L’histoire secrète du traité de Lisbonne
En mai 2005, la France d’abord, les Pays-Bas ensuite, ont rejeté par voie référendaire le « Traité établissant une constitution pour l’Europe » ou Traité constitutionnel européen (TCE).
José Manuel Barroso fulmine. Si officiellement « une période de réflexion » est décrétée, Barroso charge immédiatement une équipe d’experts de choc de chercher un autre moyen pour imposer les changements souhaités. Et ce n’était pas le plan B. Cette tâche ingrate sera confiée à l’Action Committee for a European Democracy (Comité d’action pour la démocratie européenne, ACED) connu comme le « Groupe Amato », réunissant 16 sages (2 membres de la Commission européenne et quatorze membres du Parlement européen ou hommes politiques chevronnés, capables de s’atteler à la tâche).
Ensuite, lorsque l’Allemagne d’Angela Merkel prend la tête de l’Union européenne en janvier 2007, elle déclare la période de réflexion « close » et en mars, pendant les célébrations du cinquantenaire du traité de Rome de 1957, une déclaration de Berlin est signée afin de donner un nouvel élan à la construction européenne, devant aboutir avant les élections du Parlement européen prévues pour juin 2009.
Le 4 juin, après quelques escarmouches sur l’appellation du nouveau traité, le groupe Amato, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, arrête un texte en français, constitué aux trois quarts de l’ancien Traité constitutionnel. Porté le 21 juin devant le Conseil européen de Bruxelles, et après trois jours de négociations, le texte final, qui correspond largement aux recommandations du groupe Amato, est adopté le 23 juin, suivi de sa signature le 13 décembre par les chefs d’Etats et de gouvernements réunis à Lisbonne.
Qui est donc cet Amato ?
Actuellement ministre de l’intérieur en Italie, l’ancien président du Conseil italien, le socialiste Giuliano Amato fut le vice-président de la Convention qui élabora le TCE. Formé aux Etats-Unis, le Financial Times l’appelle « le politicien italien le plus anglophile », ce qui n’est guère étonnant puisqu’il est un des directeurs de la très anglaise Fondation Ditchley (*) et ancien responsable de la filiale italienne de l’Institut Aspen (**). Comme trois autres sages du « groupe Amato » (Kok, Barnier, Dehaene), Amato fréquente assidûment les conférences du Bilderberg (***). Tout les quatre figurent comme administrateurs du think-tank eurocratique, siégeant à Bruxelles, Les amis de l’Europe (Friends of Europe FOE) qui permet à ce réseau de façonner les débats de l’Union Européenne. Giuliano Amato fut aussi sélectionné en 2004 par Henry Kissinger pour figurer, aux cotés notamment de Felix Rohatyn, comme membre d’une taskforce (groupe de travail) constituée par le Conseil des relations étrangeres de New York (CFR) pour tenter de ressouder une alliance atlantique malmenée par la guerre insensée d’Irak qui avait polarisé la France, l’Allemagne et la Russie contre l’aventurisme américain.
Parmi les membres du groupe Amato : le commissaire européen et ancien ministre des Affaires étrangères Michel Barnier, qui siège également à l’Aspen Institute France ; le professeur allemand et économiste Stefan Collignon ; l’ancien Premier ministre belge et vice-président de la convention Jean-Luc Dehaene ; la commissaire européenne polonaise Danata Hübner ; l’ancien Premier ministre hollandais Wim Kok (membre de l’International Crisis Group de Georges Soros) ; l’ancien gouverneur de Hong Kong Chris Patten ; l’ancien ministre des Affaires étrangères vert Otto Shily ; celui qui se retrouve à la tête du FMI, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances français, le socialiste Dominique Strauss-Kahn ou encore la vice-présidente de la commission européenne et ancienne membre de la Commission trilatérale, la suédoise Margot Wallström, pour ne nommer que ceux-là.
Plutôt le secret que la démocratie
La proximité incontestable de tous ces « experts » avec les clubs, les cénacles, les loges et les think-tanks de « l’anglosphère » explique sans doute leur goût excessif pour le secret et le mensonge, très loin du drapeau démocratique que ces individus aiment tant agiter.
Pour illustrer cet aspect, le site Internet de l’initiative indépendante autrichienne Rettet Osterreich, animé par des professeurs d’universités dont l’ancien ministre de la Justice Klecatsky, présente quelques citations qui disent bien plus que des longs discours.
Selon ce même site, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien responsable de la Banque mondiale et de la BERD, une personnalité supposée plus modérée que Blair pour figurer comme futur président de l’Europe, aurait déclaré en 1999 à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel que « D’abord nous décidons quelque chose, ensuite on le lance publiquement. Ensuite nous attendons un peu et nous regardons comment ça réagit. Si cela ne fait pas scandale ou ne provoque pas d’émeutes, parce que la plupart des gens ne se sont même pas rendus compte de ce qui a été décidé, nous continuons, pas à pas, jusqu’à ce qu’aucun retour ne soit possible... »
Le traité n’est toujours pas disponible comme un seul texte unifié et on peut donc fortement douter du sérieux de ceux qui ont modifié la Constitution française pour ratifier un traité qu’ils n’ont pas pu lire...
En Allemagne, où le Parlement devra se prononcer sur le sujet, le gouvernement s’est contenté, faute de mieux, du travail d’un étudiant qui s’est démené pour compiler l’ensemble des centaines de modifications proposées par le traité en montrant ce qu’elles modifieront par rapport aux traités actuels.
Si les politologues font légion pour juger le traité « indigeste », « embrouillé » et le traitent parfois « d’usine à gaz », tous pensent qu’il ne sera présenté aux populations que sous une forme « lisible » (dite « consolidée ») après sa ratification.
Même Valéry Giscard d’Estaing, qui estime qu’il ne s’agit que d’une « pâle copie » du TCE dont on a bouleversé la cohérence, constate que : « Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte à outils, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels if faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche. »
Cette illisibilité n’est pas le résultat d’une incompétence, mais d’une stratégie délibérée pour tromper les peuples et les gouvernements. Amato en personne a déclaré en juillet 2007 que « les chefs des gouvernements européens avaient décidé que le document serait illisible. Etant illisible, ce ne serait pas perçu comme une constitution, ce qui était le but recherché ».
Et il aurait rajouté : « Chaque Premier ministre -vous imaginez le Premier ministre britannique entrant dans la Chambre des communes déclarant : regardez ceci, c’est absolument illisible ; c’est un traité typique de Bruxelles. Rien de nouveau donc, ça ne mérite même pas d’être soumis à l’approbation populaire. »
En finir avec la souveraineté tout court
Ce que Amato a de commun avec Rohatyn et Bloomberg aux Etats-Unis, c’est la volonté d’en finir avec les Etats-nations. Adeptes de ce que Léopold Kohr formula dans son projet pour la dissolution des nations, ils pensent que la seule méthode pour obtenir ce but c’est le mensonge.
Dans un entretien datant du 12 juillet 2000 avec le quotidien italien La Stampa cité par l’Executive Intelligence Review (EIR) du 11-8-2000, Amato a exhibé son amour pour un retour à un monde féodal. Selon le quotidien, Amato combat tout ce qui s’oppose aux transferts de souveraineté vers les institutions européennes, et s’il admet que ce projet est ambitieux, il « pense que pour surmonter les obstacles, il faut les cacher et les dissimuler. »
Pour Amato, il faut faire croire que cette souveraineté n’est pas remise en question « pour les convaincre de ne plus être souverains. La Commission européenne par exemple, doit faire croire qu’elle agit comme une instance purement technique afin de pouvoir opérer comme un gouvernement, etc. grâce à la dissimulation et en laissant les choses dans le non dit. »
A l’époque, Amato voyait cette tactique comme indispensable pour entrer par la porte étroite, qui fut le sommet de Nice... « Jusqu’à ce jour-là, il faut agir ‘comme si’ », poursuit l’article, car Amato « rêve d’ un monde qui change et qui fait abstraction des rapports de force qui prévalent dans le monde occidental : il souhaite un monde post-Hobbesien, post-souverain, sans hiérarchies. Il semble transporté par cette spéculation mentale, à tel point qu’il en est devenu prisonnier. D’où sa critique des fédéralistes qui pensent que les Etats-Unis d’Europe résulteront des transferts de souverainetés nationales vers des échelons supérieurs d’une souveraineté supranationale. »
Toujours selon La Stampa, « Amato pense que les abandons de souveraineté sur le plan national ne vont pas à des nouveaux acteurs identifiables, mais à des entités sans visage : l’OTAN, l’ONU et en dernier, l’UE. L’UE est l’avant-garde d’un monde qui change et indique un futur de princes sans souveraineté. Dans ce sens elle dépassera y compris les Etats-Unis, toujours confinés dans l’idée d’un prince... Le nouveau [pouvoir] n’a pas de tête, et le pilote est ni éligible, ni attrapable... » La vérité, ajoute Amato « c’est que le pouvoir souverain », en changeant, « s’évapore »
Quand la journaliste lui demanda alors si son modèle n’était pas plus ancien et même pré-Hobbesien, Amato suggère sans honte : « Pourquoi ne pas retourner à la période d’avant Hobbes ? Le Moyen âge avait une humanité très riche, et une diversité d’identités qui pourrait servir de modèle. Le Moyen âge est beau : des centres de décision politique y étaient multiples, sans dépendre les uns des autres. Ils étaient au-delà des frontières des Etats-nations. Comme à l’époque, des nomades réapparaissent à nouveau dans nos sociétés. Aujourd’hui, nous avons à nouveau des pouvoirs sans territoires. Sans souverainetés, le totalitarisme n’existera pas. La démocratie n’a pas besoin d’être souveraine... »
Tout ceci démontre amplement que « l’Europe de Lisbonne » n’est pas l’œuvre d’européens au service de l’Europe et des européens, mais le projet d’une oligarchie financière cherchant à la menotter quitte à en empêcher l’existence.
Démasquons donc ce qui s’est tramé secrètement contre nos concitoyens et bâtissons avec eux cette Europe des patries et des projets que Jacques Cheminade a définie dans son Projet contre les puissances de chantage du fascisme financier.
Notes :
(*) La Fondation Ditchley, fondée en 1958, et dirigé actuellement par l’ancien Premier ministre anglais John Major, regroupe quinze fois par an, en secret, des industriels, des politiques, des journalistes et des hauts responsables de l’OTAN au Château Ditchley en Angleterre. Sa filiale américaine est dirigée par Richard Gardner, ancien ambassadeur étasunien en Italie.
(**) L’Institut Aspen, fondé à Aspen, Colorado en 1949, et actuellement basé à Washington, vise à « aider les décideurs issus du monde économique, politique, universitaire, associatif, syndical et des médias à mieux identifier les défis qu’ils ont à relever en recherchant ensemble les solutions aux problèmes contemporains ». L’Institut Aspen France a son siège à Lyon et fonctionne comme un réseau de décideurs profitant du financement d’entreprises, de collectivités ou d’écoles de commerce : Capgemini, Insead, HEC Paris ou Euronews. Son comité de surveillance est présidé par Michel Pébereau de BNP Paribas.
(***) La Conférence de Bilderberg est un club select de l’aristocratie européenne co-fondé en 1954 par le Prince Bernhard des Pays-Bas et David Rockefeller, patron de la Chase Manhattan Bank. Financée par la CIA dans le cadre de la guerre froide, le club prône un atlantisme à toute épreuve via l’OTAN. Le co-fondateur, le prince Bernhard, ne fait pas l’unanimité à cause de ses sympathies pronazies. Il est également, avec le très raciste Prince Philip d’Angleterre, un co-fondateur du WWF (devenu Fonds mondial pour la nature), une des armes de guerre de l’oligarchie financière contre les Etats-nations modernes. Bien que les réunions soient secrètes et leurs compte-rendu jamais publiés, une liste des participants à la Conférence de Bilderberg en 2003 révèle qu’il s’agissait d’une rencontre entre les élites néo-libérales européennes (José Manuel Barroso, Jean-Claude Trichet de la BCE, Mervin King de la Banque d’Angleterre, Valéry Giscard d’Estaing, Etienne Davignon, Pascal Lamy, Fritz Bolkestein, etc.) avec les élites néo-conservatrices aux commandes pendant la guerre d’Irak (Paul Wolfowitz, Richard Perle, Richard Haas, John Bolton, etc.) sans oublier les journalistes initiés aux secrets du monde (Alexandre Adler, Conrad Black, etc.).
Karel Vereycken
Solidarité & Progrès Le 20 février 2008 (Nouvelle Solidarité)
En mai 2005, la France d’abord, les Pays-Bas ensuite, ont rejeté par voie référendaire le « Traité établissant une constitution pour l’Europe » ou Traité constitutionnel européen (TCE).
José Manuel Barroso fulmine. Si officiellement « une période de réflexion » est décrétée, Barroso charge immédiatement une équipe d’experts de choc de chercher un autre moyen pour imposer les changements souhaités. Et ce n’était pas le plan B. Cette tâche ingrate sera confiée à l’Action Committee for a European Democracy (Comité d’action pour la démocratie européenne, ACED) connu comme le « Groupe Amato », réunissant 16 sages (2 membres de la Commission européenne et quatorze membres du Parlement européen ou hommes politiques chevronnés, capables de s’atteler à la tâche).
Ensuite, lorsque l’Allemagne d’Angela Merkel prend la tête de l’Union européenne en janvier 2007, elle déclare la période de réflexion « close » et en mars, pendant les célébrations du cinquantenaire du traité de Rome de 1957, une déclaration de Berlin est signée afin de donner un nouvel élan à la construction européenne, devant aboutir avant les élections du Parlement européen prévues pour juin 2009.
Le 4 juin, après quelques escarmouches sur l’appellation du nouveau traité, le groupe Amato, lors d’une conférence de presse à Bruxelles, arrête un texte en français, constitué aux trois quarts de l’ancien Traité constitutionnel. Porté le 21 juin devant le Conseil européen de Bruxelles, et après trois jours de négociations, le texte final, qui correspond largement aux recommandations du groupe Amato, est adopté le 23 juin, suivi de sa signature le 13 décembre par les chefs d’Etats et de gouvernements réunis à Lisbonne.
Qui est donc cet Amato ?
Actuellement ministre de l’intérieur en Italie, l’ancien président du Conseil italien, le socialiste Giuliano Amato fut le vice-président de la Convention qui élabora le TCE. Formé aux Etats-Unis, le Financial Times l’appelle « le politicien italien le plus anglophile », ce qui n’est guère étonnant puisqu’il est un des directeurs de la très anglaise Fondation Ditchley (*) et ancien responsable de la filiale italienne de l’Institut Aspen (**). Comme trois autres sages du « groupe Amato » (Kok, Barnier, Dehaene), Amato fréquente assidûment les conférences du Bilderberg (***). Tout les quatre figurent comme administrateurs du think-tank eurocratique, siégeant à Bruxelles, Les amis de l’Europe (Friends of Europe FOE) qui permet à ce réseau de façonner les débats de l’Union Européenne. Giuliano Amato fut aussi sélectionné en 2004 par Henry Kissinger pour figurer, aux cotés notamment de Felix Rohatyn, comme membre d’une taskforce (groupe de travail) constituée par le Conseil des relations étrangeres de New York (CFR) pour tenter de ressouder une alliance atlantique malmenée par la guerre insensée d’Irak qui avait polarisé la France, l’Allemagne et la Russie contre l’aventurisme américain.
Parmi les membres du groupe Amato : le commissaire européen et ancien ministre des Affaires étrangères Michel Barnier, qui siège également à l’Aspen Institute France ; le professeur allemand et économiste Stefan Collignon ; l’ancien Premier ministre belge et vice-président de la convention Jean-Luc Dehaene ; la commissaire européenne polonaise Danata Hübner ; l’ancien Premier ministre hollandais Wim Kok (membre de l’International Crisis Group de Georges Soros) ; l’ancien gouverneur de Hong Kong Chris Patten ; l’ancien ministre des Affaires étrangères vert Otto Shily ; celui qui se retrouve à la tête du FMI, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances français, le socialiste Dominique Strauss-Kahn ou encore la vice-présidente de la commission européenne et ancienne membre de la Commission trilatérale, la suédoise Margot Wallström, pour ne nommer que ceux-là.
Plutôt le secret que la démocratie
La proximité incontestable de tous ces « experts » avec les clubs, les cénacles, les loges et les think-tanks de « l’anglosphère » explique sans doute leur goût excessif pour le secret et le mensonge, très loin du drapeau démocratique que ces individus aiment tant agiter.
Pour illustrer cet aspect, le site Internet de l’initiative indépendante autrichienne Rettet Osterreich, animé par des professeurs d’universités dont l’ancien ministre de la Justice Klecatsky, présente quelques citations qui disent bien plus que des longs discours.
Selon ce même site, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien responsable de la Banque mondiale et de la BERD, une personnalité supposée plus modérée que Blair pour figurer comme futur président de l’Europe, aurait déclaré en 1999 à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel que « D’abord nous décidons quelque chose, ensuite on le lance publiquement. Ensuite nous attendons un peu et nous regardons comment ça réagit. Si cela ne fait pas scandale ou ne provoque pas d’émeutes, parce que la plupart des gens ne se sont même pas rendus compte de ce qui a été décidé, nous continuons, pas à pas, jusqu’à ce qu’aucun retour ne soit possible... »
Le traité n’est toujours pas disponible comme un seul texte unifié et on peut donc fortement douter du sérieux de ceux qui ont modifié la Constitution française pour ratifier un traité qu’ils n’ont pas pu lire...
En Allemagne, où le Parlement devra se prononcer sur le sujet, le gouvernement s’est contenté, faute de mieux, du travail d’un étudiant qui s’est démené pour compiler l’ensemble des centaines de modifications proposées par le traité en montrant ce qu’elles modifieront par rapport aux traités actuels.
Si les politologues font légion pour juger le traité « indigeste », « embrouillé » et le traitent parfois « d’usine à gaz », tous pensent qu’il ne sera présenté aux populations que sous une forme « lisible » (dite « consolidée ») après sa ratification.
Même Valéry Giscard d’Estaing, qui estime qu’il ne s’agit que d’une « pâle copie » du TCE dont on a bouleversé la cohérence, constate que : « Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte à outils, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels if faut fouiller pour trouver ce que l’on cherche. »
Cette illisibilité n’est pas le résultat d’une incompétence, mais d’une stratégie délibérée pour tromper les peuples et les gouvernements. Amato en personne a déclaré en juillet 2007 que « les chefs des gouvernements européens avaient décidé que le document serait illisible. Etant illisible, ce ne serait pas perçu comme une constitution, ce qui était le but recherché ».
Et il aurait rajouté : « Chaque Premier ministre -vous imaginez le Premier ministre britannique entrant dans la Chambre des communes déclarant : regardez ceci, c’est absolument illisible ; c’est un traité typique de Bruxelles. Rien de nouveau donc, ça ne mérite même pas d’être soumis à l’approbation populaire. »
En finir avec la souveraineté tout court
Ce que Amato a de commun avec Rohatyn et Bloomberg aux Etats-Unis, c’est la volonté d’en finir avec les Etats-nations. Adeptes de ce que Léopold Kohr formula dans son projet pour la dissolution des nations, ils pensent que la seule méthode pour obtenir ce but c’est le mensonge.
Dans un entretien datant du 12 juillet 2000 avec le quotidien italien La Stampa cité par l’Executive Intelligence Review (EIR) du 11-8-2000, Amato a exhibé son amour pour un retour à un monde féodal. Selon le quotidien, Amato combat tout ce qui s’oppose aux transferts de souveraineté vers les institutions européennes, et s’il admet que ce projet est ambitieux, il « pense que pour surmonter les obstacles, il faut les cacher et les dissimuler. »
Pour Amato, il faut faire croire que cette souveraineté n’est pas remise en question « pour les convaincre de ne plus être souverains. La Commission européenne par exemple, doit faire croire qu’elle agit comme une instance purement technique afin de pouvoir opérer comme un gouvernement, etc. grâce à la dissimulation et en laissant les choses dans le non dit. »
A l’époque, Amato voyait cette tactique comme indispensable pour entrer par la porte étroite, qui fut le sommet de Nice... « Jusqu’à ce jour-là, il faut agir ‘comme si’ », poursuit l’article, car Amato « rêve d’ un monde qui change et qui fait abstraction des rapports de force qui prévalent dans le monde occidental : il souhaite un monde post-Hobbesien, post-souverain, sans hiérarchies. Il semble transporté par cette spéculation mentale, à tel point qu’il en est devenu prisonnier. D’où sa critique des fédéralistes qui pensent que les Etats-Unis d’Europe résulteront des transferts de souverainetés nationales vers des échelons supérieurs d’une souveraineté supranationale. »
Toujours selon La Stampa, « Amato pense que les abandons de souveraineté sur le plan national ne vont pas à des nouveaux acteurs identifiables, mais à des entités sans visage : l’OTAN, l’ONU et en dernier, l’UE. L’UE est l’avant-garde d’un monde qui change et indique un futur de princes sans souveraineté. Dans ce sens elle dépassera y compris les Etats-Unis, toujours confinés dans l’idée d’un prince... Le nouveau [pouvoir] n’a pas de tête, et le pilote est ni éligible, ni attrapable... » La vérité, ajoute Amato « c’est que le pouvoir souverain », en changeant, « s’évapore »
Quand la journaliste lui demanda alors si son modèle n’était pas plus ancien et même pré-Hobbesien, Amato suggère sans honte : « Pourquoi ne pas retourner à la période d’avant Hobbes ? Le Moyen âge avait une humanité très riche, et une diversité d’identités qui pourrait servir de modèle. Le Moyen âge est beau : des centres de décision politique y étaient multiples, sans dépendre les uns des autres. Ils étaient au-delà des frontières des Etats-nations. Comme à l’époque, des nomades réapparaissent à nouveau dans nos sociétés. Aujourd’hui, nous avons à nouveau des pouvoirs sans territoires. Sans souverainetés, le totalitarisme n’existera pas. La démocratie n’a pas besoin d’être souveraine... »
Tout ceci démontre amplement que « l’Europe de Lisbonne » n’est pas l’œuvre d’européens au service de l’Europe et des européens, mais le projet d’une oligarchie financière cherchant à la menotter quitte à en empêcher l’existence.
Démasquons donc ce qui s’est tramé secrètement contre nos concitoyens et bâtissons avec eux cette Europe des patries et des projets que Jacques Cheminade a définie dans son Projet contre les puissances de chantage du fascisme financier.
Notes :
(*) La Fondation Ditchley, fondée en 1958, et dirigé actuellement par l’ancien Premier ministre anglais John Major, regroupe quinze fois par an, en secret, des industriels, des politiques, des journalistes et des hauts responsables de l’OTAN au Château Ditchley en Angleterre. Sa filiale américaine est dirigée par Richard Gardner, ancien ambassadeur étasunien en Italie.
(**) L’Institut Aspen, fondé à Aspen, Colorado en 1949, et actuellement basé à Washington, vise à « aider les décideurs issus du monde économique, politique, universitaire, associatif, syndical et des médias à mieux identifier les défis qu’ils ont à relever en recherchant ensemble les solutions aux problèmes contemporains ». L’Institut Aspen France a son siège à Lyon et fonctionne comme un réseau de décideurs profitant du financement d’entreprises, de collectivités ou d’écoles de commerce : Capgemini, Insead, HEC Paris ou Euronews. Son comité de surveillance est présidé par Michel Pébereau de BNP Paribas.
(***) La Conférence de Bilderberg est un club select de l’aristocratie européenne co-fondé en 1954 par le Prince Bernhard des Pays-Bas et David Rockefeller, patron de la Chase Manhattan Bank. Financée par la CIA dans le cadre de la guerre froide, le club prône un atlantisme à toute épreuve via l’OTAN. Le co-fondateur, le prince Bernhard, ne fait pas l’unanimité à cause de ses sympathies pronazies. Il est également, avec le très raciste Prince Philip d’Angleterre, un co-fondateur du WWF (devenu Fonds mondial pour la nature), une des armes de guerre de l’oligarchie financière contre les Etats-nations modernes. Bien que les réunions soient secrètes et leurs compte-rendu jamais publiés, une liste des participants à la Conférence de Bilderberg en 2003 révèle qu’il s’agissait d’une rencontre entre les élites néo-libérales européennes (José Manuel Barroso, Jean-Claude Trichet de la BCE, Mervin King de la Banque d’Angleterre, Valéry Giscard d’Estaing, Etienne Davignon, Pascal Lamy, Fritz Bolkestein, etc.) avec les élites néo-conservatrices aux commandes pendant la guerre d’Irak (Paul Wolfowitz, Richard Perle, Richard Haas, John Bolton, etc.) sans oublier les journalistes initiés aux secrets du monde (Alexandre Adler, Conrad Black, etc.).
Karel Vereycken
Solidarité & Progrès Le 20 février 2008 (Nouvelle Solidarité)