Le 21 janvier 2016, les têtes pensantes de l’info de France 2 nous ont gratifiés d’une nouvelle forme de débat politique : le débat sans débat, et entre amis d’une même tribu, s’il vous plaît. Cela n’a pas empêché David Pujadas de faire semblant d’y croire à fond les potirons, et de prendre les téléspectateurs pour des jambons.
« Les deux hommes qui vont se faire face ce soir ne briguent pas des suffrages, ils n’ont pas d’intérêt à défendre, ils n’ont que des convictions, et des valeurs, ils ont aussi la France dans la peau, mais ce n’est pas la même. »
Quelle personne normalement constituée du point de vue de l’intelligence et de la culture politique, peut un instant croire que Finky et Dany vont s’écharper en plateau ? Ce n’est pas un débat, mais une mise en scène en forme de débat d’un dialogue forcément courtois entre deux représentants de la même tendance, disons le sionisme – et ils vont le prouver, chacun à leur tour –, avec sa version de gauche (pour les humbles), et sa version de droite (pour les nantis).
Pour justifier un peu le budget élevé de cette émission, on a droit à des reportages. Dans le premier, Finky, sous bonne escorte, est invité à discuter avec des Français au cœur d’une cité de Pierrefitte-sur-Seine (93). Dans un local, devant des Français dits de la diversité, il récite sa litanie : « La France a un ennemi, c’est l’islamisme… L’injure sale Français, c’est pas moi qui l’ai inventée ! »
On le retrouve ensuite en plateau. L’avantage de ne pas lui offrir de contradicteur méchant, du type Abdel Raouf Dafri ou François Bégaudeau (les deux prédateurs officiels du Finky), c’est qu’il peut laisser libre cours à ses obsessions. Les attentats de janvier et novembre 2015 sont tombés à point nommé pour monter d’un cran sa peur de l’islam et des islamistes :
« Nous avons cru pendant de longues décennies que puisque nous ne voulions pas d’ennemi, nous n’avions pas d’ennemi. […] D’ailleurs le slogan du 11 janvier c’était je suis Charlie, je suis juif, je suis la police, je suis la République. »
Un amalgame intéressant, et ce ne sera pas le premier. Tout au long de cet interminable monologue – Cohn-Bendit ne mangera le micro que 20% du temps à peine – Finky multipliera les amalgames et généralisations, tout en se défendant de le faire :
« Toute généralisation est absolument dangereuse et même, criminelle. Mais revenons-en quand même à la différence fondamentale, entre le monde musulman et le monde européen et occidental, qui est la question du statut des femmes. »
Une tactique qui passe bien en direct, quand la phrase suivante prononcée par l’invité ne laisse en général pas le temps au public de réfléchir à la phrase précédente. Mais par écrit, après avoir laissé le soufflé reposer, c’est une autre affaire. Finky a beau rectifier, se rectifier lui-même – « Non pas l’islam, mais l’islamisme » – il ne peut pas s’empêcher de retomber dans son islamocentrisme.
Islamocentrisme, ou le mouvement perpétuel de Finkielkraut
Ne comptons pas sur Cohn-Bendit, qui a l’air de s’ennuyer comme à un congrès de vendeurs de chaussettes, pour porter le fer dans le cœur du discours de son « opposant » :
« Je ne serais pas trop loin d’Alain Finkielkraut. La France a été choquée. Ça a été aussi bien janvier que novembre, ce sont des actes barbares, moi-même j’ai parlé d’islamofascisme, et face à ces horreurs y a eu la réaction d’une partie de la société. D’une partie de la société qui a dit “Nous sommes Charlie”, malheureusement, “Nous sommes juifs” c’était beaucoup moins, ça a été assez dur de le faire arriver. »
Il n’aura pas fallu 20 minutes à nos deux amis pour mettre leur thème préféré sur la table. Mais à ce petit jeu, Dany sera plus malin que Finky, trop émotif pour camoufler ses passions.
« C’est ça que nous avons énormément de mal à penser, c’est cette réalité du choc des cultures dont nous avons encore une manifestation particulièrement traumatisante, même s’il ne s’agit pas de terrorisme, même s’il faut hiérarchiser les problèmes, la nuit de la Saint Sylvestre à Cologne et dans d’autres villes allemandes. C’était, a dit Jean-François Bourlanges, le choc des civilisations au quotidien. »
Nos deux amis sont d’accord sur quasiment tout, et surtout sur un préalable : l’évacuation de toute question sociale dans le malaise français.
Finky : « On a cru que le choc des cultures était soluble dans la question sociale. »
Dany : « Alain a raison… Y a pas de déterminisme social… Ben Laden n’était pas pauvre… Mais les idéologues surfent sur la pauvreté, surfent sur les inégalités. »
Heureusement, Finky est républicain et nous prévient des dangers qui menacent de disloquer la France :
Finky : « La stratégie des djihadistes, Gilles Kepel l’a montré, c’est de créer en France les conditions d’une guerre civile… C’est très grave et il faut évidemment tout faire pour ne pas tomber dans ce piège. […] C’est en 2002 qu’est paru le livre “Les Territoires perdus de la République”. Dans ce livre-là, on apprenait des choses absolument effarantes… Contestation des cours, mais aussi misogynie virulente, antisémitisme, très profond, et même francophobie ! Dans les banlieues… les deux injures les plus répandues, sont “sale juif” et “sale Français”. »
Dany : « Sale pédé aussi. »
Finky : « Il faut savoir que de plus en plus d’élèves juifs sont exfiltrés des lycées et des collèges de banlieue. »
Pujadas résume la démonstration : « C’est-à-dire que c’est culturel en l’occurrence, plus que social d’après vous. »
L’intervention de la terroriste musulmane sexy
Elle aura fait couler beaucoup d’encre, cette Wiam Berhouma, sur laquelle Causeur et consorts se jetteront pour nous expliquer pourquoi elle a agressé le pauvre Finky. Elle a effectivement défilé aux côtés des Indigènes de la République, mais elle va moucher le philosophe sur son islamocentrisme. Nous résumons ici son propos, car sa tirade a duré six bonnes minutes.
« Il y a a une islamophobie institutionnelle… Je pense aux discriminations au logement… à l’éducation, à l’emploi, etc. […] Des médias qui traitent l’information de façon totalement biaisée de sorte à faire du musulman l’ennemi de l’intérieur. »
Elle s’adresse alors directement au philosophe, déjà détruit par tant d’impudence :
« Vous vous êtes octroyé le droit de parler de l’islam, de parler des musulmans, et de parler des quartiers populaires, alors que vous n’en avez ni les compétences, ni la légitimité… Je vous rassure monsieur Finkielkraut, et vous n’êtes pas le seul à jouer à ce jeu-là, j’interpelle aussi les médias qui vous font tribune et qui vous permettent de parler, à vous et à d’autres personnes comme monsieur Zemmour, comme monsieur Bernard-Henri Lévy… »
Pujadas, dont le sourire passe du jaune au vert, intervient : « Eux ils sont pas là pour répondre, il est là lui, il vous répond. »
Alors qu’on n’a jamais entendu un tel argument dans sa bouche quand il s’est agi des autres personnes visées dans ce débat, sans même parler des communautés sur la sellette…
Réponse de Finky, habituelle pour les habitués :
« Je suis-je dois vous le dire absolument accablé par ce que je viens d’entendre. […] Il y a malheureusement, parmi les musulmans, je dis bien parmi les zumilmans, une tendance tout à fait contraire on se replie sur une susceptibilité à fleur de peau, et on cherche à toute chose un coupable extérieur… Une remise en question de l’islam par lui-même est absolument indispensable. […] Le problème principal de l’islam ne vient pas du mal que lui fait l’Occident mais précisément… de l’oppression des femmes en terre d’islam. »
Et de citer une émission diffusée sur France 3 le 23 octobre 2015 :
« Et dans ce documentaire, Smaïn Laacher, un sociologue algérien, parlait de l’antisémitisme dans les familles arabes, et il disait qu’il est présent dans l’espace domestique qu’une des réprimandes, une des insultes des parents quand ils veulent réprimander leurs enfants, c’est de les traiter de “juifs”. Et il dit cet antisémitisme il est comme l’air qu’on respire… Évidemment il ne s’agit pas d’incriminer toute une population, toute une culture, toute une communauté, la preuve, c’est Smaïn Laacher qui le dit. »
La parenthèse hébraïque
Alors qu’un vrai débat incendiaire a été éteint illico presto par un Pujadas semi-paniqué, le faux débat a repris ses droits. Et là, il va se passer quelque chose qui restera dans les anales de la télévision (française), même quand l’Homme aura disparu. Un échange en hébreu (à 1:02:20) entre les deux débatteurs. On est loin de la violence de Gaza. Nous l’avons traduit, après de longues recherches, pour vous. Heureusement, il ne dure que le temps d’une réplique, mais n‘échappera pas à un Pujadas estomaqué.
Dany : « Toda raba, merci (merci beaucoup). »
Finky : « B’vakacha (je vous en prie). »
Dany : « Merci, LeHitra’ot (au revoir). »
Pujadas, dans un sourire gêné : « Bon, si on vous, si on vous gêne on peut se retirer ! »
Mais non, tu ne gênes personne, David, sinon il y a longtemps que tu aurais été viré de cette télé israélienne ! Quatre minutes plus tard, assistant à l’étrange collusion entre ses deux boxeurs – un combat truqué d’une force... – il tente de mettre le feu lui-même : « J’essaye de faire apparaître au grand jour vos divergences ! »
Le seul petit point d’achoppement – soyons honnêtes – entre les deux cousins de la tribu d’Israël, c’est la société multiculturelle. Un bienfait pour l’un (Dany), une malédiction pour l’autre (Finky). Pour Dany, « aujourd’hui nous avons des pays mélangés, des pays multiculturels, c’est une réalité ! » Oui, sauf en Israël. Mais Dany n’est pas israélien, concédons-lui cela, il est allemand, et se sent européen (et français quand les Bleus gagnent la Coupe du Monde ou l’Euro). Il pose à Alain une question simple : « Tu as raison, qu’est-ce qu’on fait des 5 millions de musulmans en France, qu’est-ce qu’on fait des 14 millions de musulmans en Europe ? »
Réponse d’Alain, on vous la fait courte : les musulmans doivent renoncer à ce qui n’est pas compatible avec notre civilisation. Il va alors (à 1:26:50) nous en servir une sévère :
« Joachim Gauck [l’ancien président allemand]… en pleine merkelmania, au moment où madame Merkel disait on va y arriver, vive la “Willkommenkultur” [la culture de l’accueil], nous allons effacher, effacer la tache du nazisme, apologie de la force vitale, nous allons accueillir sans faiblir les réfugiés, il a rappelé tout d’un coup le credo de l’Allemagne, les quatre articles du credo de l’Allemagne : respect de l’identité des homosexuels, égalité des hommes et des femmes, refus de tout antoutisémitisme, reconnaissance de l’État d’Israël. Pourquoi rappeler ce credo en pleine vague migratoire ? Parce qu’il était convaincu qu’un nombre important de nouveaux arrivants ne partageait aucun de ces principes aucune de ces valeurs. »
Réponse de Dany (1:31:19) : « Mais un million de réfugiés, un million, Alain, chapeau, non ? »
Reductio ad judeorum
Finky : « Je préfère madame Merkel à Victor Orban… Mais il y a un mot de Victor Orban qui m’a déchiré le cœur… Il a dit moi je ferme les frontières parce qu’il y a une chose dont j’ai pas envie, c’est que la Hongrie devienne la Marseille de l’Europe centrale. Et c’est une phrase terrible parce que ça veut dire que la France qui faisait tellement envie autrefois et naguère, fait aujourd’hui pitié. Et Marseille c’est quand même le lieu où revient, mais sous une guise tout à fait nouvelle, l’esprit du pogrom. Il y a des pogromistes à Marseille. »
Dany : « Il y a des pogromistes en Hongrie ! »
Finky : « Il y a des pogromistes à Marseille qui poursuivent des juifs à kippa mais pas parce que la kippa serait comme l’a dit Rony Brauman fort malencontreusement, un signe d’allégeance à la politique raciste d’Israël, parce que ça voudrait dire que les les les les les les les cibles sont elles-mêmes coupables, car racistes, non, ils poursuivent des juifs à kippa parce que eux ils en veulent aux juifs et et et la kippa est un moyen comme un autre des les identifier. […] Sur les réseaux sociaux islamiques, pour dire les choses par leur nom, on s’est moins ému de ce pogrom que de cette idée qu’il y aurait deux poids deux mesures entre la kippa et le voile, voilà. On défend la kippa en France, le droit à la kippa, mais on interdit le voile. Ce qui est faux : on permet le voile dans l’espace public, et si une femme voilée est attaquée, c’est aussi ignoble. Mais voilà ce qui a été dit en quelque sorte comme si encore une fois il fallait penser que les juifs se tirent toujours d’affaire et que même dans ce cas-là, où ils sont des cibles, ils sont les rois du monde. »
Ouf, il a lâché le morceau, enfin. L’antisémitisme, les pogroms, on n’était pas loin de Vichy et de la Shoah. Maintenant Alain va mieux, même si sa main droite tremble, comme celle de Valls (lui c’est la gauche). Il aura fallu 90 minutes pour que Finky expulse ce qu’il avait sur le cœur. Le débat aurait pu porter au départ sur la chute du nombre de rhinocéros en Afrique, on en serait arrivé au même endroit, probablement au même moment. Hélas, c’est le moment choisi par l’arbitre Pujadas pour « qu’on aborde un autre temps de ce débat ». Cela n’empêche pas Dany d’en placer une dernière sur la tribu :
Dany : « Sur les juifs, en 30 secondes. Quel est le pays où la plupart des juifs veulent aller quand ils partent d’Israël ? C’est l’Allemagne, et Berlin. »
Finky : « Et c’est pas la France. »
Dany : « Et c’est pas la France. »
Finky : « Et ils quittent la France ! »
Dany : « Et c’est les Allemands qui reçoivent le plus de réfugiés ! Et la France n’en reçoit pas ! Donc c’est quand même pas mal l’Allemagne de madame Merkel. »
Finky : « On verra dans 10 ans. »
Le petit coin pour les goys
On vous passe la fin de l’émission, la dernière demi-heure consacrée aux problèmes des goys avec deux hommes politiques « nouveaux », l’élu montpelliérain Philippe Saurel (sans étiquette, quelle avancée), et l’ex-PDG d’Endemol (!) Virginie Calmels, passée dans les bagages de Juppé à Bordeaux. Face aux deux géants de la tribu régnante, ils feront logiquement pâle figure.
À la toute fin, Karim Rissouli, l’homme qui assénait le catéchisme officiel aux invités récalcitrants du Grand Journal, la nouvelle recrue de l’info de France 2, vient faire sa revue de tweets, l’idée bateau censée intégrer la participation des téléspectateurs. Tu parles d’une interactivité… Karim osera quand même évoquer poliment à Finky son « obsession de l’islam », ce à quoi l’immense philosophe rétorquera :
« Le concept d’islamophobie vise si vous voulez à réprimer toute pensée libre et parole sur l’islam. Je condamne et j’ai condamné tout au long de l’émission les généralisations, les amalgames, le racisme antimusulman, j’ai pris bien soin de distinguer l’islam en général de l’islamisme… Ceux qui m’accusent d’être islamophobe refusent que ces distinctions soient faites et veulent soustraire l’islam à la critique et cela, je ne m’y résoudrai jamais. »
La question drôlatique du « débat » échoira à Pujadas, qui se tourne vers Rissouli : « Les temps forts de l’émission ? »
La conclusion appartiendra au présentateur du 20 Heures, fier comme un coquelet : « Qui a gagné, c’est évidemment une blague, personne n’a gagné personne n’a perdu, on est là pour essayer d’éclairer un peu et que surtout que chacun se fasse son idée… »
Si si, les Français ont perdu 135 minutes et 300 000 euros, dépensés en pure perte par France 2. Enfin, pas pour tout le monde : tout cela a servi à flatter l’ego de ces deux personnalités médiatiques, l’une, politique à moitié intellectuelle, l’autre, intellectuelle à moitié politique. Qui se complètent parfaitement sur le linéaire idéologique proposé par le Système : une gauche libérale libertaire, suivie d’une droite réactionnaire, toutes deux résolument contre le « social » mais pour le sionisme.
L’émission est ici :