sont empressés de détruire les temples païens et d’édifier des églises à leur place. Et tout cela n’est pas allé sans heurts, parfois extrêmement violents, avec les autorités polythéistes locales.
Je ne doute pas que des catholiques et des personnes de sensibilité néo-païenne puissent se retrouver sur la même ligne de front à l’occasion de certains combats, tout comme cela a pu se produire avec des musulmans, par exemple au moment du projet de loi sur « le mariage pour tous ». Il n’en reste pas moins que le véritable catholicisme n’est pas, et ne sera jamais une composante parmi d’autres d’un paganisme global (ce qui correspond d’ailleurs au projet mondialiste)… de même que christianisme et islam demeurent deux religions bien distinctes, irréductibles l’une à l’autre...
Cinquième citation :
La croissance du désert est à chercher non pas tant dans sa réalité africaine ou australienne, que dans la surpopulation déspiritualisée, anesthésiée, conditionnée par la mondialisation télévisuelle et qui ne sait pas, ne veut pas savoir que le diable veille sur elle, et qu’elle regarde le monde par les yeux du Démon. (Richard Millet, L’opprobre. Essai de démonologie, 2008)
Une actualisation de la fameuse phrase baudelairienne sur la plus belle des ruses du diable ? Pourquoi pas ? Je garde toutefois une réserve sur le mot « surpopulation », trouvant toujours dangereux de reprendre à son compte les termes de l’ennemi…