Expelled : No Intelligence Allowed est un documentaire américain de Ben Stein réalisé en 2008, sur « la guerre des darwinistes contre le dessein intelligent ».
Cette guerre culturelle, qui se joue principalement dans le milieu universitaire, est peut-être la plus importante de notre époque, car son enjeu est le socle même de l’idéologie dominante dans nos sociétés matérialistes. Le darwinisme est un dogme absolu et intangible dans notre système éducatif. Comme je l’ai expliqué dans « Le singe devenu dieu », c’est sur le darwinisme que s’appuie, de façon paradoxale, l’idée que l’Homme peut et doit maintenant maîtriser sa propre évolution, qui obéissait jusque-là à des lois aveugles : c’est l’idée sous-jacente au transgenrisme et au transhumanisme.
Il existe au sein de l’establishment scientifique de nombreuses disputes sur les mécanismes de l’évolution, et plusieurs interprétations possibles du darwinisme. Ces divergences sont tolérées tant qu’elles ne sortent pas du paradigme matérialiste et déterministe, c’est-à-dire du dogme selon lequel l’apparition et la différentiation du vivant sont explicables par des lois chimiques et mécaniques. Le « dessein intelligent » (intelligent design) est une hypothèse défendue par des biologistes qui remettent en question ce paradigme, et affirment que la complexité du vivant, telle qu’elle est mise en évidence depuis un demi-siècle, est inexplicable selon les lois naturelles connues, et oblige à faire l’hypothèse d’une Intelligence créatrice. Les savants qui défendent cette hypothèse gardent leurs distances avec la religion et ne font pas référence à la Bible. Mais cela n’empêche pas leurs détracteurs de les accuser d’instrumentaliser la science au profit d’une foi religieuse, et de les ranger dans le même sac que les créationnistes chrétiens classiques. Les chrétiens évangélistes, de leur côté, ont peu d’intérêt pour le « dessein intelligent », car ils estiment n’avoir pas besoin de la science pour appuyer leur foi. Quant aux Églises catholiques et protestantes plus anciennes, elles brillent aussi par leur absence dans ce débat. Il y a longtemps qu’elles se sont rangées au darwinisme, qu’elles confondent avec la notion d’évolution. Pour ces raisons, le sujet est une bonne illustration du débat truqué entre christianisme et athéisme, dans lequel chacun des deux camps traite avec le même mépris toute tentative de fonder l’idée d’un Être suprême sur la raison seule.
En braquant le projecteur sur le dogmatisme et la violence inquisitoriale de l’establishment darwinien, ce documentaire montre bien l’importance de l’enjeu pour le système. C’est le dogme central de notre postmodernité qui est en effet menacée par l’intelligent design.
Pour aider à comprendre cet enjeu, je résume ce que j’ai déjà écrit dans dans « Le singe devenu dieu » et dans « Généalogie du darwinisme ».
Tout d’abord, d’où vient le darwinisme ? Karl Marx lui-même faisait remarquer que Darwin était le rejeton spirituel de Thomas Hobbes (Le Léviathan, 1651), Adam Smith (La Richesse des nations, 1776) et de Thomas Malthus (Essai sur le principe de population, 1798). Mais le précurseur immédiat de Darwin était Herbert Spencer, qui formula la loi naturelle de la « survie du plus apte » dans Progress, its Laws and Causes (1857). On stigmatise aujourd’hui la théorie de Spencer comme un détournement abusif de la théorie biologique de Charles Darwin, et on la qualifie de « darwinisme social ». Mais le livre de Spencer est paru deux ans avant L’Origine des espèces (1859). C’est donc en réalité Spencer qui a préparé la scène pour Darwin, et c’est le darwinisme qui devrait être désigné comme « spencérisme biologique ». Cette chronologie est occultée parce qu’elle permet de comprendre que le succès de Darwin n’est pas dû à ses mérites scientifiques intrinsèques (sa théorie a été longtemps rejetée par les naturalistes), mais au fait qu’il a apporté à l’intelligentsia britannique la caution scientifique de l’idéologie politique et économique triomphante. Le darwinisme a permis de justifier les inégalités sociales extrêmes sur lesquelles s’était bâtie la révolution industrielle, en les voyant non pas sous l’angle moral, mais sous l’angle de la loi naturelle.
Que dit exactement le darwinisme ? On croit communément que le darwinisme attribue l’évolution à la sélection naturelle. C’est une erreur entretenue par ses vulgarisateurs. Selon Darwin et selon toutes les variantes du darwinisme, la sélection naturelle ne crée rien du tout. La sélection naturelle n’est pas un mécanisme créateur, mais un mécanisme destructeur : elle n’agit que négativement en éliminant, parmi toutes les créations nouvelles, les individus les moins adaptés à leur environnement. « Elle implique seulement, écrivait Darwin dans L’Origine des espèces, la conservation des variations accidentellement produites, quand elles sont avantageuses à l’individu dans les conditions d’existence où il se trouve placé ».
Seules, donc, les « variations accidentellement produites » produisent, de temps en temps, des avantages sélectifs qui se reproduisent et finissent par dominer par sélection naturelle. Ces variations sont accidentelles. Darwin et les darwinistes évitent de parler de « hasard », car ce terme sonne dans la bouche d’un savant comme un aveu d’ignorance déguisé.
Darwin était honnête sur ce point :
« Je me suis jusqu’à présent exprimé comme si les variations […] étaient dues au hasard. Ce terme, qui, cela va sans dire, est incorrect, sert simplement à indiquer notre ignorance complète de la cause de chaque variation particulière. »
Darwin parlait aussi des « variations qui nous apparaissent, dans notre ignorance, surgir spontanément », et il n’excluait pas que ces variations puissent être autre chose que des « accidents ». Par exemple, contrairement à l’idée reçue, il ne rejetait pas la possibilité de transmission des caractères acquis, qu’avait avancée bien avant lui le Français Jean-Baptiste de Lamarck. Comme c’est souvent le cas, le maître était moins dogmatique que ses disciples. Les darwiniens rejettent catégoriquement toute forme de lamarckisme, mais on peut ajouter, à titre de parenthèse, que les découvertes récentes sur « l’épigénétique » remettent en question ce postulat anti-lamarckien. L’épigénétique, en fait, bouleverse totalement le dogme darwinien, mais c’est un autre sujet.
Revenons sur le caractère « accidentel » de l’évolution. Ce n’est que dans les années 1930, avec les découvertes génétiques, qu’on s’avisa que les variations accidentelles supposées par Darwin étaient des erreurs dans la reproduction de l’ADN, et l’on se mit à parler de « mutation génétique ». C’est en intégrant ce nouveau champs de connaissance que le darwinisme est devenu « la théorie synthétique de l’évolution », communément nommée « néodarwinisme ». L’expérience prouve, cependant, que les gènes sont des réplicateurs et donc des stabilisateurs et que leurs mutations accidentelles ne produisent que des dégénérescences, généralement stériles, et en aucun cas avéré un quelconque « avantage sélectif » qui permettrait au gène mutant de l’emporter. Autrement dit, la sélection naturelle tend à préserver le patrimoine génétique en éliminant les individus qui dévient trop du standard. Elle possède une marge de manœuvre et peut éventuellement produire une certaine adaptation aux changements d’environnement, dans les limites d’une espèce donnée. Toutes les observations sur lesquelles s’appuie Darwin relèvent de ce cas. Mais de l’observation que des espèces puissent s’adapter à leur environnement à l’affirmation que, par ce seul mécanisme d’adaptation, une espèce puisse se transformer en une autre espèce, il y a un fossé que Darwin franchit de façon purement spéculative.
Par ailleurs, comme le fait remarquer Darwin, il est vrai qu’une « sélection artificielle » permet à la longue d’« améliorer » une espèce animale domestique du point de vue d’un critère particulier (rendement en lait ou en viande, par exemple) et, au sein de l’espèce, créer une nouvelle « race ». Mais non pas une nouvelle espèce capable de se reproduire ; même la génétique moderne ne permet pas d’envisager de franchir ce pas.
Les découvertes génétiques et le bon sens auraient donc dû causer la disparition du darwinisme parmi les théories crédibles de l’évolution. Ce qui était vaguement crédible à l’époque de Darwin, lorsqu’on ignorait tout de la complexité biomoléculaire du vivant, est aujourd’hui mathématiquement aberrant. Si le darwinisme a survécu, c’est parce qu’il avait acquis le statut de dogme.
Dernière précision : il faut distinguer « évolutionnisme » et « darwinisme ». Le catéchisme scolaire veut nous faire croire que c’est la même chose, mais en réalité, le darwinisme n’est qu’une théorie de l’évolution parmi d’autres. L’hypothèse intelligent design ne s’oppose pas nécessairement à l’idée d’évolution, mais à l’explication darwinienne de l’évolution. Elle est compatible avec l’idée que l’apparition des espèces ait pu se faire progressivement. Elle renoue d’ailleurs avec le « vitalisme », une ancienne théorie de l’évolution non darwinienne, défendue par exemple par Henri Bergson (L’Évolution créatrice, 1907). La thèse vitaliste fait l’hypothèse d’une volonté d’évolution inhérente au vivant, dans le sillage de Schopenhauer (La Volonté dans la nature, 1836).
Le documentaire en deux parties
Première partie :
Seconde partie :