Qui connaît Sarah Grappin ? Personne. Mais aujourd’hui, grâce à L’Obs (en régime MeToo, chaque canard trouve sa violée rétroactive, sa « survivante »), elle est devenue célèbre, et ce, 30 ans après avoir tourné, dans tous les sens du terme, avec Alain Corneau.
D’abord, qui est Alain Corneau ? Pour les jeunes qui nous lisent (qui savent lire, donc), Alain se raconte en 2008 devant une jolie catho. Lui qui se dévoile peu dans les médias n’est pas avare de paroles. Le charme, sans doute, de la femme.
Aujourd’hui, le réalisateur et dernier mari de Nadine Trintignant (qui a envoyé balader la plaignante d’un « n’importe quoi ») n’est plus de ce monde, mais Sarah a survécu. Tout a commencé par une histoire, en quelque sorte, d’amour. Ça tombe bien, on est le 14 février, jour de la fête des amoureux.
Nous sommes en 1994, Sarah a 15 ou 16 ans, elle est jolie, fraîche, Alain en a 52, en plein dans la maturité masculine. On laisse la parole à L’Obs pour présenter la plaignante et on revient chez nous.
Dans « Le Nouveau Monde », tourné par Alain Corneau en 1994, Sarah Grappin, 16 ans, joue Marie-José, une grande gigue intense qui enrage de voir son amour d’enfance s’éloigner, attiré par les Américains de la base d’à côté. On est dans les années 1950 à Orléans. Pour retenir Patrick, l’adolescente essaie la colère, la séduction, la jalousie. À la fin du film, tandis que Dany Brillant chante « Redonne-moi ma chance », elle joue sa dernière carte, avant de se résoudre au suicide. Elle embrasse son petit copain comme un animal aquatique. « L’indication de jeu, c’était de lui bouffer ses amygdales, nous dit la comédienne Sarah Grappin, dans un café à Montreuil. Et c’est exactement ce qu’il venait de me faire. »
On résume, parce que l’article est interminable : Corneau offre une pièce en argent à Sarah, il lui demande de l’embrasser entre deux camions régie, et ils se voient dans le dos de Nadine. La journaliste (forcément féministe) de L’Obs nous apprend que Sarah est partagée entre « le dégoût physique du grain de peau » et la sensation d’être « l’élue de l’homme le plus cultivé du monde ». La relation pas encore perverse durera un an et demi.
En contrepartie de ces actes (le mot viol n’est prononcé qu’avec le qualificatif « digital »), Sarah reconnaît qu’elle « se sent moins sotte ». Elle devient une femme en accéléré.
On apprend en passant quelque chose de troublant, qui se rapporte à Marie Trintignant.
En 1999, quatre ans après la sortie du film, le déni règne encore. Sarah Grappin invite Alain Corneau et Nadine Trintignant à son mariage. Le leur a eu lieu un an plus tôt. Au printemps 2003, elle passe les voir, enceinte de sa première fille. Le cinéma l’aime, « Froid comme l’été », de Jacques Maillot, va sortir à l’automne. « J’avais besoin de lui montrer que j’avançais, j’ai eu l’impression de lui avoir dit au revoir ce jour-là. »
L’intuition est bonne. Car la mort de Marie Trintignant, au mois d’août, agit comme un déclic psychique. « Je visionne une interview d’Alain qui parle d’elle, de son rôle dans “Série noire” et… j’ai une révélation. Son regard et le champ lexical qu’il utilise sont identiques à ceux de nos tête-à-tête au Wepler. Dans ce film, Marie joue une fille prostituée de 16 ans qui saute sur Patrick Dewaere. Je comprends que la jeune actrice à la merci d’un homme plus vieux est sa ritournelle, ce qu’il veut filmer. »
L’Obs entre dans les détails de la relation, fait intervenir des témoins, comme pour un procès posthume. Soudain, une phrase de Sarah nous fait sursauter :
« Je me suis raconté une grande histoire d’amour pour survivre. »
« Survivre », « survivante », sont les nouveaux mots de ces femmes qui se découvrent sur le tard victimes d’hommes célèbres. Nous avons retrouvé dans Le Monde une tribune assez incroyable sur ce sujet. Elle émane d’Hélène Frappat, « écrivaine » selon le journal. Pour elle, carrément :
Le reste de l’article est une nazification de l’homme-artiste qui « possède » une muse, un loup et sa victime.
« Le chant du loup est le bruit du tourment qu’il vous faudra souffrir ; en lui-même, c’est déjà un meurtre », écrit Angela Carter dans La Compagnie des loups (Points, 1997). L’écrivaine anglaise, disparue prématurément en 1992, avait entrepris de réécrire Barbe-Bleue, La Belle et la Bête, Blanche-Neige… en adoptant le point de vue de l’héroïne, qui, dans la version traditionnelle, est systématiquement mutique, pétrifiée, opprimée, horrifiée, dégoûtée, épousée, massacrée.
« Épousée », « massacrée », et, allons-y, le mariage comme camp d’extermination des pauvres femmes.
Pourquoi ne pas interdire l’exploitation des jeunes filles dans le cinéma français ? Il faudra, pour que les grands méchants loups ne croquent plus les petites brebis, que seules des actrices majeures, confirmées, mariées et prudes jouent les rôles de jeunes filles ou de putains (on a bien eu pendant longtemps dans le cinéma dit français des juifs qui incarnaient les Arabes). Si possible moches aussi, poilues et obèses, dans le genre Leonarda, histoire d’éteindre toute envie de baiser, pardon, de violer.
Problème : qui va financer ou aller voir ces films ? Parce que sans désir, il n’y a plus de cinéma. De Brague & Korias vous racontent ça dans le dernier ONLI.
À la fin de sa diatribe, Hélène s’envole dans la connosphère.
« Toutes » les femmes, sur l’écran du cinéma qui est la vraie vie agrandie, sont des survivantes. Parce que c’est ça qu’on fait : survivre à notre enfance, et à nos loups. « C’est en vivant bien que nous tenons les loups en lisière », écrit Angela Carter. Son Petit Chaperon rouge éclate de rire quand elle comprend qu’elle n’est « la viande de personne ». « Elle ferma la fenêtre sur le chant funèbre des loups et ôta son châle écarlate, de la couleur des coquelicots, de la couleur de ses menstrues et, puisque sa peur ne lui servait à rien, elle cessa d’avoir peur. »
Conclusion : l’homme est un loup pour la femme.
Bonus 1 : la souffrance des femmes instrumentalisées
Bonus 2 : un masculinicide passé inaperçu
Voyons maintenant une attaque de louve : ce fait divers ne risque pas d’intéresser les féministes, et plus particulièrement les féminicidistes.
Selon Le Parisien, depuis l’arrivée de cette famille recomposée dans le village, en 2021, plusieurs indices laissaient penser que l’homme était victime de comportements violents de la part de sa compagne.
« Je l’entendais souvent hurler sur lui, surtout l’été dernier avec les fenêtres ouvertes : tous les jours elle lui gueulait dessus et pas de petites engueulades, tous les noms d’oiseaux y passaient, avec des menaces », dit un voisin.
Un second riverain, resté anonyme, décrit pour sa part un « brave homme », « gentil, serviable et très discret ». Le logement de la famille était insalubre, jonché d’excréments d’animaux. (BFM TV)