Pour contourner le blocus imposé à la bande de Gaza depuis juin 2007, les Palestiniens ont recours à des tunnels leur permettant d’accéder à l’Égypte.
Sortie d’un tunnel entre Gaza et l’Égypte, la demi-douzaine d’ânes jaillit dans la lumière des phares. Le passage ne leur a pris que quelques minutes : le boyau est large, presque deux mètres, et si haut qu’ils n’ont pas eu à baisser la tête. Les treuils électriques, qui tractent au sol de longs traîneaux chargés de denrées et de matériaux, ont été stoppés, afin de ne pas les blesser. Le tunnel remonte en pente douce, solidement étayé par un curieux alignement de bennes de camions, récupérées et découpées, puis retournées. Les ânes ont été accueillis par le maire de Rafah, Issa el Nachar, membre fondateur du Hamas. Et la ronde des traîneaux a repris.
AUX ÂNES CITOYENS
La route Philadelphie, bande large de cent mètres qui sépare Gaza de l’Égypte et évacuée par l’armée israélienne en août 2005, ressemble à un chantier de l’Ouest américain au temps de la ruée vers l’or : tous les vingt mètres s’ouvre la bouche d’un tunnel. Le passage voisin de celui des ânes est un puits très profond dont est extraite, toutes les trois minutes, une palette de dix sacs de ciment, vite chargés sur un camion.
Le prix de cette vitale matière première, multiplié par cinq au début du blocus de Gaza, n’est plus que du double. Pour l’essence, c’est un pipeline qui alimente les camions-citernes : le carburant égyptien n’est plus qu’à 1,5 shekel israélien (environ 30 centimes d’euro), beaucoup moins cher qu’en Israël. Tout ou presque peut passer sous terre, même des voitures neuves, coupées en trois morceaux ! Pour le maire de Rafah, la construction d’un « mur souterrain » côté égyptien, presque achevée, qui a pour but de radicaliser le blocus, « n’a eu que peu d’effets sur les “importations” ». Et Ali, propriétaire d’un gros tunnel, se dit prêt à percer n’importe quelle plaque d’acier qui serait glissée dans le sous-sol pour interdire le passage : « En janvier 2008, nous avons bien scié le mur israélien sur plusieurs kilomètres. S’ils essayent de nous noyer, mes pompes sont prêtes ! »
Les foreuses qui travaillent à ce nouveau mur de la honte, côté égyptien, ont été la cible de quelques tirs palestiniens.
GAZA MAUDIT
Quant aux ânes, nouveaux arrivants, ils vont maintenant s’inscrire dans la noria des petites charrettes qui tourne dans les zones bombardées par les Israéliens en janvier 2009. Là, des dizaines de bulldozers, pilons, foreuses, réduisent en miettes les gravats laissés par les tonnes de bombes. Le fer du béton est aussi récupéré. Des centaines de jeunes font circuler ce nouveau matériau sur de grands tamis, tandis que s’élèvent des monticules de pierres et graviers désormais calibrés. Taleb abu Salah, ministre des Cultes – il insiste sur le pluriel – a, pour sa part, un chantier de 25 millions de dollars à mener à bien : quarante-six mosquées ont été détruites et cent quatre-vingt-six autres touchées lors de l’opération Plomb durci, qui a fait ici 1 500 morts. Abu Salah s’impatiente : « C’est le ciment qui manque, les tunnels ne suffisent pas ».