Délicate période que celle du « grand froid » pour les membres du gouvernement. Bilan du quinquennat oblige, les voici contraints de rendre des comptes sur l’un des rares engagements du candidat Sarkozy de 2007 en matière d’hébergement d’urgence. « Je veux, si je suis élu président de la République, que d’ici à deux ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid », avait-il lancé en décembre 2006, à Charleville-Mézières, devant un public conquis. Cinq hivers plus tard, force est de constater que les belles promesses n’ont pas trouvé de toit politique.
Le bilan humain de la vague de froid qui traverse l’Europe depuis une dizaine de jours ne cesse de s’alourdir. Selon l’AFP, il atteignait, le mardi 8 février, les 470 morts, « toutes causes confondues », la plupart des victimes recensées étant des sans-abri. « En France, cinq SDF sont morts de froid depuis la semaine dernière, indique à Mediapart le président du collectif « Les Morts de la rue », Christophe Louis. La nuit passée, nos équipes de maraude ont appelé les pompiers pour deux cas d’hypothermie. En tout, nous avons dénombré 42 décès de sans-abri depuis le début de l’année, mais personne n’en parle. »
Pourtant, depuis que plus de 50 départements français sont passés en vigilance orange, les membres de la majorité sont bien forcés de s’exprimer sur le sujet. Méconnaissance de la problématique ou difficulté à défendre des résultats que plusieurs études remettent en cause, ils multiplient les déclarations empreintes de gêne ou d’approximations.
Représentant Nicolas Sarkozy lors du grand rassemblement organisé par la Fondation Abbé Pierre le 1er février, Henri Guaino, conseiller spécial du président, a défendu tant bien que mal le bilan de ce dernier : « Il faut tout faire pour parvenir à ce que plus personne ne soit obligé de dormir dans la rue, a-t-il affirmé. C’est un engagement moral, je regrette qu’on n’y soit pas parvenu comme Nicolas Sarkozy l’avait promis. »
Une semaine plus tard, c’est Claude Guéant, qui s’exprimait sur le sujet dans « La Matinale » de Canal + : « C’est clair qu’on n’a pas tout réglé, reconnaissait-il. Des choses ont été faites (…). La pauvreté a reculé en France, tous les chiffres le montrent. » En réalité, tous les chiffres, dont ceux de l’Insee, prouvent le contraire. De même, lorsqu’il assure que la complexité de la situation des SDF réside dans le fait qu’une grande partie d’entre eux refusent « d’aller dans les centres d’hébergement qui ont beaucoup de places », le ministre de l’intérieur prend, là encore, quelques libertés avec les faits.
« On ne peut éluder le fait que des dizaines de milliers de personnes dorment chaque nuit à la rue dans notre pays, peut-on lire dans un rapport parlementaire présenté le 26 janvier par les députés Arnaud Richard (UMP) et Danièle Hoffman-Rispal (PS). A l’issue de nos travaux, et sur le fondement des travaux de la Cour des comptes réalisés à la demande du CEC, nous considérons que le déficit du nombre de places d’hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile (80.000 places pour environ 150.000 personnes sans domicile) implique l’ouverture d’un certain nombre de places nouvelles dans les zones tendues. »
« Il faut attendre qu’il fasse -10° pour que le gouvernement se réveille » Dans son rapport dévoilé le 15 décembre, la Cour des comptes dénonçait déjà les insuffisances et incohérences de la politique lancée en 2009 pour l’hébergement des sans-abri dont « la population (…) s’est considérablement accrue » en dix ans, passant de 85.000 à 150.000 personnes. La même semaine, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), qui pilote l’Observatoire national du 115, rendait à son tour publique une autre étude, révélant que plus de 40 % des demandes d’hébergement faites au numéro d’urgence n’avaient pas été satisfaites en 2010. Des données confirmées par le baromètre sur le 115 de la fédération selon lequel « près de la moitié des appels se sont soldés par une réponse négative » cet hiver.
Dans le Rhône, les non-attributions de places en foyers d’hébergement ont atteint jusqu’à 88 %, selon la Fnars. Cité par Le Monde, Baptiste Meneghin, administrateur dans le Réseau des professionnels de l’urgence sociale, indique qu’à Lyon, 113 personnes ont composé en vain le 115 dans la nuit du 6 au 7 février. La nuit suivante, elles étaient 105 à être comptabilisées « sans solution ». Bien que le secrétaire d’État au logement, Benoist Apparu, ait demandé, le 3 février, aux préfectures de satisfaire 100 % des demandes d’hébergement d’urgence, il semblerait donc que bon nombre d’appels restent encore sans réponse.
Un constat que le président du Samu social de Paris, Éric Moliné, a nuancé dans un entretien accordé au Nouvel Observateur : « A la suite d’une lecture erronée du rapport parlementaire, il a été dit qu’une demande sur deux restait sans réponse. Dans les faits, à Paris, le taux de traitement des appels oscille entre 2/3 et 3/4 », explique-t-il, avant de préciser qu’il « ne faut pas se focaliser sur le nombre de places ».
« Notre analyse ne porte pas sur Paris où le tissu d’acteurs est assez resserré et où il y a un recours massif à l’hôtel, souligne le directeur général de la Fnars, Matthieu Angotti. Par ailleurs, il est vrai que nous sommes actuellement très proches des 100 % de mises à l’abri. Cela prouve surtout qu’il faut attendre qu’il fasse -10° pour que le gouvernement se réveille… »
« Quand on demande aux gens de rappeler deux heures plus tard ou que l’on propose de séparer les couples, ce n’est pas répondre à la demande, complète Christophe Louis des « Morts de la rue ». Et pourtant, ces cas-là ne sont pas comptés comme des demandes non abouties. Ils ont débloqué 16.000 places supplémentaires dans le cadre du plan « grand froid », mais qu’adviendra-t-il des personnes qui ont été hébergées lorsque le temps se sera adouci ? »
Un grand nombre de dysfonctionnements
Outre le manque de places, les responsables associatifs déplorent un grand nombre de dysfonctionnements dans la politique menée par Benoist Apparu : manque de fluidité des parcours, absence de pérennisation des capacités d’accueil, absence de coordination des acteurs, mise en place précipitée du principe du « logement d’abord » au détriment de l’hébergement d’urgence, mauvaises conditions d’accueil de certains centres…
« Quand j’entends Nathalie Kosciusko-Morizet (ndlr – la ministre de tutelle de M. Apparu qui a visité, le 3 février, un centre d’hébergement dans le Val-de-Marne) dire qu’il y a des lits libres dans les centres alors que des personnes ne veulent pas s’y rendre, je ne peux que lui conseiller d’aller à la rencontre de ces personnes… », affirme Matthieu Angotti qui regrette le « manque d’ambition » du gouvernement sur le sujet. « Il y a un véritable désintérêt, confirme Christophe Louis. Le budget de l’hébergement d’urgence s’élève à 1,4 milliard. On voit bien qu’il ne s’agit pas d’une priorité. »
« Cela se ressent dans les différentes déclarations qui sont faites sur le sujet, poursuit le directeur général de la Fnars. Il y a une grande méconnaissance de la situation, à laquelle s’ajoute une volonté de ne pas faire peur aux classes moyennes en leur expliquant que le problème reste marginal et ne concerne qu’une poignée de personnes en situation très précaire. Ils font totalement l’impasse sur le spectre extrêmement varié des publics qui séparent les classes moyennes des personnes les plus fragiles. »
Aux regrets d’Henri Guaino et de Claude Guéant, se sont ajoutés des « couacs » qui n’ont fait que renforcer le brouillard qui entoure la politique actuelle d’hébergement d’urgence. Après Valérie Pécresse qui proposait en décembre dernier à l’Assemblée de puiser dans le Fonds d’aide au relogement d’urgence (Faru) pour équiper les polices municipales de gilets pare-balles, c’est la secrétaire d’État à la santé, Nora Berra, qui a fait parler d’elle en recommandant sur son blog aux sans-abri « d’éviter de sortir de chez eux ». Une maladresse qu’elle s’est empressée de rectifier et qui demeure anecdotique. Reste que le « désintérêt du gouvernement » que dénoncent les associations, lui, ne l’est pas.