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Italie : le gouvernement Lega/M5S et la guerre économique USA-Europe

Les annonces fracassantes se succèdent à intervalles réguliers depuis l’annonce de l’accord de gouvernement entre la Ligue du Nord de Matteo Salvini et le Mouvement 5 étoiles de Luigi di Maio ; mouvements qui finalisent actuellement leur « contrat » politique au sujet des réformes à entreprendre et peaufinent la liste des ministres du prochain gouvernement italien. La situation évolue sans cesse mais les fuites sur les négociations laissent déjà entrevoir les points principaux des programmes respectifs du gouvernement commun des deux formations. Programme en réalité sans surprise mais qui suscite déjà une levée de boucliers au sein des institutions euromondialistes et de leurs supplétifs, italiens ou non. [1]

 

C’est qu’il y a comme un léger imprévu : certes un score important de la Ligue et du M5S avait été anticipé mais dans le camp euromondialiste, on espérait diluer les points les plus explosifs de ces programmes grâce à une super-coalition rendue nécessaire par la loi électorale afin d’atteindre une vraie majorité. Il est évident qu’un Salvini – même arrivé devant Berlusconi dans sa coalition de centre-droit – aurait dû mettre de l’eau dans son vin si les transfuges de centre gauche étaient venus lui apporter une majorité. Même problématique pour Di Maio qui, désormais représentant du premier parti d’Italie, aurait probablement dû effectuer une synthèse de son programme, avec encore une fois les forces d’appoints du centre gauche (qui malgré la sanction des urnes, auraient pu de nouveau se retrouver aux affaires). Un scénario un temps évoqué après que les premières négociations avec la Ligue aient échoué. Or, la situation s’est brusquement débloquée au moment même où le Président de la République Mattarella allait proposer un « gouvernement technique » (euromondialiste) plutôt qu’un retour anticipé aux urnes, dans le but de « garantir les accords de réformes pris avec Bruxelles » [2] … Berlusconi levait alors son véto à une alliance de son partenaire Salvini avec Di Maio et commençait ainsi la synthèse « explosive » entre la Ligue et le M5S.

Une alliance qui propose une solution « souverainiste » à l’équation posée par la loi électorale perverse et qui semblait pouvoir n’être résolue que par la solution « technique » déjà prête sur le bureau de Mattarella … Une solution que très peu ont cru possible mais anticipée en France par l’essayiste Michel Drac ou l’économiste Jacques Sapir [3]. Dès lors une question se pose : qui est responsable de ce coup de maître, au dernier moment, possible révélateur d’une volonté de rééquilibrage de la souveraineté nationale ? Existe-t-il un « État profond » italien qui tente de reprendre actuellement la main ? Il est effectivement difficile d’attribuer aux seules personnalités de Salvini (l’anti-euro/pro-russe), de Di Maio l’anti-système ou encore de Berlusconi le mégalomane, ces revirements de dernières minutes. C’est pourquoi nous essaierons ici de regarder ce qui peut être en jeu en coulisse...

 

Les intérêts du capitalisme industriel italien à la manœuvre... avec l’aval des anglo-saxons ?

L’idée d’un « État profond italien » peut faire sourire mais l’Italie, qui n’est certes pas l’Allemagne, constitue toujours la deuxième puissance industrielle d’Europe, une puissance très exportatrice mais freinée depuis l’instauration de l’Eurozone. [4] Les grands groupes industriels du Nord irriguent tout un tissu de PME/PMI, à la manière du modèle allemand, autant d’acteurs économiques qui rêveraient d’un retour à la Lire [5]. Un nord qui constitue une locomotive économique, ancien bastion électoral Berlusconien, qui bascule aujourd’hui vers la Ligue, suivi de près par les wagons du Sud qui ont quant à eux voté massivement M5S, récupérant au passage les abstentionnistes. Deux nouveaux partis émergent ainsi sur les ruines des anciens : la Ligue, qui incarne la révolte fiscale de la classe moyenne du nord préoccupée d’autre part par le déferlement migratoire et l’insécurité galopante ; le M5S qui capitalise quant à lui sur les déçus de la politique, en promettant d’incarner l’anti-système comme l’illustrent ses discours anti-corruption, sa volonté de réduction des coûts et ses promesses de moralisation de la vie politique. Lors de la campagne électorale et ensuite durant les tractations pour la formation du gouvernement, les deux partis vainqueurs ne se sont épargnés aucun coup et l’on voyait mal comment le « contrat de mariage » allait s’établir. Si bien que lorsque la deadline fixée par Mattarella pour la constitution d’une coalition de gouvernement fut franchie, rien ne semblait plus faire obstacle à l’option d’un « gouvernement technique » provisoire, solution bien vue par Bruxelles, donc par Berlin. Mais, au même moment, Trump annonçait quant à lui la remise en cause de l’accord Iranien ; dans la foulée la Ligue et le M5S demandaient 24h supplémentaires afin de finaliser un accord puisque Berlusconi déclarait ne plus s’opposer à l’union de son partenaire Salvini avec le tant honni mouvement « justicialiste » fondé par Beppe Grillo afin d’obtenir une majorité. Comment un tel revirement, d’un gouvernement technique européiste à un gouvernement d’alliance entre populistes et souverainistes a-t-il pu se produire et sous quelles impulsions ?

L’énième potentielle pénalisation économique des grandes entreprises italiennes en Iran semble avoir été l’un des facteurs déclencheurs du brusque revirement politique : l’Italie en est le premier partenaire européen avec un très gros potentiel d’échange en perspective, près de 30 milliards d’euros [6]. Un coup de massue qui intervient après la perte de la Libye et le conflit en Syrie ; une perte qui met en difficulté le groupe énergétique stratégique ENI, présent sur tous les gros gisements de la planète. Avec l’Iran, l’Italie semblait avoir trouvé une solution pour l’approvisionnement énergétique. Autre sujet crucial, les sanctions contre la Russie ; Russie où les grands groupes italiens sont très présents et particulièrement ENI [7]. Jusqu’à présent l’Italie avait grogné mais ne pouvait pas se plaindre d’un manque de représentativité dans les institutions européennes : Mario Draghi à la BCE, Antonio Tajani à la présidence du Parlement Européen, Federica Mogherini haut représentant des Affaires étrangères européennes, Emma Marcegaglia passée de la présidence de Confindustria – « MEDEF italien » – à Business Europe – « MEDEF européen » – qui a pris position récemment sur la question iranienne [8]. Cela n’empêcha cependant pas une nouvelle déconvenue : lorsqu’il fallut attribuer le nouveau siège de l’Agence Européenne du Médicament (qui quittait Londres, Brexit oblige), ce fût Amsterdam qui rafla la mise (cela même sans locaux disponibles) et non Milan avec son fameux gratte-ciel prêt à l’accueillir… [9] Décision jugée scandaleuse qui fit grincer des dents : l’Italie déposa alors un recours mais l’affaire fût attribuée à un juge... hollandais ! Aussi les relations entre Paris et Rome se sont passablement détériorées et pas seulement à cause de l’affaire libyenne : citons les attaques financières françaises sur le groupe Mediaset de Berlusconi et sur TIM [10] ou le contentieux autour de la reprise des chantiers de Saint Nazaire par le grand constructeur naval italien Fincantieri [11]. Un mot d’ordre semble avoir fait son chemin dans les milieux d’affaires italien et c’est le suivant : « Basta ! ». Cela est signifié de manière diplomatique par l’actuel président de Confindustria [12] ou de manière brutale comme cela transparaît du brouillon de contrat de coalition du futur exécutif... Les reproches des milieux d’affaires ont fusé sur les gouvernants en charge à l’époque de la signature des pré-contrats avec l’ Iran [13] : pourquoi ont-ils sous-estimé les signaux de Trump et ainsi engagé les entreprises italiennes malgré l’incertitude ? Ces graves revers successifs mettent en danger la puissance industrielle italienne et on peut imaginer que ses représentants aient conseillé à Berlusconi de faire un pas de côté pour ne plus bloquer l’accord Ligue/M5S. Silvio a même fait mieux (ou pire) : le « trollage » pur et simple (nouvelle méthodologie politique contemporaine depuis la campagne de Trump ?) car après avoir donné son feu vert, il critique déjà le futur gouvernement et propose ses services à Mattarella pour le poste de Premier ministre en tant que rempart pro-européen incontournable contre le populisme ! [14] On imagine l’embarras dans le camp euromondialiste...

Tout cela semble très bien piloté et l’idée générale qui en ressort est la suivante : l’incompétence des bureaucrates italiens incapables de défendre les intérêts économiques vitaux de l’Italie nécessite une reprise en main de la situation. La sensation c’est que l’Italie prend acte du contexte contemporain d’une guerre économique globale et décide de se « réarmer ».

Voici les profils des ministrables qui gravitent autour de l’accord Ligue/M5S : si Salvini se réserve l’Intérieur et Di Maio le ministère du Travail, les autres noms évoqués sont : Giampiero Massolo, ex-Fincantieri et ex-chef des Services secrets pour la « Farnesina » (Affaires étrangères) [15] ; Paolo Savona, ancien président de Confindustria et ancien ministre de l’Industrie, en poste soit à l’Économie, soit au Trésor. Paolo Savova qui a pris publiquement des positions critiques sur l’euro [16]. Un candidat fortement souhaité par Salvini qui est attentif à tous les points de vue anti-euro, nombreux dans la Ligue (Claudio Borghi, Alberto Bagnai). Un consensus se dégage autour du juriste Giuseppe Conte pour le poste de Premier ministre. Di Maio a loué le fait qu’il soit issu de la société civile et Salvini promet aux entreprises italiennes (petites et grandes…) qu’il est un adepte de la simplification bureaucratique [17]. Si le reste des ministères doivent se distribuer de manière homogène entre la Ligue (qui vise aussi l’agriculture et la défense) et le M5S (qui se réserve la justice et les infrastructures), les critiques émises par Mattarella, aligné sur les positions européistes, envers certains des profils évoqués sont révélatrices de cette confrontation à haut niveau pour un changement de cap, avec renégociations tous azimuts des traités et remise en cause des sanctions contre la Russie.

Un peu à l’image de ce qui s’est passé en Amérique avec l’élection de Trump (toutes proportions gardées), nous assistons à une sorte de coagulation qui voit le capitalisme industriel italien prendre appui sur la révolte des classes moyennes afin de défendre ses intérêts vitaux et stratégiques. Des classes moyennes et productives désabusées par la caste politique italienne qui l’étrangle depuis des années par l’impôt et joue contre elles avec l’immigration sauvage et l’insécurité. Une évolution que l’on peut juger positive du point de vue souverainiste mais qui ne doit pas faire oublier qu’un autre niveau de décision chapeaute ces évolutions. Les rares prurits souverainistes survenus ces soixante dernières années dans la péninsule se sont toujours très mal terminés : Enrico Mattei patron de l’ENI mort dans un accident d’avion (à la manière de Christophe de Margerie, l’ancien patron de Total) ; le coup d’État avorté du Prince Borghese ou encore Bettino Craxi après l’affaire de Sigonella. La politique italienne d’après 1945 est surdéterminée par les intérêts de Londres et de Washington : plus qu’un vassal à souveraineté limitée, il s’agit d’un pays vaincu et occupé militairement par officiellement 59 bases US [18]. Difficile dans ces conditions d’imaginer que l’accord Ligue/M5S ait pu se faire sans le consentement de Washington. La City de Londres, conditionnée par son Brexit, suit aussi de très près la situation italienne et pourrait éviter de déclencher une tempête financière comme celle qui emporta Berlusconi. [19] [20]

Des ministrables proviennent du réseau industriel italien Confindustria mais sont aussi inclus dans les cénacles d’influence globaliste comme la Trilatérale pour Massolo (nomination qui n’enthousiasme pas Salvini) [21] ou encore l’Aspen Institute (dont le financement dépend des fondations Rockefeller et Ford) pour Savona [22]. Un scénario d’ensemble prend forme : la remise en cause de l’accord iranien représente une énième pénalisation des intérêts économiques italiens, Washington et Londres donnent en compensation leur feu vert à une remise en cause de la zone euro sous domination Allemande. La liste de l’Aspen Institute Italia [23] est ainsi particulièrement instructive : on y retrouve encore Massolo et Marcegaglia mais aussi Enzo Moavero-Milanesi (ministrable aux Affaires européennes), John Elkan (qui contrôle Fiat-Chrysler , petit-fils de Giovanni Agnelli, lui-même très lié à feu David Rockefeller), le fameux technicien Mario Monti (d’ailleurs responsable à l’époque de la nomination de Massolo aux services secrets) et enfin un nom sur lequel on peut s’arrêter quelques instants : Giulio Tremonti , également trilatéraliste et bilderberger, ancien ministre de Berlusconi dont la présentation de son essai Mundus Furiosus chez les nationalistes-sociaux de Casapound avait fait beaucoup de bruit l’an dernier. Tremonti plaide pour une Europe confédérée avec une redistribution du pouvoir central vers les États tout en gardant une politique commune sur les questions clefs comme la Défense dans le contexte instable de la mondialisation. Discours qui peut être entendu dans certains milieux qui ne se focalise pas sur la « Nation » mais qui adopte, comme le fascisme historique, la vision de la primauté « formatrice » de l’État sur la nation et ses intérêts. Fascisme dont certaines des réalisations sociales objectives ont été étonnamment réévalué au cours de l’année passée par certains médias officiels ainsi que par des personnalités politiques peu suspectes de sympathie envers la droite nationale italienne. Une situation politique inédite se dessine en Italie, situation que l’invasion migratoire de la péninsule est peut-être en train de catalyser.

En définitive, nous verrons jusqu’où ce gouvernement sera accompagné dans la refonte du système italien – un gouvernement issu d’une aspiration légitime d’un peuple au bord du précipice économique et démographique – ou bien s’il sera sacrifié sur l’autel d’intérêts impériaux qui pousseront Rome contre Berlin et Paris, ceci pour le compte de l’anglosphère. C’est tout l’enjeu de ses prochaines années dans la péninsule.

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8 Commentaires

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  • #1974360

    L’article parle de "la loi électorale perverse" des Italiens, celle qui est basée sur la Proportionnelle ! Par contre le scrutin majoritaire à deux tours qui accorde royalement UN % des députés au FN est évidemment équitable !! Quelle stupidité .

     

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  • #1974400
    Le 27 mai 2018 à 19:30 par M. De La Mélasse
    Italie : le gouvernement Lega/M5S et la guerre économique USA-Europe

    La piste anglo-saxonne de Pierre Antoine est confirmée deux fois.

    Tout d’abord, on trouvait ceci dans la presse il y a quelques mois :



    Depuis septembre, il multiplie les voyages à l’étranger, soucieux de donner du crédit à un mouvement jusque-là connu pour ses accents contestataires. Après Washington où il endosse un quasi-costume de Premier ministre et rencontre des dirigeants d’entreprises italiens et américains, le candidat se rend à Londres pour rassurer la City. « Nous dialoguerons avec l’UE, nous ne voulons pas sortir de l’euro »

    L’Opinion de Nicolas Beytout, 6 mars 2018



    En outre, il faut voir le budget joyeusement déficitaire proposé par la coalition. Si on est prêt à dépenser 100 milliards qu’on n’a pas, c’est qu’on a déjà contacté le bailleur de fonds. Et si le bailleur de fonds a dit oui, ou plutôt all right, c’est que ça l’arrange aussi.

     

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  • #1974407
    Le 27 mai 2018 à 19:39 par Ça devient Chaud
    Italie : le gouvernement Lega/M5S et la guerre économique USA-Europe

    l’Italie comme la France et même l’Allemagne n’oseront jamais se confronter aux États-Unis d’un point de vue économique de 1 parce que le marché américain est le plus important pour leurs entreprises et que le gouvernement US peut leur fermer les portes du marché n’importe quand, de 2 parce que les entreprises européennes sont pour beaucoup financés par des banques et financiers américains mais aussi que les banques européennes elles mêmes sont presque toutes liés ou ont des financements sur le marché financier américain. De 3, même une entreprise qui n’a aucun lien avec le marché de consommation et financier américain directement ou indirectement, utilise VISA/Mastercard, SWIFT.....
    et finalement de 4, l’extra-territorialité du droit américain qui peut mettre en faillite avec des amendes et pénalités les entreprises de leurs laquais.

    Du coup ceux qui n’ont pas encore compris que l’Europe est une région de l’Empire US avec des provinces....
    francophone(France), germaniques(Allemagne, Pays-Bas, Autriche), franco-germanique(Belgique,Suisse), hispaniques/latins(Italie, Espagne, Portugal), slaves(Pologne, pays Baltes, Ukraine etc..) etc...
    De même dans la région Asie avec des provinces, japonaise, coréenne, australienne, taïwanaise etc...
    Et c’est pareil en Amérique du Sud avec la Colombie, l’Argentine, Brésil ou bien au moyen-orient avec la Jordanie, l’Égypte, l’Arabie, les Émirats, Maroc etc...
    l’Empire US ce n’est pas simplement les États-Unis mais sa regroupe toute leurs régions/provinces qui sont sous domination militaro-financière totale.

     

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  • #1974985

    Les élections sont une sorte de grande bouffonnerie, le système n’a pas besoin de ça pour asservir tout le monde. Les élections c’est juste le folklore qui laisse penser aux esclaves qu’ils ont leur mot à dire

     

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