Dans une forêt de drapeaux multicolores, une énorme marée humaine a envahi jeudi soir le centre de Madrid, pour crier "non" au nouveau plan de rigueur du gouvernement espagnol, à la hausse de la TVA, aux coupes budgétaires qui frappent les fonctionnaires et les chômeurs.
"Mains en l’air, c’est un hold-up", hurlait la foule, immobile ou défilant lentement, s’asseyant parfois, mains levées, reprenant le slogan devenu le cri de ralliement des manifestations qui se multiplient depuis l’annonce, le 11 juillet, de ce plan destiné à économiser 65 milliards d’euros.
"Si tu veux gagner, lutte sans relâche", "Rajoy nous vole", "Je veux un Noël", proclamaient de petites pancartes. D’autre portaient ce seul mot "NO" illustré d’une paire de ciseaux, symbole de ces coupes budgétaires qui ont déclenché la colère de tout le pays.
A Madrid, les manifestants étaient plusieurs centaines de milliers, selon des journalistes sur place. Les syndicats avaient appelé à manifester dans 80 villes, sous le mot d’ordre "Ils veulent ruiner le pays. Il faut l’empêcher".
Car le malaise des Espagnols, déjà soumis à de lourds sacrifices dans un pays en récession, étranglés par un chômage de près de 25%, est monté d’un cran face à ce nouveau tour de vis.
"Nous ne pouvons rien faire d’autre que de descendre dans la rue. J’ai perdu entre 10% et 15% de mon salaire depuis quatre ans. Et les nouvelles mesures ne serviront pas à résoudre la crise", s’indigne Sara Alvera, fonctionnaire de 51 ans à la Cour des comptes, qui manifeste avec son mari, employé dans le privé.
Le gouvernement cherche ainsi à redresser les comptes publics : le budget 2012, d’une rigueur historique avec 27,3 milliards d’euros d’économies, n’a pas suffi et l’Espagne s’est vu imposer par Bruxelles des conditions draconiennes, en échange d’une aide à ses banques et d’un délai, jusqu’en 2014, pour ramener son déficit public à moins de 3%.
Pour renflouer les caisses, c’est cette fois le pays tout entier qui va payer : renonçant à ses promesses, le chef du gouvernement de droite Mariano Rajoy a décidé une hausse de la TVA, qui devrait rapporter 22 milliards d’euros d’ici à 2014.
Les fonctionnaires, qui ont déjà vu leur salaire réduit de 5% en 2010, puis gelé, perdent en 2012 leur prime de Noël, l’équivalent de 7% du salaire. Et les nouveaux chômeurs verront leurs indemnités réduites au bout de six mois.
"Quel Noël fabuleux nous allons passer. Il n’y aura aucun extra cette année. Tous les ans, ils baissent les salaires, pendant que les prix montent, le métro, le bus...", s’inquiète Paloma Martinez, une fonctionnaire de 47 ans, une petite pancarte à la main, portant les mots : "Si tu ne luttes pas, qu’auras-tu ?"
"Si nous n’achetons plus, les commerces fermeront, ils vont licencier encore des gens", ajoute-t-elle. "Les gens doivent sortir dans la rue, plus s’il le faut, tout le temps qu’il faudra."
Depuis la semaine dernière, répondant aux mots d’ordre des syndicats ou des "indignés", ou spontanément, alertés par les réseaux sociaux, des Espagnols de tous horizons se rassemblent quotidiennement dans les rues, portant les t-shirts jaunes des fonctionnaires de la Justice, verts de l’Education ou les blouses blanches des infirmières.
Les architectes, sous une banderole "Non à la précarité", les chercheurs, avec une pancarte "moins de science, plus de pauvreté", le monde du spectacle, promenant un mannequin noir pendu avec l’inscription "théâtre public exécuté" étaient au rendez-vous jeudi.
Dans la foule encore, des policiers en chemises noires, des pompiers casqués.
"Un pompier ici touche 1.500 à 1.550 euros en moyenne. Sans compter la prime de Noël, nous avons perdu presque 200 euros depuis les premières coupes de 2010", explique Javier Piedra, un pompier de 41 ans des Asturies, dans le nord de l’Espagne, qui avait choisi, pour se faire entendre, de poser nu avec sept collègues.
"Ils dévalorisent notre travail, qui est un travail dur. Nous devons descendre dans la rue. Pompiers, balayeurs, infirmiers, pour dire ’assez’", lance, dans la foule de Madrid, Manuel Amaro, un pompier de 38 ans, venu manifester avec trois collègues.