Avant d’aller jouer au poker avec Kim Jong-un, Donald Trump a eu le tweet mauvais. Ce sauvage a désavoué le communiqué du G7 et bousculé ses partenaires commerciaux. Le Landernau du Nouvel Ordre mondial est en émoi. Cela ne présage rien de bon.
Trump joue au Huron, ce sauvage d’Amérique dont Voltaire utilisait les étonnements pour mettre en scène les anomalies et les contradictions de la société. Il fait mine de découvrir en quelques tweets les incohérences du libre-échange et des négociations sur le grand commerce mondial. Comme il a soixante-dix ans et qu’il a gagné une dizaine de milliards dans les affaires, on tiendra sa naïveté pour jouée, mais son désir de pédagogie, et son souhait de renverser le jeu de quilles du Nouvel Ordre mondial, eux, sont bien réels.
Le G7 avait péniblement pondu un compromis et Trump l’a signé
De quoi s’agit-il à l’origine ? Le G7, c’est-à-dire les pays les plus riches du monde se sont réunis à la Malalbe, au Québec, sous la présidence du premier ministre canadien Justin Trudeau. Six d’entre eux n’étaient pas d’accord avec le septième, le plus puissant, les États-Unis, qui entend rétablir de vraies barrières douanières pour freiner ses importations, sur l’acier notamment. C’est un accroc dans le dogme du libre-échange intégral, et ces six-là sont des bigots : pour eux le Nouvel Ordre mondial tient sur deux pieds, libre échange et prise de décision multilatérale. Avec ses mauvaises manières, Trump scie les deux. Le G7, malgré le désaccord des parties, avait réussi à mettre sur pied un ce ces communiqués dont les diplomates raffolent, château de cartes de formules creuses qui permettent de ménager l’avenir et ses ambiguïtés. Or Trump, au soleil du printemps canadien, l’avait signé comme tout le monde.
À bord d’Air Force One le POTUS est devenu un mauvais sauvage
Mais une fois embarqué dans on Air Force One à destination de Singapour où il doit rencontrer Kim Jong-un (sa priorité, son grand rôle de l’année : réussira-t-il où tous ses prédécesseurs ont échoué ?), Trump est redevenu ce POTUS irascible, imprévisible et sauvage qui fascine tant le facile Macron. Il a bousculé tout cela en quelques tweets qui ne sont pas piqués des hannetons. Le premier vise le Canada et les droits de douane qu’il impose aux États-Unis. Ils s’élèveraient à 270 % sur les produits laitiers. Trump est particulièrement mauvais envers le pauvre Trudeau : « Justin [Trudeau] joue les vexés quand on le dénonce ! » Il lui consacre même un deuxième tweet :
« Le PM Trudeau du Canada s’est montré docile et modéré pendant nos réunions au G7, tout cela pour donner une conférence de presse après mon départ dans laquelle il déclare que “les droits de douane américains sont presque insultants” et qu’il ne “se laissera pas bousculer”. Très malhonnête et faible ».
Il bouscule les poules du Nouvel Ordre mondial à coups de pied au derrière
Les chaisières du Nouvel Ordre mondial, dont Trudeau est une des icônes, s’indignent des propos de Trump et Donald Tusk, le Président de l’UE, a même dit qu’il y avait une « place spéciale pour Trudeau préparée au paradis » : Trump a choisi de bousculer l’homme de la révolution sociétale, LGBT, artisan du Canada arc-en-ciel, bref, le parangon du Nouvel Ordre mondial. Le reste des réactions européennes est de la même eau, entre désolation impuissante et mauvaise humeur. On dirait des poules qui auraient reçu un coup de pied dans le derrière et s’efforcent de rester dignes. Parlant des engagements du G7, Macron a dit : « Quiconque les quitterait le dos tourné montre son incohérence et son inconsistance. La coopération internationale ne peut dépendre de colères ou de petits mots. Soyons sérieux et dignes de nos peuples. » Le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas a déclaré : « Vous pouvez détruire la confiance en 280 caractères Twitter. »
Derrière le G7, c’est le Nouvel Ordre mondial qui est visé
Maas, avec son ton geignard, lève un lièvre de première grandeur. Incontestablement, il n’y a pas d’ordre mondial possible, ancien ou nouveau, quand un chef d’État reprend sa parole quelques heures après l’avoir donnée. Trump est pire qu’un sauvage, il se tient comme un cochon, mais l’effet de ses gestes est qu’il détruit la confiance dans le Nouvel Ordre mondial post-national en construction, et c’en est sans doute aussi le but : le filet maillé depuis des décennies est en train de craquer de toutes parts. Pour se rassurer, Angela Merkel (dont le pays vend plein de Mercedes aux USA et en tire un substantiel excédent commercial) grogne qu’elle ne va pas continuer à se laisser « escroquer » et qu’elle va « agir », et Emmanuel Macron, auquel Maman Brijou vante les vertus de la pédagogie même avec les mauvaises têtes, a lancé à Trump que la France pratique le libre-échange intégral avec l’Allemagne, bien qu’elle ait un important déficit commercial vis-à-vis d’elle.
Les tweets de Trump qui bousculent le Monde
Mais précisément, à long terme, est-ce que c’est un truc qui peut marcher, sans entrainer soit l’appauvrissement de certaines nations, soit la mise sous tutelle des nations dans un Nouvel Ordre mondial ? Le Monde, qui ne manque pourtant pas d’anglicistes distingués, a omis de traduire certains tweets de Trump. Les voici. « Pourquoi devrais-je, président des États-Unis, permettre à des pays d’encaisser des excédents commerciaux massifs, comme ils l’ont fait depuis des décennies, pendant que nos fermiers, nos ouvriers et nos contribuables en paient un prix aussi grand et aussi injuste ? Cela n’est pas correct pour le peuple américain. 800 milliards de déficit commercial… » Et celui-ci : « L’Allemagne verse 1 % (doucement) de son PIB à l’OTAN, pendant que nous payons 4 % d’un PIB beaucoup plus important. Quelqu’un croit-il que cela ait un sens ? Nous protégeons l’Europe (ce qui est bon) à grosse perte financière pour qu’elle nous snobe ensuite sur le commerce. Ça va changer ! »
Les bonnes questions de Trump et Macron à Sainte Rita
Ici, Trump pose en même temps deux questions fondamentales, qui pendent depuis la seconde guerre mondiale et que personne n’a osé traiter. Pourquoi les Européens délèguent-ils le soin de leur défense aux États-Unis ? Ce n’est pas « une bonne chose », comme le prétend Trump, c’en est une mauvaise, dont les deux parties sont responsables. L’OTAN aussi est une mauvaise chose. Et pourquoi laisse-t-on s’accroître de façon monstrueuse le déficit commercial des États-Unis, avec les conséquences monétaires que cela suppose ? Si Trump, avec ses méthodes de sauvage, parvenait à les mettre un jour vraiment sur la table, je ne suis pas sûre que la réponse lui plairait, mais c’est pour le coup que le bon Donald Tusk pourrait aller brûler un paquet de cierges en remerciement à Sainte Rita.