Après qu’une jeune fille de 14 ans a porté plainte pour viol, sa famille, harcelée par des jeunes du quartier, a dû quitter son appartement des Ulis (Essonne). Le père de la victime témoigne.
« Ce que nous vivons est inadmissible, je n’ai pas d’autre mot. » Digne, Lamine*, le papa de Fatou*, n’en est pas moins en colère. A 48 ans, ce père de trois enfants d’origine malienne ne pensait jamais qu’il devrait un jour quitter, dans la panique et la peur au ventre, son logement. C’est pourtant ce qu’il s’est résolu à faire le 4 avril dernier après que des jeunes ont lancé un cocktail Molotov dans le hall de son immeuble.
« Quand j’ai vu la fumée monter dans l’escalier, je me suis dit que nous ne pouvions plus vivre dans ces conditions », résume Lamine.
Quatre jours plus tôt, sa fille avait porté plainte après avoir été violée par une bande de jeunes. En décembre déjà, elle avait déjà subi le même sort dans une cave de la cité. L’une de ses amies a également saisi la justice et cinq garçons âgés de 15 à 17 ans ont été placés en détention provisoire. « Dès que nous avons porté plainte, des groupes de jeunes, parfois des filles, sont venus sonner à l’interphone. Je leur ai dit de s’en aller, que l’on ne voulait parler à personne. Ils sonnaient en continu, j’ai dû appeler plusieurs fois la police. Nous étions barricadés chez nous, nous n’osions plus sortir. »
La veille de l’incendie, une douzaine de jeunes sont encore venus. « Cette fois, ils ont réussi à rentrer dans l’immeuble et sont venus frapper à notre porte. Ils exigeaient qu’on ouvre sur un ton menaçant. » Pour lui, aucun doute : ces pressions avaient pour but de faire retirer sa plainte à Fatou. La seconde jeune fille a été giflée à la sortie de son collège. « Ils nous ont persécutés, mais nous irons jusqu’au bout », affirme Lamine.
En attendant, la famille est hébergée par des amis et des proches à l’autre bout de l’Ile-de-France… « Nous vivons à huit dans un deux-pièces », détaille Lamine. De fait, les trois enfants sont déscolarisés. Leur demande de relogement, de préférence hors du département, n’a pour l’instant pas abouti. « Nous ne pourrons pas supporter de revenir aux Ulis, nous craignons les représailles », explique Lamine, qui, chaque fois qu’il y est revenu chercher des affaires, s’est fait accompagner. Son épouse, elle, n’est pas encore retournée travailler.
Agacé par la « lenteur administrative », le couple regrette aussi l’inaction de la mairie. « La première des choses à faire, c’était de nous contacter et de nous fournir au moins un soutien psychologique. Nous sommes en état de choc », souligne le père de famille. Un traumatisme encore plus vivace du fait de la religion. « Nous sommes de confession musulmane. Pour nous, c’est la honte et l’humiliation pour toute la famille. Mais il était hors de question de ne pas porter plainte : il faut empêcher que cela ne se reproduise, insiste Lamine. Si d’autres victimes se sont tues, je leur en veux. Ces jeunes doivent être punis. Cela ne pourra pas rendre l’honneur à ma fille, mais il faut que justice lui soit rendue. »
* Les prénoms ont été modifiés.