La montée en puissance de l’Asie affaiblit le modèle du marché libre occidental, affirme le journaliste Craig J. Willy sur son blog de la London School of Economics.
Si l’Europe ne parvient pas à faire preuve de cohésion pour convaincre les autres pays de respecter les principes juridiques et commerciaux, elle sera contrainte de s’adapter au modèle de développement est-asiatique, écrit-il.
✔ L’UE est un non-état complexe, et inégal constitué de 28 États membres. Comme le consensus large est nécessaire pour la prise de décisions et leur mise en application, celles-ci sont trop bureaucratiques, trop lentes, et l’UE est incapable de mener des actions décisives. Les traités privilégient toujours le libre échange. En réalité, dans la pratique, la politique économique européenne n’est pas vraiment libérale, mais plutôt un mélange étrange d’interventionnisme et de laissez-faire (un modèle social solide et un marché du travail très réglementé coexistent avec l’ouverture des frontières, le libre échange et la libre circulation des capitaux).
✔ La Chine est un État-nation centralisé et autoritaire avec une politique économique qui reflète l’idée le modèle de développement Est-asiatique du capitalisme d’Etat corporatiste et protectionniste. La Chine d’aujourd’hui est caractérisée par la planification stratégique étatique, la manipulation des devises, les contrôles de capitaux, le mépris du concept occidental de propriété intellectuelle, les incitations à l’exportation ainsi que les subventions aux « fleurons nationaux ».
✔ Les relations économiques entre la Chine et l’UE peuvent être décrites par ce que le sociologue français Jean Todd appelle la « mondialisation asymétrique », qui se définit par des ouvertures inégales et des déficits commerciaux chroniques et insurmontables.
✔ L’Europe a enregistré un déficit commercial de 146 milliards d’euros (1,13% du PIB) avec la Chine l’année dernière. Ce chiffre masque cependant d’importantes différences de situation entre les Etats membres : l’Allemagne a enregistré un excédent commercial de 4,3 milliards d’euros, tandis que la France a enregistré un déficit de 4,7 milliards d’euros, l’Italie, de 8,3 milliards d’euros et le Royaume-Uni, de 13,6 milliards d’euros.
Ce cas de mondialisation asymétrique n’est pas supportable pour l’UE, et les déséquilibres entre les échanges devront se résorber, soit par la baisse des importations européennes, soit par l’augmentation des exportations européennes. Mais l’UE semble incapable de forcer la Chine à pratiquer un « commerce libre et équitable », ou même de poursuivre une politique commerciale ou monétaire cohérentes.
A cet égard, l’épisode des panneaux solaires est tout à fait révélateur. La Commission européenne a imposé des droits de douane à l’importation modérés sur les panneaux solaires chinois subventionnés, la Chine a « divisé pour mieux régner », en imposant une taxe sur les vins français et en mettant la pression sur l’Allemagne. Les Allemands ont critiqué la décision européenne, la solidarité européenne a volé en éclats, la Commission a fait marche arrière.
Les relations commerciales entre l’UE et la Chine témoignent de l’antagonisme de deux extrêmes de l’ère de la mondialisation : la passivité de l’ouverture et de la primauté du droit contre le protectionnisme actif, et le dirigisme. Juste au moment où l’Europe adopte la mondialisation et met fin à l’État-nation, le géant chinois est apparu avec un modèle économique privilégiant le protectionnisme et le rôle de l’Etat dans la vie économique. La grande taille de la Chine implique qu’il ne sera pas possible de lui imposer des diktats.
Comme les Etats-membres ont été privés de leurs pouvoirs économiques, et qu’aucune action de niveau européen n’est possible, l’Europe est pieds et poings liés, et elle est appelée à changer pour s’adapter, ou bien en revenant aux Etats-Nations, ou bien en développant sa cohésion. Mais la Chine pourrait aussi choisir d’adopter plus de normes du modèle occidental.
On peut aussi imaginer que le modèle occidental va s’affaiblir, et que la Chine, qui développe de plus en plus d’alliances avec les autres pays émergents (La Banque de Développement Asiatique, une potentielle Banque des BRICS, ou l’Organisation de Coopération de Shanghai en sont des exemples) va de plus en plus imposer le sien.
« Tout suggère qu’il s’agit du siècle asiatique, et qu’au cas où la Chine se rangerait aux principes commerciaux et juridiques atlantiques, ce serait par choix délibéré. D’une manière ou d’une autre, c’est l’Europe qui devra changer, ou bien en parvenant à la cohésion pour forcer la Chine à respecter les principes occidentaux ou en s’adaptant au modèle de développement est-asiatique », conclut Willy.
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