Fabrice Thomas vient de sortir un livre sur sa relation double avec Pierre Bergé et Yves Saint Laurent. Il révèle la sexualité déviante du créateur et de son « maître », comme on dit dans le milieu SM. Si le sadomasochisme est une pratique autorisée entre adultes consentants, la violence morale et physique qu’Yves et Fabrice ont subie de la part de Pierre Bergé va bien au-delà : il s’agissait d’une entreprise de destruction de l’autre, destruction physique autant que psychique.
Avant de répondre à nos questions, Fabrice Thomas a voulu faire une mise au point :
« Il est évident que j’ai dû édulcorer et souvent tamiser au point où souvent la fiction rattrape la réalité. Dans un pays comme la France, on serait en droit de s’attendre à la liberté d’expression, surtout en ce qui concerne la dénonciation d’abus flagrants. Il n’en est rien.
Vous faites état du caractère quasi sacré de Pierre Bergé, le gosse qui se présenta devant ce personnage qui tutoyait le Président de la République était une proie facile pour ce prédateur, mon père avant moi avait pavé le chemin, et toute mon histoire familiale tournait autour de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent. »
E&R : Qu’est-ce que Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont révélé de vous, en vous ?
Fabrice Thomas : Difficile de répondre avec précision, moi qui étais un affamé affectif au vu de mon enfance torturée et qui pensais trouver la sécurité, une stabilité et aussi trouver un lien avec un groupe, j’ai vu mon conte de fées se transformer en conte de fesses. Moi qui n’avais qu’un jean et un t-shirt je me retrouve avec des vêtements hors de prix ; moi qui étais souvent resté sur ma faim, je mange du caviar à la louche. Pierre Bergé faisait état de sa puissance quand il m’enleva en hélico pour ses sessions de dressage au château Gabriel [1]. J’ai fait les choses par instinct, mon père m’avait formaté dans ma prime jeunesse à la torture physique et morale.
Après ce que vous avez vécu sexuellement, quels sont les comportements sexuels que vous tolérez, et ceux que vous ne tolérez pas, ou plus ?
L’humiliation et la soumission sont des situations qui vous laissent des larves dans l’âme. Pierre Bergé était un adepte de P. Beverly Randolph [2], une minute de jouissance dans les bras d’un succube [3] est un pacte avec le diable toute votre vie, votre énergie vitale peut être sucée en une séance. Yves aussi en a payé le prix.
Vous étiez en quelque sorte entre le chien et l’os, entre Saint Laurent et Bergé : cette double relation vous a-t-elle broyé, en a-t-elle broyé d’autres ?
Oui, nul ne sort vraiment intact de ce type de relations qui vous détruisent lentement mais inexorablement le cœur et l’esprit plus encore que le corps. Pierre avait l’emprise sur beaucoup d’hommes et les a détruits, mon père inclus. Tous les employés de Pierre Bergé étaient à sa botte, moi plus que les autres surtout durant ses séances sataniques qui visaient à m’humilier tout en amusant la galerie. Pas banal de se faire préparer par Ali : rasage, lavage anal et menottes. Pour Yves quel désastre, il était un être faible au point de s’être laissé vampiriser durant toute sa vie. Ce qui m’a choqué c’est le rapport dominant/dominé et la déchéance morale et affective qu’Yves subit auprès de son bourreau. Pendant ma vie commune avec Yves, je n’ai cessé d’essayer de l’extirper de cette emprise, en vain : il avait dépassé le stade de non-retour. Yves était la poule au œufs d’or d’un être malsain et satanique que le monde érige aujourd’hui en bienfaiteur [4].
- Avec l’argent gagné sur Saint Laurent, Pierre Bergé s’achetait de l’influence politique et de la protection médiatique
Yves Saint Laurent aurait-il pu vivre autrement, c’est-à-dire avec moins de souffrances, morales et physiques ?
Yves était un être torturé par sa sexualité, une idée fixe qui ne lui laissait aucun répit, il n’était « bien » que sous substances et ne s’est jamais endormi qu’à l’aide de puissants somnifères. La Vilaine Lulu représentait très bien son esprit retors et maléfique.
Les liens qu’entretenait Pierre Bergé avec une partie de la classe dirigeante médiatico-politique française peuvent-ils être compris comme un réseau d’influence ou de pouvoir ?
Selon moi Pierre Bergé était un génie marketing qui a continuellement peaufiné son statut social, pouvoir et influence font partie de tous les instants de la vie d’un Pierre Bergé et ne soyons pas dupes, Pierre ordonnait ses volontés à François Hollande en tirant les ficelles cachées dans son ombre. Tous ceux qui font la morale en général sont ceux qui ont le plus de choses à se reprocher. La fortune de Pierre Bergé mal acquise lui a permis de pouvoir tout se permettre sans en être inquiété.
Pensez-vous qu’après la vague de dénonciation des harceleurs puis des violeurs sur les réseaux sociaux et dans les médias dominants, on en arrive à une vague de dénonciation des pédocriminels ?
Je l’espère de tout cœur.
Pouvez-vous définir ce qu’est le vice, et croyez-vous au concept de Diable ou d’Enfer ?
Définir des mots bizarres comme le vice, le Diable et l’Enfer n’est pas mon fort. En ce qui concerne le diable et l’enfer, je serais plutôt athée ; par contre le mal et le bien m’interpellent.
Qu’est-ce que vous n’avez pas osé ou pu dire dans votre livre qui ne soit pas acceptable pour le grand public ?
La raison pour laquelle Yves a tenté d’assassiner Pierre dans une de ses séances de soumission : il a obligé Yves à manger ses excréments quand il était ligoté. Yves me l’a confié, il ne s’en est jamais remis, et d’autres choses que je tais pour le respect de la vie privée de certaines victimes. Quand j’ai commencé la rédaction de ce livre mon but était de rendre la justice avec un grand J, je devais accuser pour reprendre ma vie et je me suis vite rendu compte que je ne parviendrais pas à faire éditer un bouquin en dénonçant Pierre Bergé dans un pays aussi soumis que la France par les forces obscures, alors j’ai mis la pédale plus douce.
Pensez-vous, après coup, avoir été violé ou manipulé ?
Dans l’âme sans aucun doute, mon père qui n’avait jamais eu d’autre travail que d’être au service de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, m’avait préparé à accepter ces sévices en m’humiliant devant toute la famille quand j’étais en bas âge.