S’il est un magazine dont la marque de fabrique est la coolitude, c’est bien Les Inrockuptibles. Hebdomadaire branché qui passe son temps à chroniquer les chanteurs branchés, les films branchés et les jeux vidéo branchés, « les Inrocks », comme disent les gens branchés, adorent aussi les styles de vie branchés, les habits branchés et les meubles branchés... Bref, tout ce qu’il faut pour être branché... Et donc cool. Mais être cool, pour l’hebdomadaire que dirige désormais Audrey Pulvar, suppose d’en avoir les moyens.
Dans une rubrique intitulée « Où est le cool ? », Les Inrockuptibles recensent (et encensent) – à grand renfort (outrancier) d’anglicismes branchés – ce qui leur semble correspondre à la « cool attitude » du moment. Pour l’essentiel, le « cool de la semaine » se caractérise par la promotion de produits de consommation peu répandus, dont on ne fournit pas le prix (sauf quand c’est un livre et donc pas cher). Échantillon représentatif.
Dans le numéro du 16 octobre 2012 par exemple, l’hebdomadaire branché nous explique que le « cool » se trouve « sur ce skate translucide », dont la description fait rêver : « Surfant sur le gros revival des planches old-school, la marque Globe remet au goût du jour sa Bantam en plastique rigide et la décline en une série design ultracolorée. » Si en général les skateboards (planches à roulettes) coûtent entre 40 et 50 euros, le prix de celui-ci – après investigation de notre part – est de 110 euros.
Dans le même numéro, le « cool » se trouve aussi « dans ce look geek futuriste ». Description : « Capturée pendant la fashion week, cette silhouette parvient miraculeusement à mixer quelques-uns des items les plus trendy de la saison : baskets lamées Kenzo, leggings et surtout cet ultra-geeky et fantastique pull/sweat Balenciaga. » Ce pull/sweat coûte juste 185 euros, hors frais d’envoi... Cool, non ? Ce qui est cool aussi c’est de pouvoir boire un café au « MVMNT Café » à Londres. Le prix ? 1,20 livre sterling pour un expresso, auquel il faut ajouter bien sûr le prix du billet de train ou d’avion pour se rendre dans la capitale britannique (160 euros l’aller-retour en train depuis Paris, ou 300 euros l’aller-retour en train depuis Clermont-Ferrand).
Dans le numéro du 9 octobre 2012, l’hebdomadaire cool vante le « bombers W.I.A. », des « tenues oversize postdigitales que l’on imagine bien sur des hackeuses, des clubbeurs ou Die Antwoord ». Le prix non indiqué par Les Inrockuptibles ? 295 euros. Le cool est aussi dans des chaussures à 365 euros. Il se trouve dans des motos retapées à des prix allant de 10 000 à 23 000 euros. Les Inrockuptibles conseillent également de passer des vacances dans des « lodges ecofriendly de bois et de métal » dans la vallée de Guadalupe au Mexique. Le prix d’une nuit ? Minimum 175 euros. Plus l’aller-retour en avion au Mexique. Et si vous êtes à la recherche d’un sac, on vous conseillera de prendre un sac de bivouac style années 60 pour la modique somme de 235 euros...
Dans le numéro du 19 septembre 2012, l’hebdomadaire cool et branché recommande des chaussures de ville avec des semelles en forme de dents de requin, les « Shark Sole Derby Navy » qui, vérification faite, valent au mieux 530 dollars (soit un demi-Smic). Et si vous voulez faire du sport – mais en restant cool, of course – vous pouvez aussi vous procurer des Nike Flyknit (11 septembre 2012). Description : « Après le revival New Balance, Nike impose encore un peu plus la tendance technique qui court dans le monde des sneakers avec la Flyknit, basket ultralégère et tressée qu’on enfile comme un chausson ou une seconde peau. Au placard, donc, les vieilles Stan Smith et autres modèles rétro : l’automne sera minimal, aérien et futuriste. » Le prix ? 160 euros.
Fermons le ban. Ainsi que nous l’écrivions déjà en 2006, « anglicisme branché, publicité design, élitisme cool et provocation in sont les ingrédients de ce périodique parisien ». Et ces quelques exemples de « produits » décrits ou conseillés par Les Inrockuptibles nous éclairent encore plus sur ce qu’est cet hebdomadaire... La venue d’Audrey Pulvar (et de ses lunettes, estimées à 15 000 euros selon Le Canard enchaîné) ne semble rien y changer. Sans doute parce qu’Audrey Pulvar est cool.
Après tout, pour être cool, il faut en avoir les moyens. Et être riche de préférence.
Mathias Reymond