Il y a un an, on était en plein dedans. Des messages sanitaires à la télé rabâchant l’importance du lavage de mains, des boites de conserve stockées dans les entreprises à côté des piles de masques, des leçons sur DVD à diffuser en cas de fermetures généralisées des écoles... Sans oublier les quelque 94 millions de doses de vaccins anti-grippe A commandées aux labos pour affronter ce qui devait être l’épidémie du siècle.
Un an après, l’heure est au bilan. Dans l’exercice, le Parlement s’en donne à cœur joie, avec trois rapports publiés en l’espace de cinq semaines. Après l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, au tour des sénateurs de passer au crible la politique du gouvernement.
Rédigé par Alain Milon, sénateur UMP, le rapport publié ce jeudi pointe les maladresses et les erreurs d’appréciation du gouvernement. Il épingle aussi copieusement l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les labos pharmaceutiques. Revue en détail des principaux points soulevés par les sénateurs.
L’OMS vivement critiquée
L’organisation mondiale de la Santé est « une organisation politique qui peut commettre des erreurs techniques dans l’exercice de sa mission, en cas de crises sanitaires », rappelle le rapport. Et de citer, en guise d’exemple : la réaction de l’organisation « trop tardive pour le syndrome d’immunodéficience acquise (Sida) perçu de manière erronée comme ne frappant que l’Amérique ou des catégories limitées de populations. »
Autre critique développée en long et en large dans le rapport : les possibles conflits d’intérêts des experts, aggravés par le manque de transparence de l’organisation. Ainsi, plusieurs auteurs des recommandations de l’OMS en 2004 sur l’utilisation des vaccins et des antiviraux en cas de grippe pandémique avaient également des contrats professionnels avec des laboratoires pharmaceutiques, selon les révélations du British medical journal.
D’où cette proposition des sénateurs : inciter les Etats, et notamment la France, à s’impliquer davantage dans le contrôle interne et le fonctionnement de l’OMS. De la même manière, il est indispensable de garantir une plus grande indépendance financière de l’organisation. Car aujourd’hui, comme le soulignent les sénateurs, les financements privés ont une place prépondérante, de l’ordre de 80 % dans le budget de l’OMS.
La trop grande rigidité du plan gouvernemental
Le gouvernement a dégainé son plan « spécial pandémie » - dans les placards depuis la menace de la grippe aviaire - sans s’adapter à l’évolution de la pandémie au jour le jour.
« Manque de souplesse », ou « d’adaptabilité des plans », la commission regrette que les dispositifs prévus en amont n’aient pas été modulables. Et de saluer l’action des médecins libéraux, « ces acteurs de terrain » qui, eux, « ne se sont pas trompés, et ont mis en place spontanément une réponse plus adaptée à la réalité de la maladie ». « Les médecins généralistes ont particulièrement bien géré la réponse à apporter à la pandémie, et ils ont su rassurer leurs patients, évitant un engorgement du système de soins », souligne le rapport.
Concernant le stock de vaccins et le rôle des labos
Sur l’ampleur des moyens mobilisés (notamment la commande surdimensionnée de 94 millions de dose de vaccin), la commission d’enquête rappelle d’abord, pour la défense du gouvernement, qu’ « il faut tenir compte des incertitudes qui pesaient au départ sur la gravité de la pandémie ».
Sauf qu’« à mesure que les incertitudes se réduisaient, la stratégie vaccinale aurait dû pouvoir s’adapter en conséquence ». Problème : les contrats de fourniture de vaccin, signés avec les labos, ne permettaient pas de changement de cap. « Le gouvernement s’est trouvé enfermé dans une situation dont il n’a pu sortir que par la résiliation des contrats. Si la situation était devenue dramatique, il n’aurait pas obtenu en temps et en heure les vaccins nécessaires et se serait trouvé sans moyen de réagir devant une catastrophe sanitaire. Elle a heureusement évolué dans l’autre sens et la catastrophe n’est "que" financière. »
Le rôle et la rémunération des experts
Le constat, avec les précautions de forme : « Bien qu’aucun élément dont elle dispose ne permette à la commission d’enquête de conclure que des préconisations aient été faites en raison des liens d’intérêt de certains experts, elle ne peut que constater que la pandémie de grippe liée au virus H1N1 a été l’occasion d’une remise en cause sévère de l’expertise publique dans l’opinion en raison des liens d’intérêt de la majorité des experts avec l’industrie pharmaceutique. »
D’où cette nécessité de repenser le rôle des experts. « L’expertise ne peut pas être uniquement un devoir ou un honneur pour les scientifiques, elle doit être reconnue comme un véritable service rendu à la collectivité, et comme telle se voir valorisée. »
Selon les sénateurs, assurer une meilleure indemnisation - voire une réelle rémunération des experts - permettraient d’éviter des conflits d’intérêt potentiels.