Des dissidents érythréens s’interrogent sur les interprètes auxquels leurs concitoyens font appel lorsque ces derniers demandent l’asile en Italie. Plusieurs d’entre eux seraient en relation avec l’ambassade de l’Érythrée à Rome. Des chercheurs vont plus loin en affirmant que, dans certains cas, ces interprètes ne sont pas de simples traducteurs mais des informateurs au service du parti au pouvoir à Asmara.
« Traduire c’est trahir », selon un proverbe italien. Pour des milliers d’Érythréens fraîchement débarqués en Italie, ce n’est pas qu’une figure de style : plusieurs se demandent s’ils peuvent faire confiance à leurs concitoyens installés de longue date en Italie et qui leur servent d’interprètes. Ces derniers, censés être indépendants, sont régulièrement accusés de collaborer avec les autorités de leur pays d’origine.
Selon le père Mussie Zerai, prêtre catholique et candidat au prix Nobel de la paix pour son rôle auprès des migrants érythréens en Europe, « au moins la moitié » serait en relation avec le parti au pouvoir à Asmara (PFDJ, le Front populaire pour la démocratie et la justice) et plus particulièrement la jeunesse du parti. « Certains interprètes sont membres du parti, explique le père Zerai. Ils y jouent même un rôle actif. »
Dans la péninsule, des interprètes italien-tigrinya sont à pied d’œuvre dans les centres où sont accueillis les Érythréens qui débarquent en Italie (plus de 27 000 au cours des deux dernières années, selon l’Organisation internationale des migrations) ou dans les « commissions » qui détermineront s’ils obtiendront l’asile politique en Italie.
Des « médiateurs culturels »
Dans ce processus, où les migrants sont invités à s’exprimer en toute confiance et sous le sceau de la confidentialité, les « médiateurs culturels » (comme on les appelle parfois) jouent même un rôle déterminant.
« Un médiateur culturel peut nous aider à contrôler la véracité d’une déclaration, explique Anis Cassar, un porte-parole du Bureau d’appui en matière d’asile, une agence européenne qui soutient l’Italie dans de domaine. Son rôle n’est pas simplement de traduire des propos mot-à-mot mais de contrôler s’ils sont fondés. »
Plusieurs de ces interprètes semblent pourtant ignorer l’importance d’être indépendants. « Ils ne se cachent même pas ! constate Slid Negash, porte-parole de la Coordination Érythrée démocratique à Rome. Ils mettent leurs photos sur Facebook. Ils parlent de leur rôle dans les rangs du parti au pouvoir. »
Certains médiateurs culturels vont parfois plus loin en conseillant à des demandeurs d’asile de déclarer aux autorités italiennes qu’ils fuient la Corne de l’Afrique pour des raisons économiques et non politiques (la meilleure façon de ne pas obtenir le statut de réfugié). C’est, du moins, ce que certains Érythréens ont répété au père Zerai.
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La France, l’Allemagne et la Suisse n’y échappent pas non plus, selon le père Zerai. Cela teindrait parfois à des considérations pratiques : lorsque des Européens sont à la recherche de traducteurs ou d’interprètes, leur réflexe est de contacter l’ambassade, y compris dans le cas de l’Érythrée. « Quand on lui demande un interprète, c’est évident que l’ambassade enverra un des siens », soutient Don Mussie.
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Les renseignements obtenus dans la diaspora permettraient, notamment, à Asmara de percevoir un impôt de 2% sur le revenu de ses ressortissants établis à l’étranger. Les opposants assimilent cette pratique à une forme de racket. Le régime dément prélever une taxe sur les expatriés et qualifie cette accusation de « propagande » anti-érythréenne.
Contactée par RFI, l’ambassade de l’Érythrée à Rome n’a pas souhaité s’exprimer.