Pendant les barrages contre l’Ukraine, on assiste à un déchaînement de tirs de barrage médiatiques contre Patrice Evra, le paratonnerre sociopathe des Bleus. Un évènement qui consacre la victoire définitive des consultants (Ménès, Larqué, Praud…) sur les insultants (Evra, Ribéry, Nasri…). Et qui annonce une purge stalinienne dans une fédération aussi bureaucratique que dépassée.
Saluons le sacrifice du latéral gauche de Manchester United, et accessoirement de l’équipe de France, qui attire sur lui toutes les foudres critiques afin de protéger les Bleus pour le match retour couperet contre l’Ukraine, qui offrira un aller pour le Brésil ou pour l’Enfer. Une technique autrefois utilisée par Domenech, qui l’avait poussée si loin qu’il faisait perdre les Bleus pour les protéger.
Plus sérieusement, le conflit actuel est intéressant en ce sens qu’il montre l’apparition de nouvelles puissances au sein du foot français. Les consultants, issus des chaînes comme Canal+ et Bein Sport, qui possèdent de fait le championnat de France, ainsi qu’une partie des coupes européennes, ont leur mot à dire : ils représentent l’opinion.
- Le grand jury
Les chroniqueurs de Canal, réunis chaque dimanche soir autour d’Hervé Mathoux, refont et les matches, et l’arbitrage, et les réputations. Et la réputation d’un joueur, en ces temps de démocratie d’opinion, c’est beaucoup. Un joueur qui flambe sur deux trois rencontres – parce qu’il est en forme ou qu’il a pris un produit de qualité – crève soudain l’écran. Les journalistes se ruent dessus et en tirent articles, interviews, portraits radio, sujets télé. L’opinion embraye. C’est la cristallisation médiatique. Et le sélectionneur national ne peut rester indifférent à cette pression… politique, car c’en est une. Seul Domenech, sélectionneur à moitié fou mais cohérent, a réussi à contenir la horde, au prix d’une haine incroyable du milieu à son encontre. Mais il a tenu bon, et failli gagner, en 2006, grâce à un Zidane en expansion, géante rouge avant l’implosion finale.
Dominique Armand : « Est-ce qu’il y a déjà une équipe de France ? En un an et demi Deschamps a appelé une cinquantaine de joueurs ! Avec une équipe qui change à chaque match, à chaque rencontre, avec des joueurs interchangeables, est-ce qu’on peut appeler ça une équipe [1] ? »
Aujourd’hui, Deschamps doit se justifier lorsqu’un joueur, « sélectionné » par la gente médiatique, n’est pas sélectionné dans la foulée chez les Bleus. S’il ne le prend pas, et que le joueur qui occupe le poste officiellement n’est pas bon, c’est la curée assurée. S’il le prend, et qu’il ne flambe pas en sélection, on l’oublie, surtout les journalistes. Voilà pourquoi depuis l’ère Domenech, les sélectionneurs ont de plus en plus de mal à conserver une équipe-type, cohérente, basée sur un schéma tactique qui n’utilise pas forcément les meilleurs joueurs à chaque poste, mais l’efficacité de leur structure commune.
- Pat fait des efforts en rouge, pas en bleu
Il faut dire, à la décharge des « consultants », que la sur-financiarisation du football a eu raison de la quasi-totalité des vocations et des sacrifices sous le maillot bleu. Sachez que ce prestigieux uniforme ne rapporte relativement rien, en terme d’argent. La plupart des joueurs s’en foutent, vu qu’ils gagnent monstrueusement bien leur vie dans les clubs, en général étrangers, à part le PSG et Monaco, qu’on peut considérer comme des clubs… étrangers. Sans oublier le risque de blessure, mal vu par leur employeur principal (remember Wenger, qui lâchait difficilement ses Gunners à l’équipe nationale). Les Bleus, pour eux, c’est juste une occasion non pas de briller, mais de conserver leur cote, puisqu’ils sont cotés. Cotés par leurs résultats, performances, et par les consultants. Tous ces chiffres et impressions entrent dans le shaker et composent la cote d’amour d’un joueur, incluant la valeur marchande.
Jean-Michel Larqué : « Quand j’entends Evra qui dit moi le peuple m’aime, en tout cas je sais pas lequel, mais le peuple du football ne l’aime pas ! Moi je suis bénévole et je suis dans le football de base, le football amateur tous les jours de toute la semaine de toute l’année, je peux vous dire que personne ne l’aime [2] ! »
Ainsi, Patrice Evra bénéficie-t-il depuis des années d’une grosse cote footballistique en Angleterre, mais souffre d’une cote d’amour à la limite de la haine en France. C’est un mercenaire, qui ne comprend rien à l’idée de Nation, et le public français lui en veut pour cela. Alors qu’il est l’archétype du joueur moderne. Qui continue à faire son travail chez les Bleus, mais sans plus, pour ne pas subir de décote. Ce sont donc les jeunes entrants qui ont intérêt à flamber chez les Bleus, avec une motivation sportive totale, et financière nulle. Mais ils se heurtent à un problème de taille : le bloc des anciens, qui protège son propre groupe, garant des cotes particulières. D’où l’échec de l’intégration de Gourcuff chez les Bleus en 2010.
Hervé Mathoux : « Y a pas tellement d’alternative… »
Pierre Ménès : « Mais si y a une alternative ! Y a l’alternative de mettre des gens qui ont envie [3] ! »
Postulat : un bon joueur surmotivé ne peut entrer comme cela dans le Club France. Vous nous direz : le sélectionneur n’a qu’à l’imposer ! Oui mais dans ce cas, il risque une grève du zèle sur le terrain, comme on l’a vu en 2010 : on fait le service minimum au niveau des efforts et on prive le nouveau… de ballons. Un entraîneur perd la main sur le groupe dès que ce dernier pénètre sur le terrain. Là, d’autres considérations entrent en ligne de compte, dont la mainmise sur le système de cotation issu de la sélection en Bleu. Voilà pourquoi un néo-Bleu ne peut que se soumettre, et ne flamber que dans certaines conditions, dans un certain cadre, sinon il menace directement un « cadre ».
Olivier Giroud, souriant : « J’ai envie de dire qu’on est prêts à mourir sur le terrain pour y arriver [4]. »
La solution à toute cette problématique aurait été de tout raser après l’épisode tragi-comique de Knysna en 2010, et reconstruire sur des bases saines, à partir d’un noyau de jeunes, comme l’ont fait les Allemands avant 2006. Ils ont été jusqu’à sacrifier leur Coupe du monde (ils jouaient à domicile) avec une Mannschaft remaniée, inexpérimentée, qui a quand même atteint les demi-finales. Depuis, ils ont quasiment la meilleure équipe du monde, et leurs clubs ont pulvérisé les équipes espagnoles lors de la dernière Ligue des champions. Un travail sur le long terme payant, qu’on n’a pas encore fait en France, du fait des pesanteurs de la FFF et de la politique des clans, mais qui semble inévitable. D’autres drames sont à venir, qu’on aille au Brésil ou pas, car la purge n’a pas été faite.
Pierre Ménès : « Je préfère me faire détruire mercredi matin et qu’on aille à la Coupe du Monde… Par contre si mercredi matin la France est élimitée (!), là tu vas voir, là il va y avoir du sang sur les murs, là je parle pas de moi, tout le monde va morfler, Noël Le Graët, en premier… C’est quand même lui qui nous survend le bébé depuis un an et demi [5]. »
Au-delà de ces considérations, les joueurs devraient tout donner sous le maillot bleu, sans calcul ni retenue, car ils sont l’image de la France, qui doit être combative, pour donner courage à tout un peuple qui commence à souffrir sérieusement. C’est un symbole, et comme tous les symboles, il est primordial. Sinon les pauvres ils vont pas être contents.