Alain Soral évoque pour nous ses débuts à Paris dans l’avant-garde culturelle, lorsque les nouveaux mouvements musicaux l’ont mené aux mouvements de mode. La rencontre avec Pierre Fournier, styliste, modéliste et détaillant qui a bâti le renom de ses magasins sur des vêtements « anatomiques » fut décisive pour Alain Soral, alors étudiant en dessin d’anatomie à l’école des Beaux-Arts..
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Le spécialiste du vêtement Pierre Fournier est toujours actif à 80 ans cette année. Ce doyen du style français masculin « intemporel » a contribué très tôt à votre formation dans l’un de vos domaines de prédilection, le vêtement. Il y a comme une connexion "platonicienne" entre vos parcours : chez vous l’anatomie, puis le vêtement, puis la politique (progression du corps au corps social), et chez Pierre Fournier un travail sur le vêtement morphologique intemporel (recherche de stabilité totale) qui aboutit à la fin de sa carrière à une enseigne réputée chez les puristes du monde entier et qui s’appelle Anatomica. Pouvez-vous retracer les dates-clés de cette rencontre ?
C’est tout un pan de ma vie dont je ne parle jamais. À Paris en 1976, sans-le-sou, j’avais 18 ans, j’étudiais le dessin et l’anatomie à l’école des Beaux-Arts, dans la tradition de Duchêne de Boulogne. Ma bande de copains et moi-même étions dans l’avant-garde punk de la jeunesse de l’époque, qui est devenue ensuite l’after-punk, à ne pas confondre avec le mouvement punk anglais. En France, ce courant était davantage centré sur la mode que sur la musique. L’after-punk était une révolte vitaliste contre le look avachi des babas. Baignant dans cette avant-garde culturelle, j’ai rejoint le collectif En avant comme avant en 1978, et Honneur de la peinture. Là se trouvait un certain Éric Deroo qui avait un pied dans l’art contemporain et un pied dans la collection de vêtements militaires anciens. Il avait été enfant de troupe et étudiant à Saint-Cyr. Lui et Titus le Dandy s’étaient spécialisés dans le Militaria époque non pas Premier Empire ni bleu Horizon comme la plupart des collectionneurs, mais dans le Militaria taquin, époque « débâcle » : le bidon tamponné, le jersey mai 40, ce genre de choses. Humour, art, branchitude, Deroo était aussi un passionné de l’écrivain-soldat Louis-Ferdinand Céline, c’était un personnage intéressant. Il voyait que je m’intéressais aux mouvements artistiques et aux sous-cultures, à tous les soubassements qui président aux modes. C’est pour ça qu’il m’a un jour présenté l’homme qui avait été son mentor sur le plan du vêtement classique : Pierre Fournier.
Que produisait-il ?
À cette époque, aux alentours de 1978, Pierre Fournier tenait la boutique Globe, rue Pierre-Lescot. Ce quartier, Les Halles, était le lieu du foisonnement culturel de l’avant-garde française, lieu du premier café Costes de Philippe Starck par exemple, lieu de toutes sortes de connections transcourant en musique, cinéma, artisanat, peinture, ameublement… et vêtement. Fournier vendait notamment des jeans 501 bruts avec une idée distinctive : il avait des machines à laver dans la boutique pour effectuer le « stonewashing » sur place de manière à ce que le client reparte avec son jean à sa taille, personnalisé en quelque sorte. Encore auparavant, dès 1975, Fournier avait tenu avec son associée près de la fontaine des Innocents la boutique Pandora, ainsi nommée en référence au film Pandora de Levine avec Ava Gardner, grand film esthétiquement. Ils étaient déjà dans la vogue rétro, qui avait commencé vers 1972-73 puis qui s’est généralisée à partir de 1978 lors de l’avènement de la new wave…
Puis c’est l’époque du magasin Hémisphères à partir de 1980…
Hémisphères était un magasin plus chic que branché, avenue de la Grande-Armée. Un bel emplacement, un beau volume vaste et haut de plafond, garni de boiseries, de miroirs et de belles cabines d’essayage comme chez les tailleurs anglais. Là, Pierre est devenu davantage un découvreur, un voyageur, un détaillant, qui est le terme exact de sa profession. On trouvait par exemple chez lui les meilleures vestes autrichiennes, les meilleures santiags. Chez lui vous trouviez des Lucchese ou des Stallion, pas des Justin comme partout ailleurs ; des blousons Schott, mais en cheval. Il repérait toujours le nec plus ultra de chaque catégorie : des blousons de golf Catalina, des complets Chester Barrie, des boucles de ceinture mexicaines en argent… Il voyageait autour du monde et détectait les beaux vêtements pour le compte d’Hémisphères.
C’est là que vous devez comprendre la dualité radicale qui structure la manière de penser le vêtement. Vous avez d’un côté la mode, plutôt pour les femmes. Et de l’autre côté le vêtement, principalement masculin. Avec d’un côté le féminin frivole, de l’autre le sérieux masculin. Ainsi, plus il y a de mode, moins il y a de vêtement et plus il y a de vêtement, moins il y a de mode... Là, on est dans les basiques, le fonctionnel, l’intelligence, loin de la frime et de l’esbroufe, la belle et bonne chemise (pourquoi ? comment ?), la belle et bonne chaussure, etc. D’où la spécialisation de Pierre très tôt dans le vêtement de travail (peintre, ouvrier d’usine, garde-chasse…) et le vêtement militaire (cavalier, fantassin, tankiste, aviateur…). L’intelligence d’Hémisphères c’était cet intégrisme et cette intégrité : oser se détacher de la mode, précisément au moment où elle devenait toute-puissante avec les jeunes créateurs à la Jean-Paul Gautier (dont soit dit en passant j’ai été le premier mannequin télé avec Farida, autres temps, autres mœurs…). Choisir la recherche discrète et profonde d’un certain indémodable au moment où il y avait tout à gagner à se jeter dans le mouvement contraire… Pierre a pris d’instinct le contrepied de ce déferlement parce qu’il visait toujours le sens, la fonction, l’intelligence de l’objet : pas la mode mais l’indémodable. Plus tard lorsque j’ai officié comme professeur à l’école ESMOD, j’ai vu ce monde de stylistes prétentieux qui croyaient avoir créé parce qu’ils avaient fait de jolis dessins en couleurs… Il faut savoir qu’un monde sépare le styliste de mode, du modéliste, technicien qui travaille en matière et en volume, sur le corps, le réel. C’est ce côté-là, le côté sérieux, je dirais intellectuellement viril, qui a séduit et passionné Pierre, comprendre un vêtement, son pourquoi, son comment. Et le plaisir de l’expliquer, comme quand il vous fait essayer une Alden anatomique après vous avoir mesuré le pied selon ses dimensions nécessaires : longueur, largeur et voute, soit la place de l’articulation du gros orteil… Ou pourquoi un jean a-t-il des poches revolver plutôt que des poches italiennes ou américaines comme dans un chino ? Pourquoi un blouson ? Parce qu’il blouse… Qu’est-ce qu’un revers ? Un endroit retourné. Et qu’est-ce qui détermine le cran d’un point de vue anatomique ? Le tour de cou. Pourquoi des pinces anglaises plutôt qu’italiennes et réciproquement ? Et là on sort totalement du frivole, du gratuit, du bidon pour créateur débile et prétentieux, pour plonger dans le sérieux de l’anatomie, du corps en mouvement, en fonction, très loin du pseudo-artiste, du côté de l’ingénieur…
Pierre, sans doute au départ d’instinct, a pris ce chemin de mesure, de précision à rebours des modes, des tendances et il a tenu bon une carrière entière, à contre-courant C’est pourquoi alors que la mode est ce qui se démode et ses créateurs éphémères avec, lui est aujourd’hui reconnu comme un maître, celui qui maîtrise son sujet : le vêtement. Avec cet adage indémodable : seul ce qui est fonctionnel est beau, et le beau, pour durer au-delà des modes, doit être fonctionnel. Et cette beauté fonctionnelle est une dimension du bon et du bien, au-delà et au-dessus de toutes les fumisteries de la mode… Il suffit pour s’en convaincre de regarder un défilé de créateur avec 30 ans de recul, voire même une rétrospective Yves Saint Laurent avec honnêteté : à 90 % c’est du kitch. Il ne reste rien de pérenne. Même chose si on compare Chanel et Schiaparelli, rivales dans les années 1930. La première est une modéliste, elle travaille sur le corps avec des ciseaux, rien de spectaculaire mais du durable, elle reste, elle est toujours là. L’autre fait du surréalisme sur chiffon, elle ajoute du gri-gri d’avant-garde sur du vêtement non pensé, et ça finit en gag, en démodé…
En somme Pierre Fournier vous a apporté une lecture concrète du vêtement qui complétait votre goût pour la théorie et les soubassements conceptuels ?
On peut dire ça. Les premières années, à Paris, je chinais les vêtements aux puces, pour me constituer des looks : officier de marine, curé… sans le savoir qu’il faut pour juger de leur qualité. Pour moi, comme pour tout le monde, un costume était un costume, une chemise, une chemise, une chaussure, une chaussure. C’est Pierre le premier qui m’a montré la différence entre une belle chaussure anglaise et un écrase-merde, une Alan Mcafee en 11 C et une Weston taille 43 (soit le chaussant français lourd et large pour gros pieds). Son truc à lui, sa religion, c’est la Alden, la chaussure américaine fonctionnelle, inusable et belle : la cordovan anatomique !
Pour reprendre au début, il possédait un appartement qui n’était pas son lieu d’habitation, mais le sanctuaire de sa collection. Cette caverne d’Ali Baba se situait rue Ferdinand-Duval dans le IVe, à côté du fameux restaurant « Chez Jo Goldenberg » de sinistre mémoire... Le dimanche soir Pierre nous invitait parfois Éric Deroo, moi et très peu d’autres, dans un but pédagogique, à examiner les pièces rares qu’abritait ce lieu d’émerveillement pour moi. Un lieu entièrement rempli de housses sur des portants et de boîtes empilées jusqu’au plafond. Il vous sortait d’une housse un manteau blanc en vigogne des années 1950, un costume Chester Barrie, un Aquascutum, des macs, des trenchs Burberry’s de la bonne époque : raglan rond, tissu moiré « gorge-de-pigeon », des choses conçues, pensées et finies jusque dans les moindres détails pour servir le corps, l’élégance, la fonction… Des chaussures américaines en tortue, en requin, dessinées comme des voitures de sport, des paires de Jodhpurs à vous donner envie d’acheter un canasson, des chukka boots en daim orange, des vrais mocassins montés à l’indienne… Des pièces dont nous n’avons plus idée aujourd’hui. J’ai appris comme cela la belle et vraie fringue… Et quelques années plus tard quand je me suis intronisé professeur de sociologie du vêtement à ESMOD, cet apprentissage concret, indispensable, je l’ai joint à mon penchant – peut-être mon don – pour le concept, pour écrire mon manuel de cours (NDLR : La Création de mode, 1986, rééditions Kontre Kulture). Sachant que j’avais déjà publié le best-seller Les Mouvements de mode expliqués aux parents en 1984, livre collectif dont j’avais écrit la plupart des pages, sans trop penser à tirer la couverture à moi...
Quelle est aujourd’hui l’actualité de ces vêtements de qualité que l’on peut appeler « anatomiques » ?
Quand on réfléchit bien à ce qu’anatomique veut dire, même un simple jean’s bien coupé est un vêtement anatomique, puisque c’est une cotonnade « seconde peau », sans pinces, qui doit coller au bas du corps sans l’entraver. Donc la ceinture posée sur l’os du bassin devant, mais montant derrière, pour ne pas avoir le sourire du plombier quand on s’assoit, et au raz des couilles pour l’entrejambe, pour ne pas entraver la marche… Il n’y a rien de plus difficile que de réussir un jean’s, je m’en suis aperçu quand je m’en suis fait faire sur mesure… Et Pierre d’ailleurs, pour ne pas avoir compris à quel point ce pantalon doit être anatomique, en a raté plus d’un (en leur donnant toujours trop de fond), je le sais pour les avoir tous achetés ! En réalité, aucun créateur de vêtements, pour ne pas dire de mode, n’est créateur au sens où les modeux l’entendent. Pour l’essentiel, il reprend, il modifie, il améliore, il n’invente rien radicalement. La propriété artistique revient toujours à l’histoire, à la filiation, au génie collectif. Un spécialiste avec qui je discutais à l’époque où ça me passionnait (je ne sais plus si c’est Pierre ou Benoît Barterotte) m’avait dit et démontré que le XXe siècle avait inventé en tout et pour tout quatre vêtements nouveaux. Ce que d’ailleurs je démontre dans mon livre de cours, toute création est en fait : combinaison, transposition, adaptation, etc. Et ce qu’il faut pour perpétuer tout ça, ce génie collectif qui court sur des générations, ce ne sont pas des stylistes, des péteux qui font des jolis dessins, mais des gens qui connaissent l’histoire du vêtement, le pourquoi, le comment : des modélistes, des détaillants, des passionnés spécialistes comme cette autre figure du beau fringue qu’est Stéphane, de la place du Docteur-Félix-Lobligeois (je ne sais pas s’il officie toujours), rival de Fournier à qui j’achetais déjà des chaussures de la marine américaine aux puces de Saint-Ouen aux débuts des années 1980, et chez qui j’ai trouvé plus tard mes plus belles Haris Tweed et Irish Tweed 12 fils, mais c’est un autre chapitre !
Bref, toujours privilégier le savoir-faire au faire savoir. Tout ça reste quand même un truc d’initiés, ça ne s’achète pas, ça demande du temps, des rencontres, de la passion, comme toutes les choses sérieuses ça passe par une initiation !
Pierre Fournier avait aussi été le premier en Europe à vendre des trouvailles de voyage à l’étranger qui ont ensuite été reprises partout…
Oui. À la marge de sa recherche du basic, du pérenne et du permanent, il est le premier à avoir vendu des Birkenstocks par exemple, le premier à avoir vendu des Wallabees, marque rachetée ensuite par Clarks. Il a toujours été pionnier pour dénicher les marques de l’avenir : North Face, Nike, Vans, c’était en premier chez lui… Il a aussi replacé dans notre époque le vêtement de travail classique. Les hipsters des années 1970 qu’on n’appelait pas encore les branchés, portaient du Adolphe Lafont : velours côtelé, cuir passepoilé, veste d’architecte en toile noire, tenue de charbonnier, etc. Mais cette excellente maison, stupidement, a tout sabordé en essayant de « faire jeune » parce que ces vêtements de travail classiques devenaient à la mode… Catastrophe ! Starck aussi, le malin, a essayé d’atteindre à l’indémodable du basic avec ses « chemise-chemises » vendues au catalogue de La Redoute, mais il n’y connaissait rien, il s’est planté. L’idée était bonne, mais il aurait dû engager Fournier ou moi pour ce travail. On peut être bon designer, mais passer d’un domaine à l’autre ne s’improvise pas. Une chemise c’est un nombre de paramètres qu’on n’imagine pas : le pied de col, la forme du col, l’emmanchure, le boutonnage, le poignet, la qualité du coton, pans arrondis ?, pinces ou pas pinces ? Toujours le comment et le pourquoi… Tout se pense et tout est sujet à possible erreur…
D’ailleurs, avez-vous conseillé des maisons de vêtement ?
Parfois. Par exemple Benoît Bartherotte, qui dirigeait la maison Esterel, m’avait engagé pour produire une série de basiques : la canadienne basique, le caban basique, le blazer basique… Des vêtements intelligents, indémodables, qui se vendaient non pas avec un mannequin en vitrine mais avec un petit livret pédagogique, qui expliquait pourquoi le cran se trouve à tel endroit, pourquoi le revers a cette largeur, pourquoi des poches droites ou en biais… Jonction du fonctionnel et de l’élégance discrète. Cela me passionnait mais je ne pouvais pas en faire mon métier à cause du type de gens qui pullule dans ce métier et de la mentalité qui y prévaut. Alors tout ce savoir que j’ai accumulé, au lieu d’en faire une marque, un commerce, je m’en suis servi pour faire fabriquer mes propres vêtements chez les différents tailleurs avec qui j’ai travaillé : Nora, Rovito, Feruck, Djay et un ou deux autres moins connus de la rue de Bièvre et de Lévis… Cela me suffit, même si ça m’a souvent coûté plus que mes économies ! Charles d’Angleterre est hyper pointu en chic anglais classique, je ne lui ai jamais vu faire une faute de goût, (regardez ses photos des années 1970 en pleine débandade hippie), pour nous, dans le genre, c’était un modèle, pourtant il ne lui serait jamais venu à l’idée d’en faire commerce… Il y a l’élégance, le beau fringue, et puis… et puis le schmattes.
À quoi sert le vêtement masculin ?
Un connaisseur m’a dit un jour que le vêtement c’est pour paraître plus beau qu’on est. Il suffit de regarder comment est habillé Cary Grand dans les films d’Hitchcock ou Sean Connery dans les premiers James Bond, voire, plus près de nous, Philippe Noiret ou, plus discrètement, Yves Montant, qui a toujours su s’habiller, pour s’en convaincre… Se sentir à l’aise et avoir de l’allure… pour plaire aux femmes ! C’est la motivation première, même si on s’en détache progressivement pour rivaliser avec les concurrents, un peu comme dans le concours de cartes de visites d’American Psycho, scène d’anthologie !… La course au vêtement peut rendre fou ! C’est pourquoi j’ai un peu lâché… Chez la femme, le vêtement m’intéresse moins. Quand on est hétéro – le vêtement féminin est surtout une affaire de pédé – ce qu’on veut voir chez la femme c’est la réalité sous l’habillage, le maquillage : la vérité du corps… Le reste, talons, balconnets, décolletés… c’est ce que Schopenhauer appelle le « coup de théâtre », l’arnaque de départ pour nous faire plonger… Il y a toujours dans le vêtement de femme cette dimension de racolage comme dans le rouge, comme un rouge à lèvre, des semelles Louboutin (un ancien de la bande du cours Berceau). Rien à voir avec le fonctionnel du vêtement masculin, fait pour courir, se battre, rouler à moto sous la pluie dans un Barbour international ou une Belstaff !
Anatomica a une seule boutique en France mais quatre au Japon. Comme souvent en France, ce sont les étrangers qui comprennent le mieux qui nous sommes et ce que nous faisons, souvent pour en profiter, hélas : ainsi du scientifique Poincaré, de l’économiste Bastiat, du cinéaste Méliès… Les gloires nationales sont souvent ignorées chez elles. Nul n’est prophète en son pays ?
Les Japonais sont ceux qui ont le mieux compris la démarche de Fournier. Ce sont eux les spécialistes mondiaux du sportswear américain des années d’après-guerre qui constituait le sommet des vêtements pour hommes fonctionnels de série, le fameux prêt-à-porter. Eux qui, dès les années 1980, ont racheté les machines américaines abandonnées par les Américains et qui permettaient de produire cette qualité. Si vous voulez acheter un beau jean’s, un beau blouson copiés des modèles américains des années 1950 aujourd’hui, c’est vers les Japonais qu’il faut vous tourner, mais il faut y mettre le prix ! Sinon il y a Uniqlo, qui est dans le même esprit et à petit prix ce qu’il y a de mieux.
En tant qu’amateur de vêtement, vous êtes resté fidèle à Pierre Fournier ?
Tant que j’étais en France, oui. De la fin des années 1970 aux années 2015, je suis allé régulièrement, au moins une fois par mois, en pèlerinage dans ses boutiques, d’abord Globe, puis Hémisphères puis Anatomica (magasin qui comporte trois niveaux de sous-sol réservés aux initiés), histoire de voir ce qu’il avait de nouveau, acheter au moins une pièce et prendre un café avec lui… Des Alden, je dois bien en avoir 20 paires… Et chaque fois, Pierre s’astreint au rituel de te remesurer les pieds, gauche et droit, avec le Brannock, pour vérifier que tu fais toujours un 11C (les puristes ne comptent jamais en 41, 42, 43… ça c’est pour les pantoufles !). En vêtement, j’ai régulièrement acheté chez lui ses vrais Shetlands ras du cou, sans raccord, modèle « Himalaya », tricotés à la main avec des aiguilles courbes, introuvables aujourd’hui. Et si Hémisphères a fini par péricliter, c’est parce que le Sentier le copiait en plus pourri mais moins cher. On se voyait même à Biarritz avec nos épouses quand il y venait en vacances et que j’y résidais. C’est lui d’ailleurs le premier qui a vendu à Paris les pièces de cuir, ceintures et portefeuilles cloutés de chez Laffargue de Saint-Jean-de-Luz… Même le douk-douk que je porte toujours sur moi et que vous pouvez trouver sur Au bon sens, ou les navettes Mongin, c’est par Pierre et chez Pierre que je les ai d’abord découverts. Quand on pousse la logique jusqu’au bout, il faut aussi le bon couteau !
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Premières télés, premiers défilés
Tout savoir sur la création de mode avec Alain Soral !