Christophe Hondelatte a réalisé une série de documentaires de qualité sur les grandes affaires criminelles contemporaines qui ont choqué et passionné les Français. Quels romans que nos crimes, écrivait Boudard : le mystère du crime est tel qu’on n’aura jamais fini de le comprendre.
Remplacé à l’émission politique du soir de RTL par le médiocre Fogiel, puis remplacé dans sa série criminelle par une journaliste de France Télévisions, Hondelatte nous a laissé de belles pistes de réflexion sur des faits divers dramatiques.
Tout le monde ou presque a entendu parler de ce faux médecin travaillant dans les instances internationales en Suisse (OMS) qui a menti pendant 18 ans à son entourage familial, amical et professionnel. Le jour où les doutes ont été trop grands pour ses proches, où plus rien ne collait avec la réalité, il les a éliminés, enfants compris. Quelle leçon tirer de ce massacre le jour où la justice lui a accordé un bon de sortie, après 25 ans de prison ?
Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en juillet 1996 pour l’assassinat de sa femme, ses enfants et ses parents, Jean-Claude Romand vient de se voir accorder une libération conditionnelle par la cour d’appel de Bourges. (Le Figaro)
Une « réussite » personnelle partagée...
Nous ne sommes pas ici pour juger la décision de justice, même si elle est très impopulaire. Les Français dans leur grande majorité ne comprennent pas comment on peut remettre en liberté l’homme qui a assassiné sa femme, ses parents et ses deux enfants. C’est une question morale à laquelle nous n’avons pas de réponse, mais sur la question du mensonge, c’est-à-dire des valeurs, une réflexion est possible.
Nous avons d’abord comparé deux criminels avérés, dont l’un vient de disparaître : Patrick Henry. Parfois, étudier un sujet seul ne suffit pas, il faut le comparer ou le replacer dans un contexte. Patrick Henry, lui, n’a pas menti pour tuer, il a tué et il a menti aux enquêteurs, poussant le vice jusqu’à pérorer devant les caméras de télévision pendant que la police cherchait l’assassin du petit garçon... Il a enlevé pour l’argent, et tué pour l’argent... qu’il n’obtiendra jamais. C’était un bon fils, lui aussi.
Ayant déjà travaillé sur le cas Patrick Henry, nous savons que le vice est un élément à ne pas négliger. Le vice est l’absence de ces valeurs communes aux hommes de bonne volonté, pourrait-on dire. Chacun a en lui un mélange unique de vices et de vertus, pour simplifier. Chez quelques uns, les vertus se résument à rien : on les appelle des criminels, et personne ne sait trop quel gène a foiré. Le jeune Patrick Henry, par exemple, a été couvé par ses parents. Même chose pour le jeune Jean-Claude Romand, qui ne supportait pas l’échec, et à qui tout était pardonné. Peut-être que deux ou trois gifles... pensent certains. Mais rien n’est moins sûr !
Ceux qui ont vu le documentaire ont compris que le jeune Romand s’est enfermé très vite dans un univers auto-rassurant de mensonges : en mentant à son entourage, et entourage proche, qui était lui sans vices (ses parents), tout amour et pardon, Romand s’est scindé en deux. Il y avait le Romand réel, en échec social et personnel de plus en plus patent, et le Romand de légende, à qui tout réussissait. El les deux Romand se sont disjoints pendant des années, jusqu’à ce que la duplicité soit découverte, et « nécessite » un traitement radical : éliminer les témoins de la disjonction.
Romand a ainsi produit une désinformation durable autour de sa personne réelle, dans le but de profiter d’une réputation de réussite alors qu’il s’enfonçait dans l’échec. La distance grandissante entre les deux Romand peut s’appeler schizophrénie, ou folie, ou autre chose, mais elle est manifeste. Elle ne justifie pas d’assassiner ceux qui risquaient de découvrir le vrai Romand, dissipant ainsi en un éclair la légende, le grand Roman(d). Le petit Romand, lui, a mis des années à produire un monstre social crédible.
Quand la désinformation tue
Les psychiatres se sont cassé les dent sur le cas Romand, que nous ne prétendons pas comprendre, mais tous ceux qui ont menti un jour savent le coût et les conséquences d’un mensonge fondamental : il faut dès lors le nourrir pour qu’il tienne, et il a de plus en plus faim... de mensonge. Le mensonge appelle le mensonge, et finit par détruire toutes les valeurs ou vertus qui pouvaient encore cohabiter chez le menteur. Or la différence entre Romand, menteur absolu, définitif, radical, et un individu normal qui se sort d’impasses morales par de petits mensonges (CV trafiqué, épouse trompée, collègues impressionnés) c’est la limite, celle qui sépare le fossé du gouffre, celui dont on ne revient pas.
Romand a basculé dans le gouffre du mensonge, qui force à mentir de plus en plus. Cet homme a produit tant de désinformation qu’elle est devenue sa seconde nature, qu’elle s’est pétrifiée. À la fin, il ne devait même plus faire attention, tant le mensonge était devenu sa nature, remplaçant sa première nature. Au fait, pourquoi Romand mentait-il ? Pour cacher ses échecs répétés aux examens de médecine, ses fausses années d’études et son faux diplôme, afin de ne pas décevoir ses parents, de modeste extraction, qui avaient de hautes attentes pour leur fils unique considéré comme très doué, en tout cas plus qu’eux.
Les hautes attentes des parents que le fils n’a pas pu combler ont été la première pierre du mal. Mais ce n’est pas la faute des parents, uniquement de l’ambition sociale qui ne sied pas à tous. Cela explique l’agressivité des racailles qui sont en réalité des dominés, les derniers des dominés, la société ne laissant pas de place à ceux qui n’ont pas le bagage culturel nécessaire ou suffisant pour espérer y accrocher une place de choix.
La frustration sociale peut être source de violence. Elle est source de violence. Violence entre l’instinct (de prédation ou de domination) et la morale personnelle, l’instinct ne trouvant pas à se satisfaire à cause justement des murs et interdits sociaux. Là il s’agissait d’une impossibilité, d’un cheval qui n’a pas pu sauter la première haie sérieuse, et qui a passé son temps à contourner les obstacles tout en exhibant de fausses médailles de jumping...
Une réussite personnelle non partagée
En son for intérieur, pour satisfaire son ego, le « raté » Romand déguisé en gagnant (médecin de haut vol) a généré une violence qui a explosé socialement 18 années plus tard, le jour de son Jugement dernier. Qu’on nous pardonne cette tentative de comprendre, mais une chose est sûre, c’est qu’il n’aurait peut-être pas basculé ainsi dans une société qui ne met pas au-dessus de tout la réussite sociale personnelle. Certaines sociétés primitives ne connaissent pas ce biais psychologique qui met l’équilibre de nombreux individus en péril, faisant de certains des psychopathes.
Une étude a révélé que les grands chefs d’entreprise avaient de la graine de psychopathe, ce qui n’étonnera personne. Ces grands dominants sont souvent, outre leur talent spécifique, de grands destructeurs d’entourages. Ceux qui bâtissent un empire le font au détriment de leur famille, de leurs proches. Romand, lui, a bâti un personnage légendaire que tous admiraient mais qui leur a valu la mort, pour six d’entre eux. L’injonction de réussite et d’admiration de la réussite s’est transformée en danger mortel.
Une transition naturelle pour incriminer cette pathologie de la domination qu’on trouve dans l’idéologie du profit, qui conduit une poignée d’hommes en haut et une majorité au cimetière social. Les parents de Romand ont cru qu’on pouvait être heureux en « réussissant » dans la vie, à la manière des normopathes ; l’expérience prouve que la réussite des uns se fait au détriment de la vie des autres, au sens propre et au sens figuré.
Heureusement, il est une réussite personnelle qui ne nécessite par de tuer l’Autre. Malheureusement, elle n’est pas enseigné dans les écoles. Du moins, pas encore. Cela viendra, sinon l’Homme en finira avec son prochain comme Romand a liquidé son entourage, c’est-à-dire en suicide généralisé, les dominants éliminant les dominés.
La désinformation est dangereuse car pour se survivre, on le voit dans le cas de Romand, elle doit « éliminer » ceux qui l’ont décryptée. Le Système fonctionne sur un mensonge : Je suis le bien et ceux qui sont contre Moi sont le mal. Il promet le bonheur à tous mais ne l’offre qu’à une poignée – l’oligarchie –, produisant ainsi une société schizophrénique. Le « bien » est partout, envahit toute la sphère sociale, mais le mal est dedans, et le mal est profond. Le mal doit se réfugier à l’intérieur des êtres. Pourtant, c’est l’injonction du bien qui produit, entre autres, le mal. L’individu qui ne peut se conformer à la norme ambiante – dite « le bien » – est considéré comme mauvais. Le mensonge (ou l’auto-mensonge) peut alors suturer la plaie, pour un temps. Car la plaie ne va en s’élargissant.
L’injonction de réussite économique de notre société de consommation, fondée sur le profit, et donc la domination, c’est-à-dire que la fabrique de dominants (Ghosn), produit des déchets qu’on appelle les dominés. Cette injonction constitue une violence faite à la plupart des individus, pas forcément capables de l’agressivité des grands prédateurs humains. Certes, il faut survivre, et survivre dans les conditions qui nous sont données. Mais la survie actuelle est déterminée par un ordre supérieur pour lequel ne compte que sa propre survie. On l’a vu avec les deux guerres mondiales, illustrations du pouvoir démoniaque d’oligarchies au détriment de la majorité des hommes.
Une société concurrentielle, dont le principe moteur est la concurrence, la guerre de tous contre tous, et qui produit des dominants et des dominés, des vainqueurs et des défaits, est fondamentalement injuste. Les humains qui s’y plient participent à l’injustice, à l’écrasement des plus faibles au profit des plus forts. Romand n’a pas réussi médecine, un concours difficile, dont les perdants ne se remettent pas toujours. Il existe des moyens moins violents d’organiser la société, mais nous n’y sommes pas encore : le cerveau reptilien a encore de beaux jours devant lui. Mais des expériences basées sur l’entraide et non la guerre intraspécifique apparaissent ici et là.
Les maths, sur lesquels la sélection sociale se fait aujourd’hui (hier c’était le latin), peuvent être enseignés de manière collaborative et non concurrentielle. Il y aura bien sûr toujours des forts en maths, mais il n’est pas nécessaire d’en dégoûter les faibles.
Les classes inversées :
La méthode de Singapour
La pédagogie Baruk
Alors, les crimes de Romand sont-ils les crimes d’un « raté » du point de vue de la société ?