Demain, à l’AP-HP, les patients étrangers devront pré-payer
avant que d’être soignés
Précision diplomatique : on ne dit pas « étrangers » mais « non-résidents ». Et on ne dit pas révolution comptable mais « nouvelle politique d’accueil ». L’affaire n’a pas encore fait de bruit. En fera-t-elle ? On la trouve, résumée, sur le site presse de l’AP-HP à la date du 14 septembre. Extraits éclairants si l’on sait traduire le jargon en vigueur dans l’administration :
« À compter du 1er novembre 2016, l’AP-HP met en place une offre de soins publique sélectionnée à partir d’équipes volontaires. L’AP-HP sera en mesure de proposer la prise en charge de 70 pathologies adultes et 40 pathologies pédiatriques standardisées et forfaitisées (forfaits tout-compris réglables en pré-paiement) qui devraient être attractives pour une patientèle étrangère. Ces pathologies sont majoritairement chirurgicales. Dans chacun des 12 groupes hospitaliers de l’AP-HP, un binôme référent administratif/médecin a été constitué afin de suivre au mieux l’accueil de ces patients. »
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Algérie et Arabie saoudite
Il faut ici savoir qu’il existe des patients qui ne sont ni couverts par l’assurance-maladie française, ni bénéficiaires de l’Aide Médicale d’État, ni du dispositif dit de « soins urgents » pour les personnes résidant en situation irrégulière. Elles sont alors redevables de la totalité des frais d’hospitalisation ou de consultation. L’AP-HP a effectué fin 2014 un état des lieux exhaustif de la dette à son encontre des « patients non-résidents ». Une dette due par des particuliers des organismes étrangers publics et privés, des assurances, des mutuelles, des caisses d’assurance maladie ou encore des ambassades.
Bilan au mois de juillet 2016 : de l’argent dû est rentré dans les caisses en provenance d’Algérie et d’Arabie Saoudite (au total la dette des organismes a diminué de 31% en un an, et celle des particuliers entame pour la première fois un mouvement à la baisse).
Lire l’article intégral sur jeanyvesnau.com
Pour illustrer cet article, nous avons exhumé un reportage de Mediapart en date du 4 juillet 2016 à la Timone, l’hôpital public bien connu de Marseille. On y soigne beaucoup d’étrangers, venus en ferry des côtes méditerranéennes. La comptabilité de l’établissement a eu longtemps du mal à récupérer quelques sous de ses opérations, que les médecins défendaient, au nom de l’accès aux soins pour tous.
Faciliter l’accès aux soins des précaires, exclus et migrants : c’est la mission des permanences d’accès aux soins. Ces services aux moyens limités entendent offrir une médecine humaine, qualitative et performante, loin du productivisme usant l’hôpital.
Le journal en ligne d’Edwy Plenel nous apprend comment obtenir cet accès aux soins quasi-gratuit, même quand on est en situation irrégulière :
Elle est en situation irrégulière, mais elle dispose d’une adresse – le centre d’hébergement d’urgence – depuis cinq mois, ce qui lui ouvre le droit à l’aide médicale d’État. Le docteur Grassineau, qui est la responsable de cette permanence d’accès aux soins de santé (Pass), n’est pour elle qu’une première rencontre avec le système de santé : lorsqu’elle aura ouvert ses droits, grâce à l’aide des assistants sociaux du service, elle pourra s’adresser à n’importe quel professionnel de santé, libéral ou hospitalier. Les Pass ont été créées en 1998, en même temps que la couverture maladie universelle (CMU), pour faciliter l’accès aux soins des personnes en situation de précarité. Ce ne sont pas des services hospitaliers destinés aux migrants ou aux exclus, mais elles leur servent de porte d’entrée dans le système de soins français.
Initialement, le système Pass, cette médecine du pauvre, était destiné aux précaires, très nombreux à Marseille : 30% des actifs sont au chômage dans les quartiers Nord, 20% de la population de la ville « vit » du RSA. Mediapart précise que la France compte 450 Pass, que son budget a augmenté (60M€) mais qu’il reste néanmoins insuffisant pour faire face à la misère sociale, à la fracture médicale.
Dernière stat, intéressante : depuis que la tarification à l’acte a introduit la rentabilité dans l’hôpital (et on ne parle pas des 35 heures, qui ont déstabilisé le fragile équilibre de cette structure), les personnels sont sous pression, le taux d’absentéisme a explosé, mais dans les Pass, une majorité des personnels trouve le travail « épanouissant », utile. Le libéralisme n’a pas encore eu la peau des vocations !
Illustration avec cette vidéo (légèrement tremblante) de Caroline Estremo :