« Chercher à restaurer ou à copier ce qui est confiné dans le passé est de la naïveté, mais une intégration, mais une étroite intégration sur des bases économiques et de nouvelles valeurs est un impératif des temps » c’est ainsi, commente Francesca Malizia, que Vladimir Poutine aborde le sujet de l’Union Eurasiatique, un des piliers de sa campagne électorale et de son prochain mandat présidentiel. L’intention de l’actuel premier ministre semble toujours davantage celle de bâtir un grand projet, au travers duquel la Fédération de Russie puisse retrouver son rôle dans les relations internationales, conforme à l’esprit qui depuis toujours distingue les leaders et l’histoire russes. Cette volonté d’être les protagonistes de l’histoire s’est figée dans le passé au lendemain de l’écroulement de l’URSS. M. Poutine a su la récupérer grâce à une attitude ambitieuse et en même temps réaliste.
Cette Union Eurasiatique représente le dernier des instruments de coopération internationale que la Russie projette de créer pour n’être pas marginalisée par la prépondérance états-unienne qui tente d’exercer sa puissance d’attraction sur le reste de la région eurasiatique, tout autant que par la puissance économique de Pékin, laquelle, ce n’est pas par hasard, est déjà liée par l’Organisation de Coopération de Shanghai. Il semble toutefois erroné d’étiqueter ce projet de Poutine comme une tentative de restaurer l’Union Soviétique. Née comme une union douanière entre la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie, qui en janvier prochain, se transformera en un unique espace commercial, l’Union Eurasiatique est un projet soutenu par les Etats indépendants et sur lequel chacun projette des attentes et des stratégies en partie différentes.
Chacun des sujets de droit impliqués, autant les pays membres que ceux qui n’ont pas adhéré, a intérêt en fin de compte à ce que se crée un système de coopération efficace mais « léger », ou plutôt exempte de ces liens idéologiques qui semblent désormais faire partie d’une vision géopolitique dépassée. Le même Poutine, de plus, a toujours marqué son action d’un extrême pragmatisme et l’outil théorético-doctrinaire se révèlerait moins efficient que l’économique ; d’autre part, nonobstant la conscience de la nécessité de relations avec Moscou, l’on ne voit pas pourquoi les Etats nés de l’effondrement de l’URSS, devraient renoncer à jouer le rôle d’interlocuteur actif, qui, il y a à peine plus de vingt ans, leur était refusé.
Entre les trois Etats signataires, la Biélorussie semble peut-être le maillon faible à cause de sa dépendance économique de Moscou, tant au point de vue des flux commerciaux qu’à celui de l’approvisionnement énergétique ; néanmoins ce partage des liens culturels, économiques et politiques pourrait rendre la coopération encore plus avantageuse. La présence de Minsk, en outre, « amarre » le groupe à l’Occident, et peut servir de pont pour attirer les pays d’Europe orientale, l’Ukraine en premier.
Astana, capitale de Kazakhstan, pour sa part, représente pleinement l’esprit des ex-républiques soviétiques : forte de ses propres ressources et de la stabilité interne annexe, la classe dirigeante kazakhe conduite par Nazarbayev a mis en place à temps la réalisation des formes de coopération dans la sphère eurasiatique, grâce auxquelles on dialogue avec Moscou sans tomber dans la subordination. Le président kazakh est le premier partisan de la création d’un espace économique commun dans lequel non seulement est écarté le rôle du dollar dans les transactions, mais aussi sont unifiés les liens énergétiques.
Jadis l’Union douanière avait marqué une modification quantitative et qualitative des échanges : les autres cinquante traités qui en constituent l’ossature prévoient l’adoption de taxes externes communes, l’uniformisation de règles relatives aux contrôles et aux procédures douanières, mais, avant tout, la création d’organes exécutifs comme la Commission pour prendre des décisions, en vérifier le respect et résoudre les controverses qui devraient surgir dans leur application.
Il y a une volonté de créer, en partant de cette structure, un espace dans lequel les marchandises, les capitaux, les travailleurs et les étudiants puissent se déplacer librement, afin d’attirer des investissements et des innovations ; cette zone est désormais l’objet d’un intérêt toujours plus grand de la part des investisseurs étrangers occidentaux et ce n’est pas un secret que le rêve de Moscou serait de pouvoir étendre la coopération économique jusqu’à l’Union Européenne. D’autre part, il s’avère à l’UE que l’Union Eurasiatique semble s’inspirer du développement de ses propres étapes. Face aux échecs de Bruxelles, les élites eurasiatiques, comme l’a déclaré le ministre même de l’économie et du commerce russe, Victor Khristenko, disposent aussi de la possibilité d’intégrer leur politique économique et financière de façon à éviter l’impasse dans laquelle aujourd’hui l’Europe semble piégée.
Avec la création de l’espace économique commun (1 janvier 2012) s’enrichit ultérieurement la structure coopérative : entre les Etats, avec un PIB global de 2000 milliards de dollars et un secteur industriel évalué à environ 600 milliards de dollars, s’ils s’associent sur la base du respect des principes d’égalité, de non ingérence dans les affaires intérieures, de la souveraineté et de l’inviolabilité des frontières nationales. L’intégration progressive se manifestera aussi au moyen de la création d’organismes supranationaux opérant par consensus, mais surtout au travers d’initiatives de la part des entreprises, pour lesquelles ce processus représente un grand défi en termes d’adaptation et de compétitivité dans la société civile, le monde scientifique et culturel. Mais l’attention des analystes est moins fixée sur le status quo actuel que sur le fait que l’Union Eurasiatique, une fois institutionnalisée (en 2015, selon les objectifs russes) sera en mesure de figurer dans le contexte international, surtout en ce qui concerne ses perspectives d’élargissement.
Si l’adhésion du Kirghizistan et du Tagikistan semble déjà proche, une des articulations fondamentales sera de vérifier la capacité de soustraire l’Ukraine à la sphère de Bruxelles. Un des piliers de l’Union sera le marché du gaz et pour Kiev il est d’une importance essentielle de trouver des accords adaptés, come l’ont enseigné les événements des dernières années. Toutefois, sa proximité du front oriental pourrait être dictée aussi par d’autres raisons : dans la population ukrainienne, et pas seulement dans la minorité russe, va croissant le mécontentement contre l’Union Européenne qui a appuyé son détachement de Moscou pour ensuite la laisser seule en subir les conséquences : qu’il suffise de penser aux accords énergétiques bilatéraux avec la Russie patronnés par Berlin, propre aux années dans lesquelles les crises du gaz s’aggravent toujours davantage.
Kiev en définitive se trouvera devoir préférer l’option qui réponde le mieux à ses exigences nationales, étant donné que, d’un côté, le pays est guidé par le président philorusse Yanukovich et que, de l’autre, l’Union Eurasiatique n’a pas l’intention de se mettre en contradiction avec Bruxelles, mais bien au contraire d’offrir une alternative qui n’exclue pas le dialogue et la coopération avec l’Europe. Ce n’est pas par hasard, qu’il y a quelques mois le gouvernement russe a souhaité la création d’une macro zone [macroaera, grand espace] de coopération économique qui aille de Lisbonne à Vladivostok ; idée qui, pour le moment semble prématurée, mais qui, de toute évidence, comme les scénarios auxquels Moscou veut s’opposer ne sont pas à chercher dans le Vieux Continent, mais dans le Nouveau.
Sans sous estimer, en outre, le potentiel d’attraction d’un pays comme le Kazakhstan qui, ces dernières années, a su tisser une riche toile de rapports autant en Occident qu’en Orient. Ainsi, par exemple, entretenir d’excellentes relations avec la Turquie, avec qui la rattache la participation au Parlement des pays turcophones, qui représente une des nombreuses questions irrésolues de l’Union Européenne et qui pourrait de ce fait s’orienter vers un nouveau partenariat.
Astana représente aussi un point de référence pour les « Stan Countries » centrasiatiques, désireux de se mesurer activement avec les puissances régionales, c’est-à-dire en cherchant à maximaliser le potentiel de ses propres ressources (hydrocarbures, positions géographiques, force de travail) sans tomber dans les vieux schémas de l’hégémonie. Sur le front oriental, en revanche, s’intensifient toujours davantage les échanges avec la Chine vers laquelle s’exporte une majorité d’hydrocarbures, surtout à travers le Turkestan oriental et le Xinjiang, zones d’importance géopolitique essentielle. A ce sujet le philosophe et politologue Alexandre Dugin estime fondamental, pour le succès de l’Union Eurasiatique, la possibilité de créer deux axes de coopération, celui de l’UE-Eurasie et de celui de Chine-Eurasie. Ces trois réalités, en fait, représentent trois systèmes politiques et éthiques profondément différents, qui néanmoins pourraient profitablement interagir : pour l’Union Eurasiatique, par exemple, cela signifierait accéder plus facilement à la haute technologie, au savoir-faire industriel, au processus de développement technologique et à un marché aux dimensions importantes.
Dugin, en outre, range l’Union Eurasiatique à l’intérieur d’un schéma multipolaire des relations internationales aussi différent du monde global, caractérisé par l’absence de pôles, que du monde unipolaire, dirigé par l’hégémonie états-unienne. Dans ce nouveau scénario géopolitique le rôle du pôle eurasien serait précisément d’interagir avec l’Europe et la Chine, afin de limiter l’immixtion de Washington, comme la constitution d’un partnership stratégique au détriment des intérêts des acteurs régionaux.
Francesca Malizia pour la revue géopolitique « EURASIA »
Traduction Pierre Dortiguier
Lauréate italienne, titulaire du prix des relations internationales, à sa sortie des Sciences politiques de 2011, Francesca Malizia, a fréquenté le collège fameux de la Sapienza de Rome lequel organisait les 12 et 13 décembre derniers une rencontre universitaire russo-italienne.
La revue géopolitique Eurasia est dirigée par le spécialiste en langues finno-ougriennes, romaniste et latiniste, patriote musulman italien et champion de l’Eurasie, - au patronyme si illustre dans la série des martyrs républicains anti-impérialistes d’Italie victimes du terrorisme -, M. Claudio Mutti.