À lire Alain Finkielkraut, les milliers de témoignages générés par le mouvement Balance ton porc ne seraient qu’un habile mélange de délation et d’arguments fallacieux pour écarter les questions liées à l’islam.
[...]
« L’un des objectifs de la campagne #balancetonporc était de noyer le poisson de l’islam : oubliée Cologne, oubliée la Chapelle-Pajol, oubliés les cafés interdits aux femmes à Sevran ou Rillieux-la-Pape, on traquait le sexisme là où il était une survivance honnie et l’on couvrait du voile pudique de la lutte contre les discriminations les lieux où il façonnait encore les mœurs. »
Cette phrase a fait beaucoup réagir, et pour cause : le philosophe y opère une déformation assez flagrante des faits. Rappelons leur chronologie : le 5 octobre, le New York Times publie une enquête dévastatrice sur le célèbre producteur Harvey Weinstein, accusé de multiples cas de harcèlement, d’agressions et de viols. À la suite de cette enquête, des femmes américaines lancent un mot-clé, #MyHarveyWeinstein, pour évoquer d’autres harceleurs ou raconter leurs témoignages de harcèlement.
Quelques jours plus tard, le 13 octobre, une journaliste française, Sandra Muller, propose aux femmes de témoigner elles aussi, en utilisant le mot-dièse « Balance ton porc ». Point donc de « campagne » orchestrée par des militantes, mais bien un mouvement relativement spontané, né à la suite d’un scandale outre-Atlantique. En quoi le fait que des femmes témoignent d’expériences de harcèlement ferait « oublier » d’autres cas et notamment ceux que liste M. Finkielkraut ? Mystère.
Quant à ces derniers, ils ne traitent que du phénomène – réel – du harcèlement de rue, qui était aussi évoqué parmi les très nombreux témoignages qu’on a pu lire sur #balancetonporc. Ici, Alain Finkielkraut prend cependant soin de citer uniquement des cas impliquant des populations immigrées (réfugiés à Cologne, migrants à la Chapelle-Pajol, bars de quartier populaire).
Or, les statistiques montrent bien que, si le harcèlement est un fléau, il est faux d’envisager qu’il soit limité à certains quartiers ou populations. Selon une enquête de 2015 menée par le défenseur des droits, 20 % des femmes disent avoir eu affaire à du harcèlement au travail. De même, les cas de harcèlement se produisent pour moitié dans le cadre privé. Concernant les viols, il faut rappeler que plus des trois quarts sont le fait de l’entourage de la victime (conjoint, proches ou famille).