Vingt ans après, on a un peu oublié que des voix d’intellectuels français habitués des magazines et des plateaux de télévision se sont élevées pour soutenir les États-Unis et dénoncer le refus du gouvernement de Jacques Chirac de faire participer la France à une intervention en Irak.
Certains, il est vrai, ne pouvaient s’empêcher de laisser une place au principe de réalité. On ne peut éviter de citer l’omniprésent Bernard-Henri Lévy, l’un des premiers à être monté au front médiatique.
Au fur et à mesure que la guerre se rapproche, le philosophe, sans condamner clairement l’intervention, souligne dans l’hebdomadaire Le Point de la dernière semaine de janvier 2003 « la nécessité — sans jamais tomber dans le piège de l’antiaméricanisme et du pacifisme — de s’interroger à voix haute sur les non-dits d’une stratégie dont on voit de mieux en mieux se préciser les effets pervers ».
Mêmes hésitations chez un autre penseur de la sphère publique, Alain Finkielkraut, qui entre deux envolées sur « le droit international qui laisse les mains libres aux bourreaux » laisse percer la raison :
« Je suis perplexe, écrit-il, à la fois exaspéré par le pacifisme, et inquiet devant cette guerre moralement juste, mais politiquement dangereuse à cause de ses effets possibles, comme la radicalisation des masses musulmanes et l’extension du recrutement pour le terrorisme ».
Beaucoup d’autres n’ont exprimé aucune réticence. Le 14 avril 2003, trois personnalités françaises saluent dans Le Monde l’offensive américaine en Irak, lancée le 20 mars. Le cinéaste Romain Goupil, les philosophes Pascal Bruckner et André Glucksmann (mort en 2015) dénoncent dans une tribune titrée « La faute » la position du gouvernement français qui a refusé de participer au conflit. Paris aurait ainsi « précipité la guerre ». Les auteurs s’indignent également de l’attitude de l’opinion publique, « l’hystérie, l’intoxication collective…l’ambiance quasi soviétique qui a soudé 90 % de la population dans le triomphe d’une pensée monolithique ».
Un cercle de réflexion néoconservateur
Ces trois hommes, outre leur visibilité médiatique, ont jadis appartenu à l’extrême gauche, maoïsme ou trotskisme. Ils ne sont pas seuls. Nos trois signataires se retrouvent au sein du Cercle de l’Oratoire, petit groupe qui relaie la vision du monde des néoconservateurs au pouvoir à Washington. Même s’il récuse l’appellation, le Cercle défend implicitement la doctrine de la « guerre préventive » de George W. Bush et son projet de restructurer le Proche-Orient en lui apportant la démocratie par les armes. Le 15 février 2003, dans Le Figaro, plusieurs membres oratoriens affirment n’avoir « aucune confiance dans la parole de Saddam Hussein assurant n’avoir ni armes de destruction massive ni liens avec les terroristes ». Un copié-collé de l’argumentaire états-unien, dont la fausseté a été rapidement démontrée.
Ces protestataires ont souvent deux points communs : venus de la gauche, ils sont passés à droite. Et ils n’ont pas pour la plupart de véritable connaissance de l’Irak, ni du Proche-Orient en général. Il leur aurait pourtant suffi de lire les véritables experts pour comprendre que l’invasion aurait des suites calamiteuses. Comme le chercheur Pierre-Jean Luizard, grand spécialiste de l’Irak, qui venait en 2002 de publier chez Fayard son livre La Question irakienne, dans lequel il avertissait contre « un faux pas… », « un nouveau conflit dont l’issue est dominée par l’incertitude », auquel « l’ensemble des pays arabes est hostile ». À l’automne suivant, l’historien signera un long article sur les conséquences négatives de l’invasion dans la revue Le Débat. Une revue plutôt classée à droite : l’allégeance à George W. Bush ne se confond pas avec la position dans l’éventail politique classique.
Créé après les attentats du 11 septembre 2001 par un journaliste d’Arte-Info, Michel Taubmann, ancien militant trotskiste, aujourd’hui éditorialiste sur la chaîne israélienne I24News, le Cercle de l’Oratoire se réunit dans le temple protestant de l’Oratoire du Louvre, à Paris, dont la femme de Michel Taubmann, Florence, est la pasteure. Le groupe se donne pour mission de lutter contre « l’antiaméricanisme » et « l’islamisme radical ». Le recrutement est hétéroclite et de niveau inégal. Parmi ses affiliés les plus connus figurent l’historien Stéphane Courtois, des journalistes et écrivains comme l’ancien « mao » Olivier Rolin et Marc Weitzmann, collaborateur du Monde et de France Culture, les universitaires Pierre-André Taguieff, Thérèse Delpech et Frédéric Encel, ou Bruno Tertrais, spécialiste de la recherche stratégique.
On ne trouve pas parmi ces adhérents de compétence particulière sur « l’islamisme », radical ou non, mais plusieurs défenseurs de l’action du Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, jusqu’au complotisme le plus délirant. Tel le documentariste Jacques Tarnero, l’un des animateurs d’une grotesque campagne contre le correspondant de France 2 à Jérusalem Charles Enderlin, que Tarnero accusait d’avoir mis en scène, avec des acteurs, la mort sous les balles israéliennes d’un enfant palestinien, Mohamed Al-Dura, filmée en direct par la caméra de France 2 à Gaza au début de la deuxième Intifada, en septembre 2000.
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