Soupçonnés d’être les protagonistes d’un réseau local de trafic de drogue, six hommes comparaissent à partir de mercredi devant les assises du Nord.
Trois d’entre eux, des amis originaires de quartiers populaires près du port, pourraient être les donneurs d’ordre de ce réseau, démantelé en 2017. Les trois autres accusés sont soupçonnés pour l’un d’être un commanditaire, pour l’autre un dealer « concurrent » temporairement allié, et pour le troisième un intermédiaire incontournable sur le port.
Jugés jusqu’au 16 février devant la cour d’assises spéciale du Nord, notamment pour importation et trafic de stupéfiants en bande organisée, et association de malfaiteurs, sur quelques mois de l’année 2017, ils encourent trente ans de réclusion criminelle.
Au classement des ports les plus importants du monde, celui du Havre se hisse à la 68e. Son trafic a explosé en 2021 : trois millions de conteneurs, 83,6 millions de tonnes de marchandises, et 326.000 véhicules ont transité par la Normandie cette année-là. Les grues chargent et déchargent, jour et nuit, les énormes caissons métalliques que transportent les cargos amarrés aux docks. Comme en témoigne le nombre de saisies récentes, les trafiquants de cocaïne dissimulent à l’intérieur des centaines de kilos de poudre blanche arrivant d’Amérique du sud, commandées par des équipes françaises. Comment la sortir discrètement de la zone portuaire, surveillée notamment par les douanes ? Des équipes, composés de malfrats issus des cités environnantes, en ont fait leur spécialité. Elles montent de lucratives opérations de récupération en soudoyant des dockers.
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L’équipe a été balancée en janvier 2017 par une « source enregistrée » aux enquêteurs de l’antenne de police judiciaire du Havre. Avec l’aide de dockers corrompus, les suspects parviennent à sortir des quantités colossales de cocaïne acheminées en France par voie maritime, dissimulée dans des conteneurs remplis de marchandises légales. Ils emploient pour cela plusieurs techniques. La première consiste à payer un chauffeur pour sortir les sacs contenant des dizaines de kilos de drogue de la zone portuaire et les déposer dans un entrepôt où s’effectue leur remise aux commanditaires. Autre méthode utilisée : la drogue est transférée dans un conteneur vide qui sera sorti plus tard du port à l’aide de faux documents.
Originaires du quartier des Champs Barets, au Havre, Mohamed Mellal, Youssef Boukhari Sardi et Karim Djemel sont déjà connus de la documentation policière : deux d’entre eux ont notamment été condamnés dans le passé à quatre ans de prison pour un trafic de stupéfiants.
Une information judiciaire est alors ouverte. À partir du mois de mars 2017, les policiers vont géolocaliser leurs téléphones, écouter toutes leurs conversations. Surtout, ils vont placer des micros dans le logement qu’ils occupent à Honfleur, dans le Calvados. Pendant près d’un mois, les suspects vont évoquer « sans retenue », « en détail et de manière récurrente le déroulement de leurs activités criminelles, leurs contacts, leurs modes opératoires, leurs bénéfices, leurs conflits », écrit la juge d’instruction de la Jirs de Lille dans son ordonnance de mise en accusation, consultée par 20 Minutes.
On apprend ainsi que leurs tarifs sont dégressifs. Pour une quantité de cocaïne inférieure à 150 kg, ils prennent 4000 euros par kilo. Entre 400 et 800 kg, ils empochent 3000 euros par kilo. Et au-delà de 800 kg, le prix descend à 2500 euros par kilo sorti du port. Les sommes collectées se chiffrent en centaines de milliers d’euros.
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Comme tous chefs d’entreprise, soit-elle illégale, ils doivent payer leurs personnels. Les employés portuaires qui recrutent des dockers peuvent toucher entre 150 et 200.000 euros. Le chauffeur de cavalier – le portique métallique qui soulève et déplace les conteneurs – gagne environ 50.000 euros. Le chauffeur routier qui récupère la cargaison empoche pour sa part entre 10.000 et 20.000 euros. Il faut aussi parfois payer la personne qui prête un entrepôt pour stocker provisoirement la drogue. Dans ce dossier, huit « petites mains », dont des personnels portuaires, ont déjà été condamnées en correctionnelle ou en appel, et trois relaxées. (...)
« Malgré des effectifs qui ne sont pas à la hauteur des défis relevés », les saisies réalisées dans le port « augmentent inexorablement », a rappelé le procureur de la République, Bruno Dieudonné... (...) Et le magistrat, inquiet, de se demander : « Le port du Havre va-t-il suivre le même chemin que celui d’Anvers ? »
C’est-à-dire devenir une plaque tournante de la cocaïne en Europe.
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Le reportage de Complément d’enquête en 2018
Les 6 trafiquants par France 3 Régions
Dans le box, trois délinquants des quartiers populaires du Havre, déjà condamnés pour divers délits, sont soupçonnés d’être les « donneurs d’ordre » associés de ce réseau local, qui opérait pour des organisations internationales. Il s’agit de Mohamed Mellal, 31 ans, Youssef Boukhari Sardi, 40 ans, et Karim Djemel, 42 ans.
Tous trois en détention provisoire, ils reconnaissent leur participation à certaines opérations, pour des commanditaires qu’ils refusent de nommer, mais contestent tout rôle de leader. M. Boukhari Sardi s’est qualifié de « sous-fifre » face au juge, tandis que M. Djemel aimerait « que lui soit restituée sa juste place : pas du tout à la tête du trafic », selon son avocate Me Valérie Giard.
Près de six ans après les faits, trois autres accusés comparaissent libres sous contrôle judiciaire.
Dione Mendy, 47 ans, ex-scaphandrier et videur de discothèque devenu patron d’une entreprise de BTP, est soupçonné d’être « John », celui à qui était destinée la drogue. Il aurait remis à Mohamed Mellal une clé USB contenant l’emplacement d’un « container pollué », retrouvée lors des perquisitions. Il jure n’avoir « rien à voir » avec l’affaire.
Louis Bellahcène, 56 ans, ex-gérant d’une entreprise de tuyauterie en invalidité, est soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire incontournable entre malfrats, commanditaire et ses précieux contacts sur les docks. Lui aussi réfute en bloc : « les gens pensent que je suis le roi du port » mais ce ne sont que « des bavardages », a-t-il assuré lors de l’enquête.
Dione Mendy et lui sont aussi soupçonnés de blanchiment. Lors des interrogatoires, ils ont peiné à s’expliquer sur leurs nombreux véhicules et vêtements de marque, voyages, biens immobiliers ou achats en espèces, en inadéquation avec leurs revenus.
Le dernier accusé, Aziz Sallami, 29 ans, est soupçonné de s’être ponctuellement allié à l’équipe.
Tous vivaient ou gravitaient dans le quartier historique des dockers, enclavé dans la zone portuaire, « Les Neiges ». Ils fréquentaient les mêmes bars, s’y laissaient des messages ou colis.