Les samedis de mobilisation se suivent et se ressemblent : du côté du pouvoir, on minimise, et du côté des Gilets jaunes, on résiste. On résiste à la pression médiatique négative, on résiste à la répression féroce, et on résiste à l’usure. Ce 20e samedi ne déroge pas à la règle. Qui craquera le premier ? Le pouvoir, ou la rue ?
Première estimation de la participation à l'#Acte20 des #GiletsJaunes : 102713 manufestants minimum
Vous pouvez encore nous faire remonter vos infos jusqu'à demain midi sur Twitter ou sur notre groupe Facebook :https://t.co/1fr5LJbD4l …#ActeXX #YellowVests#LeNombreJaune #LNJ pic.twitter.com/dbm7MQtZwQ— Le Nombre Jaune (@LeNombreJaune) 30 mars 2019
Le direct par RT ::
Il semble bien que les coups de semonce de l’ONU aient eu raison des délires répressifs de l’exécutif. Aujourd’hui, au moment où nous écrivons, il n’y a pas eu de violences policières notables comme lors des samedis les plus durs. La réprobation internationale n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’appeler Macron à la plus grande fermeté pour en finir avec le mouvement social. À Paris, les FDO ont quand même procédé à 11 000 contrôles préventifs selon RT (à 18h).
Cependant, Bordeaux a été le théâtre d’affrontements entre GJ et policiers.
#Bordeaux (33) début de l'#ActeXX des #GiletsJaunes une foule considérable défile dans la capitale Girondine. La manifestation dégénère nombreux affrontements #Acte20 #Giletsjaunes33 pic.twitter.com/HlBcj0nMWT
— LINE PRESS (@LinePress) 30 mars 2019
Et à Besançon, quelques coups de matraque se sont perdus (mais il doit s’agir d’une vidéo hologramme façonnée par quelque complotiste, car Christophe Castaner l’a certifié : « Aucun policier n’a attaqué des Gilets jaunes »).
Selon L’Internaute, « les figures des gilets jaunes Éric Drouet et Jérôme Rodrigues ont été aperçues à Bordeaux, aux côtés du chanteur Francis Lalanne. Selon Éric Drouet, les manifestations devraient continuer en avril et alterner entre Paris et les grandes villes. »
Dommage pour la crédibilité du mouvement. N’oublions pas que Lalanne avait insulté Dieudonné lors des élections législatives à Évry, que Valls avait gagnées grâce à l’arbitre... Pour fuir quelques mois plus tard en Espagne, où il sera rejoint par BHL.
Pour autant, les Gilets jaunes ne se réduisent pas à leurs leaders, comme dirait Priscilla Ludosky. Le pouvoir n’a toujours pas trouvé de solution politique à ce soulèvement, que Jérôme Fourquet et Marcel Gauchet assimilent à un reliquat de révolution, y voyant plus l’esprit de 1789 que celui de 1848. Gauchet pense avoir trouvé les racines de la fracture élite/peuple illustrée par les GJ (entretien paru dans Le Figaro du 21 mars 2019) :
Gauchet : « J’avais choisi de parler de “fracture” pour éviter le vieux langage de “l’antagonisme de classes”. Celui-ci supposait que l’on s’affrontait autour d’un enjeu commun. Or, à l’aube des années 1990, le contexte avait changé. L’ancien clivage entre les deux cultures dominantes, catholique et communiste, était obsolète. Je voyais au contraire naître une fragmentation bien plus profonde, sur plusieurs plans, l’émergence d’un monde où l’on se parle de moins en moins car les acteurs n’ont plus grand-chose en commun. Jérôme Fourquet confirme brillamment cette intuition. Il est devenu impossible de ramener la société à un dénominateur commun. »
- Gauchet à gauche, Fourquet à droite
Et voici l’analyse de Fourquet, suivie de la réponse de Gauchet :
Fourquet : « Le mouvement des Gilets jaunes est complexe à analyser et nous n’avons pas encore vraiment de recul. Mon sentiment, au vu des premières études qui ont été conduites, est que le soutien massif dont il a bénéficié s’explique d’abord par la très forte impopularité du président de la République : répondre aux sondeurs que l’on soutient les Gilets jaunes est pour les citoyens une manière d’exprimer leur désaccord avec Macron, qui est le premier président à avoir face à lui un mouvement qui matérialise concrètement dans la rue son impopularité.
Ensuite, le ras-le-bol fiscal est un sentiment partagé par de très nombreux Français et c’est sur ce terreau qu’a prospéré la colère des Gilets jaunes. Une part croissante de nos concitoyens a le sentiment de cotiser beaucoup trop par rapport à ce qui lui est rendu. Là encore, cela pose la question du sentiment d’appartenance à un monde commun ! L’analyse montre enfin que le soutien aux Gilets jaunes est territorialisé : les cadres des grandes métropoles, mais aussi les habitants des banlieues qui partagent pourtant des difficultés similaires avec les Gilets jaunes, ne s’en sont pas senti solidaires – malgré les tentatives de la gauche pour faire converger les luttes.Gauchet : Ce qui me frappe, c’est la demande d’État exprimée par les Gilets jaunes. Ce mouvement n’est pas révolutionnaire, quoi que certains en disent ; il ne vise pas la prise de pouvoir ; en son fond, il n’est hostile ni au capitalisme, ni au libéralisme ; il ne cherche même pas à s’organiser politiquement. Il se pose seulement en face de l’État en disant “faites quelque chose pour nous”. Il s’enracine typiquement en cela dans la culture politique française ! Il montre que nous sommes sortis du grand cycle du mouvement ouvrier, commencé en 1848. Du même coup, il fait réapparaître la couche antérieure, 1789, les instincts profonds de la Révolution française. Comme ils en appellent à l’État, les gens se tournent confusément vers la nation : celle-ci n’est plus une référence positive mais demeure l’objet d’un appel anxieux, comme le dernier cadre commun qui peut encore répondre à leurs problèmes. »
Pas faux sur la renaissance du sentiment révolutionnaire, mais pas exact sur la non hostilité au libéralisme : on voit que des Gilets jaunes ont nommé et visé des structures de pouvoir, et de pouvoir profond. C’est justement à ce moment-là que le mouvement a été antisémitisé dans son ensemble par les médias. De là il a été taxé de « populiste », de « fasciste » et autres noms d’oiseaux. Les intellectuels ont du mal à reconnaître que le mouvement populiste est (re)monté contre l’oligarchie. Fourquet fait un pas dans cette direction, mais il recule aussitôt de deux. On décèle même dans leurs propos une pointe de mépris, ce mépris qui a coûté son pouvoir à Macron.
Voici la fin de l’entretien :
Fourquet : « Nous avons évoqué les Gilets jaunes tout à l’heure : ceux-ci sont typiquement un mouvement populiste, mais en même temps très fortement individualiste ! “Mon” pouvoir d’achat, “mes” impôts », “mon” plein d’essence…
Gauchet : … “Ma” bagnole ! (Rires.)
Fourquet : … Et on répète à l’envi “nous sommes le peuple”, mais en réalité le fondement du mouvement est individualiste. Et cette dimension devient structurante. On n’accepte plus de s’intégrer ou de se soumettre aux superstructures.
Gauchet : Il ne faut pas en effet se leurrer : la sociabilité des ronds-points ne signifie pas que les Gilets jaunes ont une réelle capacité à faire société. Il faudra plus qu’un tel mouvement pour reconstruire, et les acteurs eux-mêmes le savent, puisqu’ils ont refusé de se donner une forme politique, ou même de se choisir des porte-parole. Leur structure épouse celle des réseaux sociaux : désaxée, désintermédiée, sans hiérarchie… »
Si on les écoute, il n’y a plus rien à faire qu’à se soumettre. Heureusement que des Français ont décidé de reprendre leur destin en mains, quitte à y laisser leur santé, leur temps et leur argent. De toute façon, le libéralisme s’attaque à leur temps, à leur argent et à leur santé. Mieux vaut se sacrifier pour son idéal, un idéal commun, n’en déplaise à Fourquet & Gauchet, que pour l’idéal de l’oligarchie.